05/12/2022
Interview de Thierry Zaboitzeff pour Prog censor concernant l'album 50 ans de musique(s) ! 🤩
Bonne lecture 🤘
Profitant de la sortie du triple CD «50 ans de musique(s)», Thierry Zaboitzeff a accepté de répondre aux quelques questions que nous nous posions à propos de sa carrière.
(Interview réalisée par Tibère.)
Prog censor – Comment te sens-tu après 50 ans à créer des musiques innovantes ?
Thierry Zaboitzeff – Pas mal, merci! Parfois un peu à l’ouest, dans le doute, mais il y a toujours ce petit quelque chose qui me fait repartir, un accord, une idée improbable, un son, le son, une simple vision qui glisse sur d’autres et m’entraînent dans les dédales magiques de la composition, mais je suis comme le petit poucet, je sème des trucs pour retrouver mon chemin…
En fait je me sens très heureux d’avoir pu mener à bien ce projet de rétrospective.
Pc – Peux-tu revenir pour nous sur les débuts de l’histoire. Ce ne fut guère facile. On le voit en parcourant ton site (http://www.zaboitzeff.org/zaboitzeff-raconte.html) où tu relates épisode après épisode (il y en a actuellement huit), 50 ans d’amour (et de galère) musical(e).
TZ – Oui, je vous conseille de les lire, histoire de bien vous rendre compte de ce que cela signifiait d'être musicien et compositeur indépendant en ces temps-là.
Le début de toute cette histoire, c’est la rencontre avec Gérard Hourbette puis Rocco Fernandez qui nous invite dans son groupe Art Zoyd. Rocco nous quitte en 1975 et nous laisse les clefs de la maison et, à partir de là, nous expérimenterons différentes formations d’Art Zoyd avec un tas de musiciens qui viendront, partiront, reviendront… Toutes ces rencontres et expériences déboucheront sur des moments importants: en 1976, notre premier album puis une tournée en France en première partie de Magma; nous serons également avec eux au Théâtre de la Renaissance (Paris) une dizaine de jours. Puis, pour ne citer que les temps les plus forts, nous ferons une tournée européenne en 1984 suivie de la création avec les ballets de Roland Petit «Le Mariage du Ciel et de l’Enfer» (Milan - Palais des sports / Paris-Théâtre des Champs Elysées / Marseille-Opéra / Bordeaux-Opéra); pour faire court également viendront les ciné-concerts «Nosferatu - Faust et Häxan»… Ceci nous mène en 1997, l’année où je quitte Art Zoyd (profondes divergences sur de nouvelles orientations, lassitude…).
Mais je souhaiterais vous préciser que ce coffret ne consacre que quelques épisodes à Art Zoyd et que je tiens absolument à défendre et mettre en avant ce que j’ai produit dans les 25 années suivant mon départ de AZ.
Pc – Quel ordre as-tu choisi pour nous présenter l’ensemble de ta carrière?
TZ – L’ordre fut un gros casse-tête. Je ne suis jamais parvenu à monter une playlist chronologique qui se tienne ou alors, si j’y arrivais parfois, cela ne convenait jamais sur la durée. Je prenais donc la décision de m’asseoir sur la chronologie et je me dirigeais plutôt sur l’idée de voyage dans mes musiques, avec mes musiques; cette idée est nettement plus intéressante car elle permet plus d’espace, de finesse, de poésie… De plus, aimant jouer sur les contrastes, j’allais me régaler…
Pc – As-tu remixé certains titres?
TZ – J’ai remixé deux titres sur les 43 proposés: «Unsex Me Here», à l’origine sur l’album «Art Zoyd-Berlin», mais que je reprends et remixe en solo et en live en 2009. Puis «Konzobélé» extrait de l’album «Marathonnerre». Pour d’autres pièces, j’ai refait un mastering de manière à unifier autant que possible la couleur de ces compositions fort distantes parfois dans le temps. J’ai également réenregistré «Baboon’s blood» (de l’album AZ-Berlin) en invitant Daniel Denis (Univers Zero) à y jouer les percussions, ce qui rend la pièce plus vivante et plus sauvage, puis en hommage à Rocco Fernandez, le fondateur de Art Zoyd, j’ai repris dans une version toute personnelle le titre «Sangria» que le groupe d’alors avait enregistré sur un 45 tours chez Opaline Records-Chants Du Monde en 1971.
