23/05/2024
Paul Emmanuel Salomon dit "Gramoun Baba"
* defenseur infatigable du "Servis Kabaré"
* Zarboutan du Maloya Traditionnel
C'est le 5 mars 1916, que vient au monde à Saint Pierre le petit Paul Emmanuel, fils naturel de Charline. Son père qui ne l'a pas reconnu, etait un Malbar. Du coté de sa mère, il a des origines Malgaches, Mozambicaines et Comorienne.
Des le plus jeune âge, il apprend les valeurs du travail, notamment dans le petit quartier de Bassin Martin où il enchaîne chaque jour de longues heures dans les plantations sucrières. L' enfance est dure, d'autant plus qu'il n'y a pas de place pour les loisirs, et la seul distraction se trouve 'an missouk", en cachette : le Maloya.
Ce rythme, il l'a découvert chez une ancienne dans les plantations de Bassin-Martin, lors d'un "servis", un culte dédié aux ancêtres. Des chants hérités des esclaves qui autrefois, pour extérioriser, chantait ce qu'il avaient sur le coeur. Le Maloya est avant toute chose une complainte, des mots sacrés qui viennent directement de l'âme.
Que ce soit la joie, la tristesse, la colère, la verité, on le chante, aux rythme des percussions qui ont traversé l'océan, en provenance d'Afrique, de Madagascar, et même de l'Inde.
Paul Emmanuel qui connait les conditions pénible du colonage, fera de cette musique sa force, son arme de bataille, qui l'aidera à tenir et à ne rien lâcher. À l'époque, très peu de Réunionnais connaissent le Maloya.
Tout ce qui est "Noir" "Malgachisé", "Africanisé", "Malbarisé" est mal vu, car cela est consideré comme païen, sorcier. Une bonne Réunionnaise, un bon Réunionnais se doit de suivre le modèle occidental Français, et surtout Catholique. Dans le plus grand silence, durant la nuit, les "servis", se font, chez les familles qui ont gardé cette coutume et qui tant bien que mal, essayent de la sauvegarder, malgré les pressions exercés par les autorités. Paul Emmanuel Salomon, dit "Baba", se rendra aux differentes cérémonies, où il apprendra les bases, et continuera de chanter , danser.
Il fréquentera ainsi les famille Manent, Greze, Fidji, Abbezot, Gado, Florency et bien d'autres. Et c'est justement avec une demoiselle Florency qu'il aura une premiere union. Les temps sont difficiles, car le couple perd plusieurs enfants en bas âge, ce qui determinera le cheminement spirituel de celui qui deviendra "Granmoun Baba". Grâce aux conseils de Marie Marthe Bazaline ( Madame Baba) , qui deviendra sa deuxième épouse, il organisera chaque année un Servis Kabaré.
Et c'est à Saint Louis, plus précisément à Bois de Nefles Coco, que la famille Baba deviendra maîtresse du Servis Kabaré. Les plus grands "Maloyèr" s'y rendaient, et d'ailleurs, monsieur et madame Baba deviendront comme les parents spirituel du grand Danyel Waro qui apprendra avec eux les rudiments du maloya rituel. Un maloya ancien, qui respecte des codes, des heures.
C'est tout un savoir. Monsieur et Madame Baba ouvriront leurs portes à tout le monde sans exception, où à chaque fois est servi un repas, dans une chaleur humaine réconfortante et bienveillante. La bonne humeur règne et la joie domine, grâces au maloya qui resonne jusqu'au petit matin, mais aussi l'accueil merveilleux des hôtes. Ainsi, la culture kabaré sera mise en lumière grâce au travail fantastique effectué par ces "zarboutan", qui braveront les interdits, les préjugés, les "on-dit".
Pendant plus de 50 ans, les cérémonies de Monsieur et Madame Baba seront les événements attendus par tout un peuple, pour défouler, "krazé pilé" un bon maloya, rendre hommage aux ancêtres, qui ont laissé un héritage hors du commun, de "l'or dans la main".
En 2004, alors que grand Granmoun Lélé avait rejoint les ancêtres, ce sera Granmoun Baba qui le rejoindra à son tour, laissant derriere Lui, une trace indélébile.
Florent Turpin
Association La Réunion Nout Zarlor
Crédit photo : Le quotidien