02/08/2024
Relecture du fameux tableau de la Cène lors de la cérémonie d’ouverture. Tentative personnelle d’en faire quelque chose de positif.
Comme des millions de personnes j’ai vu la scène de la Cène en direct. Depuis, j’ai lu plus d’une dizaine d’articles et encore plus de commentaires ; et je ne compte pas les échanges avec tel ou tel, évêque ou non. Voici ce que j’en retiens.
1/ Sur le fond. Jésus se fait l’un de nous, nous dit la foi. Il est dans la logique de l’incarnation que chaque être humain puisse se reconnaitre dans le Christ. La cérémonie des JO a superposé sur lui des figures LGBT+. Rien ne l’interdit. Cela ne veut pas dire que Jésus le soit mais que toute personne LGBT est de la même humanité que lui. Dieu veut que tout homme par le Christ soit sauvé.
2/ Des protestations se sont levées, venant d’abord de l’extrême droite identitaire catholique (Marion Maréchal) pour s’élargir ensuite. Il est intéressant de noter que ce ne sont pas que les évêques catholiques qui ont réagi. Protestants (essentiellement américains), orthodoxes (russes, donc avec peut-être quelques arrières pensées) mais aussi musulman (Al-Azhar) ont, de concert, protesté. Cette pluralité inflige au passage un démenti cinglant à la logique identitaire ; elle est le signe que l’Église catholique ne peut prétendre posséder le patrimoine de sens du Christ. Cette désappropriation est un des moteurs de la révolte de certains catholiques conservateurs qui ne supporte guère ce crime de lèse-majesté.
3/ Un autre moteur de la protestation de certains milieux très conservateurs français est une forme de jalousie : l’affront fait au christianisme (encore faudrait-il qu’en l’espèce ce le soit) est ressenti d’autant plus cruellement qu’il est asymétrique. Jamais, prétend-on, avec une grande probabilité d’avoir raison, on aurait osé une telle provocation avec des symboles sacrés musulmans ou juifs. Dans cette optique, la cérémonie est vécue comme une humiliation arbitrairement infligée au seul christianisme. C’est le sens de la colère, il me semble, du dominicain Paul-Adrien, qui, emporté, en a même appelé à la fin de la miséricorde (ce qui s’appelle jouer avec une allumette sur un baril de poudre). Mais on oublie ici la face cachée de l’affront, celle qui dit finalement que le seul héritage religieux que nous lègue l’histoire est le christianisme. L’absence de provocation envers l’islam est une manière de le laisser dans l’ombre de l’Histoire de la France, ce qui aurait dû susciter, à l’inverse, un émoi des musulmans de France. Au fond, comme le dit Cyrano, en l’occurrence, être la cible de Thomas Jolly est « un honneur ».
4/ Venons-en au cœur du sujet : s’agissait-il d’un affront ? Le seul lien très net entre le Christ de la foi et la scène montrée lors de la cérémonie passe par le tableau de Léonard de Vinci. Or Léonard de Vinci donne une image de la dernière Cène qui n’est pas la dernière Cène. Qui peut encore s’imaginer que le dernier repas du Christ a eu la forme que le génial peintre lui a donnée. Je considère pour ma part que Thomas Jolly pastiche, avec une certaine outrance, Léonard de Vinci et non l’Évangile. Autrement dit, pour s’offusquer pour des raisons religieuses de la cérémonie, il faut avoir collé le texte de l’évangile au tableau de Léonard. Il est grand temps de le décoller, simplement en relisant le texte avec une conscience de ce qui était vécu à l’époque du Christ. Mutatis mutandis, il est grand temps de ne plus s’imaginer le jugement dernier tel que Michel-Ange (contemporain de Léonard) l’a représenté sur le mur de la chapelle sixtine.
