07/18/2020
COMBATTRE L’ENNEMI INVISIBLE AU SOL ET AU-DELÀ DES NUAGES
J’aurais dû quitter la Roumanie pour retourner à Québec à la fin mars dernier. Dans un contexte où les morts de la COVID-19 se comptaient quotidiennement par milliers en Europe, Air France a annulé mon vol entre Bucarest et Paris. Air Canada a fait de même pour mon vol entre Montréal et Québec. (…)
Deux mois plus t**d, en juin dernier, je n’avais alors que deux choix pour sortir de la Roumanie, un plus ahurissant que l’autre. Le premier, c’était de voler 4 000 km vers l’ouest jusqu’à l’Atlantique, de Bucarest à Lisbonne, et de retourner 2 000 km vers l’est jusqu’à Francfort, en essayant d’atteindre ainsi un des rares vols d’Air Canada vers Montréal ou Toronto. Le deuxième, c’était d’aller vers le sud, de Bucarest à Athènes, pour tenter d’atteindre encore l’aéroport de Francfort avec un vol direct ou avec une escale à Zurich.
J’ai choisi le détour par Athènes. Cinq jours, cinq avions et quatre nuits à l’hôtel. L’aventure a commencé le 12 juin à l’aéroport international de Timisoara avec mon vol pour Bucarest ayant une escale de 30 minutes au coeur de la Transylvanie, à Cluj-Napoca. (…)
UNE SALLE D’OPÉRATION VOLANTE DE TIMISOARA À BUCAREST
Le premier choc, je l’ai ressenti dès la montée dans le petit avion à hélice de Tarom, la compagnie nationale roumaine, celle qui en 2001 m’avait d’ailleurs amené au Québec quand elle avait encore deux long-courriers capables de traverser l’Atlantique. C’était un choc visuel et olfactif à la fois. Les deux hôtesses de l’air, qui portaient des masques ressemblant au mien et à ceux des autres passagers, avaient enfilé par-dessus leurs uniformes habituels de longues pèlerines de protection bleues et transparentes. De plus, l’avion dégageait une odeur de salle d’opération à cause du désinfectant aspergé par la compagnie aérienne. En quantité suffisante pour penser (plus ou moins à la blague) qu’après le décollage on allait tous nous opérer les uns après les autres…
BUCAREST, UN AÉROPORT FANTÔME
Escale de cinq heures à l’aéroport de Bucarest. C’est presque désert. Seulement trois vols internationaux étaient prévus au décollage du plus grand aéroport de Roumanie: un à Prague, un à Dubaï et mon vol pour Athènes. Un gardien de sécurité me questionne sur la raison de ma présence dans l’aéroport. Quand il s’éloigne, j’enlève enfin mon masque pour manger un sandwich, comme si je faisais une chose illicite. (…)
Aucune file d’attente aux vérifications de sécurité, ni à la police des frontières. Pour deux secondes, devant la policière masquée, j’enlève mon masque à des fins d’identification et je passe. J’entends presque mes pas dans les longs corridors vers la porte 28. Je m’arrête pour photographier un Airbus de la compagnie hongroise Wizzair par la vitre. Ses moteurs à réaction sont couverts de housses de protection contre la poussière. Il ressemble à un avion-musée. Le silence est rompu par la musique du seul magasin hors taxes ouvert. Il est vide. Devant moi, un long corridor inanimé de plus de 500 mètres. L’équipage d’un avion (le mien peut-être) me dépasse rapidement, mais personne d’autre. Je tente de brancher mon ordinateur portatif à plusieurs prises de courant, mais sans succès. Tout a été débranché. (…) À la porte d’embarquement, nous sommes à peine une trentaine et finalement une quarantaine de passagers pour Athènes.
OUVREZ LA BOUCHE! TEST COVID-19 À L’AÉROPORT D’ATHÈNES
Pendant que les îles grecques et la mer se voient déjà par les hublots de l’avion, je remplis le formulaire COVID-19 du gouvernement d’Athènes que l’équipage va récupérer avant l’atterrissage. Je me dis que c’est une simple formalité. Pourtant, la vraie surprise m’attend à l’aéroport.
Après la descente de l’avion, notre chemin vers la récupération des bagages est interrompu par les autorités aéroportuaires d’Athènes qui exigent nos papiers d’identité et nous donnent en échange d’autres formulaires bilingues intitulés «Laboratory Test Accompanying Card», qui nous laissent deviner qu’on ne quittera pas l’aéroport avant de passer le test pour la COVID-19. Pourtant, la compagnie aérienne ne nous a rien dit à ce sujet avant l’embarquement.
Nous sommes d’abord dirigés dans une salle d’attente pour remplir le formulaire comportant principalement nos coordonnées complètes en Grèce pour être contactés si le test se révélait positif. Trente minutes plus t**d, l'air inquiet et incrédule à la fois, nous faisons la file dans la salle voisine pour nous faire «chatouiller» la gorge par des infirmiers et médecins grecs habillés des pieds à la tête comme des cosmonautes. L’équipe médicale m’explique que le résultat sera connu 24 heures plus t**d.