Pc – Comment étaient réalisées la plupart des compositions, que ce soit avec Art Zoyd ou les autres émanations musicales que tu as croisées?
TZ – Vaste sujet! Tout dépend des époques… Autodidacte depuis fort longtemps, je n’écris pas la musique (sur du papier), j’utilise donc des enregistrements audio ou MIDI faits maison car je joue de plusieurs instruments et, avec le temps, je suis devenu aussi un manipulateur d’électronique (séquenceurs, samplers, effets, computers…) pour communiquer ce que je souhaite, d’une manière relativement précise, lorsque j’interviens avec d’autres musiciens et lorsque je ne fais pas appel à eux, je compose et enregistre directement dans mon studio… Mais le point de départ de mes compositions est rarement très sophistiqué, j’utilise à la base un seul instrument (guitare ou clavier ou basse) sur lequel j’échafaude quelques bribes de ce que deviendra un morceau, en chantonnant même, et je me laisse totalement aller à la fantaisie que je recadre et orchestre ensuite dans le studio.
Le processus est un peu différent lorsque je travaille sur des commandes car, dans ce cas, beaucoup de paramètres viennent interférer, comme la durée, les demandes particulières d’un régisseur ou metteur en scène, le type d’instrumentation souhaité…
Pc – Art Zoyd a eu des occasions de jouer (et partager des musiciens) avec des groupes comme Magma ou Univers Zero. As-tu des souvenirs marquants à partager de cette période?
TZ – Avec Magma, que nous estimions énormément, à part les concerts à la même affiche, nous n’avons rien partagé. Peu après ces tournées, je rencontrais Daniel Denis puis Univers zero et nous mélangerons même nos deux groupes en une sorte de bigband apocalyptique, lors de concerts de réunion. J’ai en mémoire celui de «Nancy Jazz Pulsations», c’était chaud! Il y avait les pour et les contre qui se manifestèrent avec force… Nous n’avons fait que quelques concerts dans cette formation économiquement non-viable à cette époque et puis aussi chaque groupe avait des envies plus personnelles pour l’avenir.
Pc – As-tu quelques souvenirs et anecdotes particulières à partager?
TZ – Il y en a de nombreux et je ne peux pas prendre toute la place ici avec cela. Je parlerai plutôt de faits marquants.
En Juin 1984, à l’invitation du chorégraphe Roland Petit : La première du «Mariage du ciel et de l’Enfer» avec le corps de ballet de la Scala de Milan et notre groupe Art Zoyd au Palais des Sports de Milan durant une semaine. Grand événement qui pour un temps nous sortit de notre quotidien de groupe jouant dans des clubs et autres salles alternatives. De grandes audiences s’offraient à nous avec les moyens techniques à la hauteur. Une équipe formidable de techniciens et musiciens.
Pour l’historique et les anecdotes, je vous invite à consulter ce lien: http://www.zaboitzeff.org/zaboitzeff-raconte.html.
Pc – Peux-tu nous parler des années qui ont suivi Art Zoyd, notamment la période Aria Primitiva?
TZ – Dès que je quitte AZ, je me lance dans un tas de projets: danse contemporaine, théâtre… Toujours comme compositeur bien sûr et de temps à autres en live, en solo ou en groupe: Zaboitzeff & Crew sur les projets Miniaturen avec Edita Braun Company, puis Missa Furiosa créé lors du Bruckner Festival Linz en 2002.