5/ Pourtant, j’ai été blessé par la scène. Je l’ai trouvé grossière, d’une grossièreté qui fait mal, non au milieu culturel mondial de haut rang mais au gens d’en bas, « ces petits qui sont mes frères » comme els appelle Jésus dans l’Évangile. Je pense à toutes ces personnes pour qui la forme compte parce qu’elle est ce que l’on peut offrir à Dieu qui a déjà tout. Je pense à ces sacristines pour qui il est important que la robe de la statue de Marie soit repassée, que la fleur au pied de saint Antoine ne soit pas fanée et que la bougie au bas du crucifix ne soit pas tordue. Je suis convaincu que Dieu se moque de ces détails mais accorde une valeur infinie aux humbles cœurs qui les chérissent. Mais, je dois encore ajouter ceci : il n’est pas impossible que dans mon mouvement intérieur de protestation se cache quelque chose de l’ordre de la résistance spirituelle ? Car l’art a pour fonction de nous déplacer justement là où d’ordinaire nous n’allons pas. Peut-être que ce moment de la cérémonie m’appelle-t-il à nettoyer mes images du Christ et des apôtres que j’ai trop vernies et polissées par mes habitudes ? Ne dois-je pas, à la faveur de ce choc, les réenvisager ?
6/ Vais-je pour autant faire un procès d’intention à Thomas Jolly ? Non. Car en matière d’art c’est l’ensemble qui donne le sens à la partie et non l’inverse, comme le dit une de nos tribunes publiées. On peut donc faire un procès en termes de goût sur la fresque présentée (de gustibus et coloribus, comme on dit) ; mais sur l’intention de la séquence, il faut la voir dans l’ensemble. Or que dit l’ensemble ? Que la génération du XXI° reçoit un héritage de l’histoire et qu’elle va le faire vivre avec ce qu’elle est. On peut ne pas être d’accord avec ce propos ou craindre ce vers quoi cela conduit. Mais ce n’est pas suffisant, à mon avis, pour y déceler une intention blasphématoire. Cette cérémonie s’inscrit à la croisée des influences culturelles variées qui colorent l’Occident. La cérémonie a tenté une synthèse. Je ne fais pas du tout la même. Je suis prêt à en discuter. Comment ? En regardant d’abord le bien, avant le mal. Dans un contexte de dialogue des cultures, comme le nôtre aujourd’hui, en particulier avec le milieu artistique pétri de symbolique mais très déchristianisé, il faut que les chrétiens apprennent à parler à partir des sommets et non comme un correcteur d’orthographe depuis les creux et les fautes. Je ne vais donc pas joindre ma voix à celles qui affirment que les auteurs de la cérémonie ont voulu porter tort au christianisme. N’ont-ils pas pris le temps de magnifier notre Dame de Paris ? N’ont-ils pas disposé que la célébrissime Céline Dion conclue la cérémonie par ces paroles de feu « Dieu réunit ceux qui s’aime » ?
Quelques articles publiés dans La Croix
Regards sur les aspects artistiques sur la cérémonie : https://www.la-croix.com/culture/paris-2024-la-france-ouvre-les-jeux-au-sommet-de-son-art-20240727 ; https://www.la-croix.com/culture/paris-2024-celine-dion-et-aya-nakamura-figures-de-proue-de-la-chanson-francophone-20240727
Contestations officielles
https://www.la-croix.com/religion/paris-2024-les-eveques-deplorent-des-scenes-de-derision-et-de-moquerie-du-christianisme-20240727
https://www.la-croix.com/a-vif/mgr-gobilliard-sur-les-jo-2024-le-droit-au-blaspheme-n-a-pas-sa-place-dans-le-cadre-de-lolympisme-20240728
https://www.la-croix.com/religion/jo-2024-la-parodie-presumee-de-la-cene-continue-d-emouvoir-les-eglises-de-letranger-20240728
Analyses
https://www.la-croix.com/a-vif/jo-2024-un-spectacle-transgressif-sur-la-fraternite-20240728
https://www.la-croix.com/a-vif/jo-2024-la-tradition-contemporaine-de-detournement-de-la-cene-de-leonardo-est-elle-blasphematoire-20240729
https://www.la-croix.com/a-vif/mgr-wintzer-sur-la-ceremonie-d-ouverture-des-jo-lart-doit-il-vehiculer-des-messages-20240730
https://www.la-croix.com/a-vif/ceremonie-d-ouverture-lart-meme-sil-nous-choque-nous-permet-de-nous-exercer-a-la-rencontre-20240731
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