Heureusement, le lendemain, ni mon téléphone québécois, ni celui de Maria, la propriétaire grecque de mon appartement à Artemi, n’ont sonné. Nous en avons déduit que mon test pour la COVID-19 a été négatif.
DE LA PLUIE, DES FLEURS ET DES MASQUES À FRANCFORT
En disant au revoir à la Grèce, je m’assois sur un des nombreux sièges vides à bord du vol direct de Lufthansa pour Francfort. Une des hôtesses de l’air allemandes met en garde un des passagers dont le nez est à l’air que son masque doit lui couvrir à la fois la bouche et le nez. L’homme à l’apparence distraite s’excuse et monte son masque d’un mouvement court. En arrière de l’avion, près des toilettes, la fameuse rigueur allemande me dévoile ses limites humaines. Deux des hôtesses de l’air laissent pendre leurs propres masques sur une de leurs oreilles pour mieux respirer et pour boire un verre d’eau. En sortant des toilettes, j'observe qu'une d’entre elles, la plus jeune, croque discrètement quelques tranches d’une pomme. Je passe à côté d’elle et je souris. (...)
Il pleut à Francfort. Ses gratte-ciels s’entrevoient loin dans la brume. Les roues de l’avion sortent. Un train à grande vitesse, comme un long serpent blanc au milieu de la forêt, s’approche de la ville. (...) À la sortie de l’avion, les policiers allemands nous attendent de pied ferme et nous posent des questions sur notre destination et le lieu exact de notre hébergement en Allemagne.
À la sortie du terminal 1 de l’aéroport de Francfort, j’ai encore le sentiment que le temps s’est arrêté à cause du nouveau coronavirus qui a fait près de 9 000 morts en Allemagne. J’immortalise à nouveau l’espace vide qui s’ouvre devant moi à l’extérieur de l’aéroport sur presque un kilomètre. Pendant de longues secondes, aucune voiture qui bouge, aucun passager qui traîne ses valises. Une jeune femme entre dans le cadre, elle-même visiblement étonnée par ce paysage désolant. Nous sommes pourtant dans le plus grand aéroport d’Allemagne, qui a eu en 2018 un trafic record de 69,5 millions de passagers, soit 40 fois plus que l’aéroport de Québec. Je retourne dans la salle d’attente pour me trouver un hébergement dans les environs. Les tableaux des arrivées et des départs sont nettement plus remplis que ceux d’Athènes ou de Bucarest. Quelques mètres plus loin, un groupe d’une quinzaine de personnes fait fi de la pandémie. Des roses rouges dans les mains, les masques au cou ou sur le menton, ils s’embrassent et se collent pour se prendre en photo.
Mon hôtel m’annonce qu’il a dû suspendre le service de navette et que je n’ai que le choix du taxi ou du train. Je choisis le train. Un train vide qui croise d’autres trains vides. La pile de mon cellulaire tombe à plat et avec elle ma carte Google. Épuisé, vers une heure du matin, je trouve mon hôtel. Le réceptionniste allemand enfile un masque avant de me souhaiter la bienvenue. Le mien m’étouffe déjà et me fait transpirer le visage. Je me désinfecte les mains à l’entrée de l’ascenseur et j’ai hâte de dormir quelques heures avant mon vol du lendemain pour Montréal. Dans la chambre, le lit est couvert d’un grand drap blanc qui a probablement été aspergé de désinfectant. Cela fait peur. Il fait très chaud dans la chambre. La grille de ventilation de l’hôtel n’a pas l’air rassurant. Je préfère ouvrir les fenêtres. Sur France 24 et sur Euronews, on annonce en boucle le début d’une possible deuxième vague de COVID-19 en Chine. (Mihai Claudiu CRISTEA)
L’AÉROPORT DE MONTRÉAL, VIDE ET PRESQUE MÉCONNAISSABLE *
QUÉBEC, UN BEL AÉROPORT JUSTE POUR MOI!
Lire la version intégrale de ce reportage dans notre édition imprimée de juin 2020. Voir les points de distribution ici: http://www.immigrantscapitale.qc.ca/points-de-distribution/
Légendes photo : 1. Les hôtesses de l’air de Tarom portaient non seulement des masques, mais aussi de longues pèlerines anti-COVID-19. / 2. Un Airbus de la compagnie Wizzair en sommeil à l’aéroport de Bucarest / 3. À l’aéroport d’Athènes, nous faisons la file pour passer le test obligatoire pour la COVID-19. / 4. Les hôtesses de l’air de Lufthansa, à bord du vol entre Athènes et Francfort / 5. À la sortie de l’aéroport de Francfort, aucune voiture qui bouge, aucun passager qui traîne ses valises. Ou presque… / 6. Aux douanes à l'aéroport de Montréal... / 7. L'aéroport de Montréal, une immense place vide qui donne des frissons / 8. D’un bout à l’autre de l’aérogare de Québec, le 16 juin dernier, à 21 h, il n’y avait pas un chat...
Photo : LIC