16/09/2022
Mahamat Idriss Déby Itno et la tentation de conservation du pouvoir
Par Éric Topona Mocnga, journaliste et auteur de Misère et grandeur de la liberté d'informer et de l'Essai pour la refondation du Tchad.
Un article paru dans le N°1950 de N'Djaména Hebdo du 12 au 16 septembre 2022.
Le Dialogue national inclusif qui a démarré le 20 août dernier n’est-il qu’un écran de fumée pour consolider le pouvoir du Conseil militaire de transition (Cmt) ? Ce débat ne cesse de prendre de l’ampleur à mesure que se rapproche l’ouverture de ce grand rendez-vous de réconciliation nationale.
À l’origine de cette crainte étaient les louvoiements du Président du conseil militaire de transition (Pcmt), Mahamat Idriss Déby Itno. Dans un entretien qu’il aura accordé à l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, au détour d’une question sur sa possible candidature à la prochaine élection présidentielle, il dit ‟s’en remettre à Dieu”. On se croirait dans une théocratie ou une monarchie de droit divin. Lorsqu’il s’étend davantage sur la question, il ne fera qu’ajouter du flou à la confusion : ‟C’est un fardeau trop lourd pour penser à ma personne. Ma mission à moi, c’est la réussite de la Transition. Je suis un officier général. J’assume une responsabilité très lourde. Cette responsabilité ne me permet pas de penser à ma personne”. Cet art de botter en touche s’inscrit en droite ligne du sens de l’esquive dans lequel son prédécesseur de père était passé maître lorsqu’il était appelé à s’exprimer sur des questions relatives à l’alternance politique au Tchad.
Il faut au préalable relever que quelques précédents d’ordre structurel laissent penser que le projet de maintenir au pouvoir Mahamat Idriss Déby a été mûrement réfléchi dès les premières heures de sa prise du pouvoir, le 20 avril 2021, suite au décès tragique de son père. Il suffit, pour cela, de comparer le préambule de la Charte de Transition du 5 avril 1993 à celui du Conseil militaire de Transition. Alors que le premier rappelle les maux qui ont miné la société tchadienne et la nécessité de bâtir un État démocratique et juste, le second n’évoque que la nécessité de sécuriser les frontières du pays pour justifier sa mainmise sur le pouvoir d’État et la dissolution des précédentes institutions régaliennes. Bien plus, nulle part dans l’actuelle Charte il n’est fait mention de l’interdiction pour l’actuel président du Conseil militaire de transition de faire acte de candidature à la prochaine élection présidentielle. Certaines de ses allocutions solennelles qui tendent à asseoir l’impression du contraire n’ont pas force de loi, au même titre qu’un texte qui tiendrait lieu de constitution.
C’est à ce titre que ne cesse d’enfler un mouvement de défiance vis-à-vis des intentions réelles du président du Cmt, que certains acteurs et observateurs de la scène politique tchadienne soupçonnent d’avoir un agenda caché ; et ceux-ci mettent en doute sa réelle volonté de passer le témoin à l’issue d’une élection démocratique et transparente.
Il faut déjà relever que la culture politique du Conseil militaire de transition, au-delà d’un changement de lexique et de dénominations, est héritée du Mps (Mouvement patriotique du salut). L’ancien parti au pouvoir est manifestement demeuré un appareil politique qui, en raison du maillage du territoire national, se positionne comme un précieux instrument de conquête et de conservation du pouvoir pour les ambitions futures de Mahamat Idriss Déby Itno.
Les violations persistantes, et en toute impunité, des droits humains et des libertés constitutionnelles le prouvent amplement. La démission récente du directeur de cabinet du président du Cmt, Abdoulaye Sabre Fadoul, un technocrate brillant qui ‟tire la sonnette d’alarme”, nous renseigne à suffisance sur la persistance d’une culture de la captation et du contournement des pouvoirs régaliens. Sans oublier le siège du parti Les Transformateurs et l’arrestation de ses militants. C’est une alerte préoccupante quant aux garanties de réussite de la Transition politique. S’agissant du pré-dialogue de Doha, il a enchaîné défections et suspicions légitimes qui mettent en doute la volonté du Cmt d’apaiser des décennies de tensions internes, mais mettent plutôt en exergue une volonté d’instrumentaliser les forces politico-militaires pour sa légitimation future.
Le décor sociopolitique qui précède oblige toutes les forces de progrès au Tchad à rester mobilisées afin que le prochain dialogue soit véritablement historique et inclusif, pour la rédemption du Tchad.