31/10/2024
[L’abécédaire élémentaire] À la lettre P, en empruntant une “Pissate”.
Certains mots nous aident à marcher dans des lieux autrement habités, même s’ils ne sont pas si aisés à entendre lorsqu’on ne les a pas pratiqués. J’en ai rencontré un dans ce passage de “Passantes d’octobre”, un roman de Jean Rogissard que je le cite : “Tu croyais fouler le sol ferme, une piste, une pissate, te fier à son gazon honnête, il branle au même instant, la vase qu’il dissimule fait irruption à la surface, gargouille, emplit ta chaussure de sa rouille putride”. Je lis cette étrange “pissate” qui, accompagnée des deux autres, “gazon” et “vase”, marquent le lieu, ajustent particulièrement l’endroit.
Celui qui va, s’engage dans cette pissate qui dans les Ardennes désigne un passage dans une fagne, une sente herbeuse dans l’un de ces petits marais situés sur la table des hauts plateaux ; il va sur un chemin qu’on aurait encore appelé une “feigne” s’il s’était trouvé dans une lande tourbeuse du massif vosgien, lorrain ou franc-comtois.
Les deux autres, “gazon” et “vase”, jouent de “cousinade” pour parfaire le parterre ; ils ont le même étymon ; l’un vient de l'ancien bas francisque “waso”, une motte de terre revêtue d'herbe ; le second de “wasa”, ce dépôt de terre qui se forme au fond des eaux stagnantes. Ensemble, ils dessinent “une terre froide, humide, tourbeuse, sombre, mais couverte d'un gazon court, vert comme l'émeraude” comme l’aurait écrit Arthur de Gobineau qui a nourrit son enfance du mythe de ses ancêtres vikings.
Nous sommes dans une lande tourbeuse ou un marais.
Avec une photo de François VIGNERON.