21/05/2023
L’avertissement en valait son pesant d’or pour la jeune nation à l’époque, les États-Unis d’Amérique.
Je parle des propos suivants de John Adams, celui qui fut le deuxième président américain.
“There are two ways to conquer and enslave a nation,” disait-il. “One is by the sword. The other is by debt.”
Voici comment cela pourrait se traduire: Il y a deux manières d’asservir une nation—l’une, par les armes; l’autre, par la dette.
L’Amérique des débuts était menacé constamment à la fois par l’asservissement au moyen de l’épée et au moyen de l’endettement:
(1) Au moyen de l’épée, “l’épée” notamment du Royaume-Uni qui n’arrêtera finalement son harcèlement contre la jeune nation que parce qu’il devait se concentrer à domicile sur l’exorcisation de la menace napoléonienne qui va se dissiper enfin avec la bataille de Waterloo suivie de l’abdication et l’humiliant exil de l’empereur français à St Hélène.
(2) Au moyen de l’endettement; endettement facilité surtout par la France révolutionnaire qui n’aura cesse de signer des prêts pour Washington afin de lui permettre de financer sa résistance contre le Royaume-Uni, leur commun ennemi.
Au bout du compte, l’Amérique sera sauve. Et son destin d’Etat fragile se transforme radicalement après les deux grandes guerres, dont elle sort ragaillardie aux dépens de l’Europe qui est alors presqu’à genou.
C’est après avoir ainsi survécu que la nouvelle Amérique prospère s’avise en substance de revisiter le sagace propos de John Adams:
“There are two ways to conquer and enslave a nation. One is by the sword. The other is by debt.”
Désormais, au lieu d’une mise en garde afin que l’Amérique ne se laisse jamais asservir, le propos sonne comme un conseil stratégique pour l’asservissement des autres par l’Amérique.
Au moyen des armes, l’Amérique (ayant maintenant goûté à la saveur de la domination impériale qu’elle subissait auparavant) fera des dégâts—Vietnam, Corée, Nicaragua… la liste est longue.
Mais l’Amérique se rend compte que la conquête par l’épée est plus souvent inefficace et périlleuse—elle y risque aussi des vies et l’esprit de l’homme physiquement conquis reste retors.
Par exemple, sur l’aspect périlleux du recours à “l’épée”, elle en perd plus de 57.000 rien qu’au Vietnam.
La nouvelle puissance impériale se repliera par défaut sur la deuxième option—l’asservissement par la dette.
Via son dollar (adossé au vent, plutôt qu’à une richesse tangible comme l’or ou autres ressources naturelles), et via les Institutions de Bretton Woods (créées à domicile à son initiative et qu’elle domine), l’Amérique mettra le monde à son service, sans tambour battant:
Presque chaque citoyen du monde qui voit le jour est systématiquement redevable aux trésor américain, en raison de la dette—et les intérêts cumulatifs de ladite dette—contractée par son pays auprès de la Banque Mondiale et du FMI.
Certes, “Bretton Woods”, ce ne sont pas que les américains. Mais au sein de ces institutions, les quelques 178 autres membres ne détiennent que des quotes-parts, mais vraiment, symboliques.
Dans le haut carré restreint, au dessus du vaste lot, où se positionnent les pays du G7, les États-Unis se détachent de très loin en tête de peloton.
Ajustement structurel; régime brutal des sanctions économiques pour les récalcitrants; détérioration des termes de l’échange consacrant des pays sans richesses tangibles fixant en dollar les prix des richesses réelles de ceux qui en ont…
Voilà comment des conventions sans valeurs intrinsèques ont remplacé la violence de “l’épée”, à laquelle l’Amérique (avec ou sans ses alliés de l’OTAN) n’a recours que quand le status quo qui lui est favorable est menacé.
Conséquence, depuis 1945—période qui sera vite suivie par l’effondrement de l’entreprise coloniale—le monde entier travaille pour enrichir indirectement les États-Unis, et ses partenaires juniors du “carré restreint” mentionné plus tôt.
Et gare, bien entendu, à tous ceux qui—à un moment ou à un autre—oseront remettre en cause ce système. Et à travers l’histoire, il y a eu quelques téméraires: Castro, Kadhafi, Chavez, etc.
Plus près de chez nous, Sankara qui badinait au sommet de l’OUA en 1987, invitant ses pairs à ne pas payer la dette, n’a vécu jusqu’au prochain sommet, ayant été brutalement assassiné quelques mois plus t**d.
Bref, en plus de 60 ans, le système rentier par lequel le monde entier contribue à l’hégémonie économique de l’Amérique et ses partenaires du petit carré a fonctionné à merveille, sans que beaucoup y songent souvent.
Et aujourd’hui, avec à la Maison Blanche des dirigeants abonnés aux délires et déconnectés de la réalité qu’ils ont fini par ne plus voir;
Aujourd’hui, avec des dirigeants qui se sont mis à rêver d’asservir encore par l’épée sans se donner la patience de juger des conséquences éventuelles, l’Amérique se retrouve face à un challenge tel qu’elle n’en avait vraiment vu depuis sa dernière guerre contre le Royaume-Uni.
Ce challenge: Comment empêcher l’émergence d’une multi-polarisation du monde accélérée par des décisions aveugles; multi-polarisation qui menace de libérer les “asservis” en leur donnant plus de marge sur leurs destin, et ramenant du coup l’Amérique à sa valeur réelle—sa valeur marchande quelquefois exposée à l’occasion de craches comme celles de 1929 et de 2008.
Oui, les ukrainiens, bien sûr, ne sont pas du tout fâchés de recevoir des armes de fabrication américaine et des milliards de dollars américains pour tenir tête aujourd’hui face à la Russie.
Mais la guerre en Ukraine n’est pas en priorité une guerre pour l’Ukraine.
Tout comme ces postures de fébrilité de l’Amérique face aux Chinois ambitieux, cette guerre est un ultime baroud pour le maintien d’un ordre mondial hautement “juteux” pour les États-Unis d’Amérique.
Je rigole devant l’hypocrisie consistant pour des fonctionnaires américains de distribuer de mauvais point pour violation des droits humains ici et là.
L’asservissement de l’humanité par l’endettement méthodiquement organisé et maintenu par la violence militaire (presque toujours justifiée par des écrans de fumée) est une violation ininterrompue des droits humains.
Un autre monde est-il possible où des pays sans richesses tangibles n’auront plus à utiliser du papier sans valeur tangible pour organiser la paupérisation de ceux qui ont réellement des richesses tangibles?
Bref!
Je pense que si John Adams—de sa tombe—pouvait parler à ses successeurs, il leur rappellerait probablement que son propos était une mise en garde plutôt qu’une instruction. Mais rien n’est moins sûr!