18/11/2024
Le loup au Crépuscule dans le Libé du samedi 16 novembre !
Temps d’indien
Kent Nerburn sur les traces d’une enfant disparue
Kent Nerburn semble reprendre son récit là où il l’avait laissé dans Ni loup ni chien (paru aux États-Unis en 1995 et traduit aux éditions du Sonneur en 2023). Il y racontait sa rencontre avec Dan, un autochtone amérindien de la tribu Lakota, qui souhaitait que l’écrivain mette sur le papier l’histoire de son peuple, ses rites et ses souffrances. Le Loup au crépuscule, deuxième tome de la trilogie, débute in medias res, plus de dix ans plus t**d. Kent, l’écrivain-narrateur, apprend que la chienne de Dan, Fatback, est décédée lorsqu’il découvre sur son pare-brise une petite bourse symbolique remplie de café, accompagnée d’une missive. Pourquoi Dan a-t-il souhaité le prévenir et briser ainsi le silence installé entre eux depuis la publication de Ni loup ni chien ? Kent Nerburn signe une passionnante traversée à travers les plaines du Dakota du Nord et l’histoire tragique des pensionnats d’enfants autochtones, récupérés par les blancs et victimes de leurs sévices.
Deux mondes s’affrontent dans le roman comme à l’extérieur : celui des blancs et celui des autochtones, celui de Kent et celui de Dan. Lorsque Kent prend la décision de retourner dans la réserve où Dan vit, il prévient immédiatement qu’il n’y restera pas longtemps : «Pas de "temps indien", dit-il. Mes engagements étaient des engagements de Blanc, et ils étaient définis par l’horloge et les deadlines.» Une fois sur place, Kent comprend bien vite que la mort de la chienne était un prétexte. Le vieillard a besoin de Nerburn pour découvrir ce qu’il est advenu de sa sœur Yellow Bird, disparue après avoir été emmenée de force dans un pensionnat. Ils se lancent alors ensemble sur les routes afin de retrouver sa trace. Peu à peu, la violence des blancs envers les enfants amérindiens s’impose dans les échanges entre Kent et Dan. Passé également par un pensionnat, celui-ci se rappelle : «Le premier truc qu’ils faisaient quand on arrivait là-bas, c’était de nous emmener dans une pièce pour nous raser en nous maintenant de force.» «Ils nous volaient à nos familles. Ils nous volaient nos vies», poursuit-il. Alors pour se consacrer à cette quête et prêter une oreille attentive à Dan, Kent doit abandonner sa montre.
Le Loup au crépuscule est une invitation à prendre son temps. Prendre le temps de mener l’enquête, de voyager et de s’interroger sur l’héritage de la violence des colons. «Combien de fois avais-je voulu m’écrier : "Je ne suis pas l’oppresseur. Je n’ai rien fait de tout cela."Mais ce regard était toujours là, car les fantômes étaient toujours là», se désole Kent. En ce sens, le récit célèbre la culture amérindienne, dont l’auteur s’est massivement imprégné à travers ses recherches. Dan et sa famille n’ont aucun impératif et s’en remettent à leur instinct. La
spiritualité prime sur tout dans «ce monde de chuchotements et de forces invisibles». Ce n’est qu’en adoptant cet état d’esprit que l’on peut se plonger dans ce récit fort de poésie et de beauté.
Kent Nerburn le Loup au crépuscule Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Pommel. Les Editions du Sonneur, 452 pp., 25 €.