Ma rencontre avec la chrorégraphe autrichienne Editta Braun sera le point fort de ces 25 dernières années; je collabore musicalement depuis 1997 à tous les projets de la compagnie, c’est une expérience très forte émotionnellement, très enrichissante, et cela m’a permis d’ouvrir mon art à d’autres horizons et me libérant ainsi des parcours obligés de la musique contemporaine et des circuits musicaux alternatifs parfois un peu sclérosés et fermés.
Aria Primitiva est né assez t**d, en 2017, à la suite des concerts anniversaire «Art Zoyd - 44 ½». À cette occasion, j’avais rencontré Nadia Ratsimandresy et Cécile Thévenot qui faisaient également partie de cette formation célébrant cet anniversaire. L’expérience de groupe me manquait et Nadia et Cécile vinrent me proposer de travailler ensemble; j’hésitai un instant et puis banco! Le problème majeur entre nous était la distance nous séparant: Nadia à Paris, Cécile à Strasbourg et moi en Autriche à Salzbourg… Nous avions peine à trouver des dates pour nous réunir tant qu’aucun concert ne fut planifié. Au niveau composition, j’avançais à pas de géant et, en quelques mois, un répertoire de base était prêt et, fort de cela, je me mis à rechercher des dates. Quatre concerts furent planifiés et garantis financièrement. Nous pouvions nous jeter à l’eau et entamer nos répétitions. C’est ainsi qu’est né et aura vécu Aria Primitiva car, après un album («Sleep No More» et ces quelques concerts, Nadia a repris ses activités avec Art Zoyd dont elle était toujours membre et une distance s’est installée durablement, puis Cécile rêvait de plus d’improvisations, ce qui n’était pas le centre d’intérêt principal d’Aria Primitiva qui finalement était devenu mon bébé. J’avais, j’ai beaucoup d’estime pour ces musiciennes mais un avenir me semblait impossible, je décidai d’en terminer avec cette formation puis la crise du covid nous est tombée dessus… Je suis passé à autre chose.
Je dois ajouter que, tant que cet ensemble a existé, j’ai adoré le processus de travail et la perspective d’un nouveau groupe de scène, un peu dans la direction d’Art Zoyd des années 86-87 qu’inconsciemment j’aurais aimé ressusciter… Il y avait tant à faire et tant d’autres musiciens à inviter.
Pc – Des concerts ont-ils été prévus pour fêter les 50 ans de carrière?
TZ – À cette heure, aucun concert n’est prévu et proche de mes 70 ans. Je n’envisage plus la musique sous le prisme des tournées en bus, rangement de matos à trois heures du mat. Les occasions d’excès en tous genre et endosser toujours la responsabilité pour d’autres musiciens qui ne se bougent que parce que vous seul leur demandez de bouger… Certes, je suis un peu aigri sur ce thème après avoir vécu de désagréables situations.
Disons que je ne suis plus intéressé par cette façon de vivre la musique… J’ai d’autres projets autour de mes sons et vous me donnerez peut-être l’occasion de vous en parler plus t**d.
Pc – Merci Thierry pour cette interview. Un dernier mot pour encourager nos lecteurs à (re)découvrir tes univers?
TZ – Merci à vous! Mais pour cette dernière question je citerai Denis Desassis que j’ai invité à préfacer ce coffret et il vous parlera de cette anthologie mieux que personne, et assurément mieux que moi! Et encore merci à lui pour ses mots.
«Voici donc 50 ans de musique(s) illuminés par le foisonnement d’une anthologie suscitant l’admiration, tant la cohérence d’ensemble, depuis les premières heures d’Art Zoyd jusqu’aux dernières chorégraphies païennes, relève ici de l’évidence. Musique, cinéma, danse, théâtre sont assemblés en un grand tout affranchi du temps et des barrières stylistiques pour s’abandonner à un imaginaire peuplé de tourments et d’espoirs, ceux d’un voyage en direction du grand mystère. L’œuvre de Thierry Zaboitzeff est parée des couleurs ténébreuses d’une épopée de l’initiation dévoilant au fil des jours des paysages énigmatiques parfois désolés, dont la contemplation suscitera une curiosité mêlée de fascination.»