C'est en 1946 que l'orientaliste Jean Herbert (alors responsable des services d'interprétariat de l'ONU) lance chez Albin Michel la collection Spiritualités vivantes. L'adjectif dit toute l'originalité du projet : sous le regard d'abord sceptique des milieux indianistes universitaires (qui se consacrent alors surtout aux textes anciens et montrent peu d'intérêt pour la spiritualité réelle des « in
digènes »), il s'agit d'offrir au public un accès direct à l'enseignement oral des grands maîtres vivants de l'Inde : Râmana Maharshi, Swâmi Râmdas, Mâ Ananda Moyî ou Shrî Aurobindo, dont Jean Herbert se sent très proche, et bien sûr le Mahatma Gandhi, dont il publie les lettres de prison. L'intérêt pour l'épopée de l'Inde indépendante, et l'introduction du yoga en Europe font le succès de ces livres souvent retranscrits de l'oral et traduits par Herbert lui-même, qui se consacre à cette mission comme à un « yoga de la machine à écrire ». Parallèlement, Albin Michel est à cette époque un éditeur non négligeable dans le domaine chrétien, et certains auteurs alors publiés resteront vivants au catalogue (Albert Schweitzer, Teilhard de Chardin, traductions de Thomas Merton, etc.). En outre, Albin Michel est le premier éditeur à lancer, à la fin des années cinquante, une collection juive, « Présences du judaïsme », éditée en collaboration avec le Fonds Social Juif Unifié (l'un des premiers titres sera le célèbre Difficile liberté d'Emmanuel Levinas)
Fort de sa réussite, Jean Herbert ouvre le catalogue de Spiritualités vivantes au soufisme et au bouddhisme (notamment avec les Essais sur le bouddhisme zen de D.T. Puis, au tournant des années 70, comprenant que les interrogations spirituelles de ses contemporains se révèleront de plus en plus urgentes, il fait, avec Francis Esménard, président d'Albin Michel, un autre pari : celui de reprendre en "livres de poche" la plupart des titres qu'il a publiés, pour populariser l'enseignement des sages de l'Asie au-delà des classes intellectuelles déjà touchées par l'orientalisme. Dans les années 80, après la mort de Jean Herbert, Marc de Smedt développe largement la collection Spiritualités vivantes en privilégiant la série de poche. Ayant été personnellement disciple du maître japonais Taïsen Deshimaru, il explore avec succès le champ du bouddhisme zen (notamment avec plusieurs livres de son maître) ou tibétain - il est l'un des tout premiers à publier en France les enseignements du Dalaï Lama. Auteur lui-même (Eloge du silence), il ouvre aussi un champ chrétien, avec l'aide notamment de Marie-Madeleine Davy, et il « découvre » un jeune auteur d'avenir, le moine Jean-Yves Leloup. A partir du début des années 90, Jean Mouttapa réunit les composantes orientaliste, juive et chrétienne du catalogue d'Albin Michel pour constituer un véritable département éditorial, fort aujourd'hui d'une équipe de huit personnes. Il introduit la dimension du dialogue interreligieux dans lequel il est personnellement engagé (Religions en dialogue), ainsi que le débat théologique et écclésial qui secoue le monde catholique (Eugen Drewermann, Mgr Gaillot...). Il élargit le champ éditorial aux documents, notamment humanitaires (Xavier Emmanuelli, Père Pédro, Emile Shoufani, etc) et aux beaux livres sur les calligraphies traditionnelles, ainsi qu'aux témoignages sur le parcours spirituel d'artistes (Fabienne Verdier), ou d'écrivains (François Cheng, Jean-Claude Guillebaud...) Le domaine chrétien s'étend aux auteurs les plus en vue : Marie Balmary, Lytta Basset, Maurice Bellet, Sylvie Germain, Anselm Grün, Gabriel Ringlet, Stan Rougier...
Le département Spiritualités (50 livres par an, dont environ 30 nouveautés et 20 poche) possède aussi une dimension proche des sciences humaines, à travers des ouvrages collectifs de type encyclopédique (Histoire de l'islam et des musulmans en France) et deux collections spécifiques : L'Islam des Lumières, co-dirigée avec le jeune chercheur Rachid Benzine, et Planète Inde, co-dirigée par le professeur en Sorbonne Ysé Tardan-Masquelier. Au-delà de ces innovations, les ventes en librairies du département sont toujours réalisées à plus de 40 % avec un fonds riche et parfois très ancien, comme par exemple la Baghavagita commentée par Sri Aurobindo, sans cesse rééditée, et qui fut le premier ouvrage publié en 1946 par Jean Herbert...