04/04/2024
Les plus grands poètes grecs
sont au Miel des anges
Lumière immense et noire.
Toute la nuit lumière et les yeux de Màgda, les oiseaux traversant les yeux de Màgda, une foule d’oiseaux affolés, passant les remparts de la nuit, puis la tête sombre, le corps sombre, l’obscurité aux lèvres et c’était l’aube d’un autre amour —
comme dans les rêves, deux sièges et deux fenêtres, la porte et le jardin.
Dehors quelqu’un siffla, guettant la réponse, alors on entendit les camions, ils descendaient prudemment, les phares soudain tournèrent et le jardin désert sous ses arbres, entre pierres et silence.
La pénombre inondée de richesses. Tout
devenait un filet immense, et partout dans la maison, des miroirs immobiles, à tous les murs, dans tous les coins, miroirs-énigmes, profonds jusqu’à l’infini, à ne pas savoir où était, quel était ton visage.
Alors, comme le corps chaud se met à luire, Màgda se leva soudain, passa dans la chambre du fond, dans un autre rêve plus obscur, puis revint, devenue Àrtemis, Mìna, Dìmitra, devenue cette Nana lointaine, un soir à Làrissa, derrière la gare, seule, sanglante, qui courait bouleversée.
Alors est arrivé Pàvlos lui aussi, malade, revenant du maquis il regardait le ciel sans un mot, contre qui nous sommes-nous battus, tous ces cadavres sur les pentes, et voyant Nana s’approcher, son œil a brillé soudain, il l’a saisie assoiffé, la colline de l’épaule plus haut, un sentier montait de biais dans la mémoire.
Plus loin encore les magasins de Pỳrgos et la grande forêt de Kàpeli, plus loin encore l’après-midi, la mer à Saint-Andrèas, et les pierres par millions, le sable, l’eau, rien que du sang.
Et tandis que les coups de feu continuaient, canardant le rivage, nous nous sommes traînés hors d’haleine, le jour finissant, pour nous planquer près de cette porte de fer et soudain le coup au-dessus de nos têtes, et ensuite
l’autre coup, l’autre coup, l’autre coup, à les entendre je tremblais.
Des pas s’approchèrent et s’éloignèrent, puis revinrent, puis s’éloignèrent, Màgda son bras s’agitait, un oiseau dans la chemise, alors j’ai regardé la marque à son cou, combien de temps te garderai-je encore, la nuit tombait, derrière sa nuque les cheveux sautaient, comme une ville explose.
Si belle et l’obscurité jusqu’à la taille, je la tenais, elle qui sentait la mer brûlée de soleil, et Yànnis est venu, et Yeràssimos, et Thodoris et bien d’autres, mais je ne pouvais même pas les reconnaître.
Tant d’années depuis qu’ils étaient nés, avaient grandi, pris le fusil, le couteau, la hache, tout ce qu’ils trouvaient, étaient partis, disparus sur le chemin noir,
jonché de ferrailles, d’éclats de verre, l’explosion avait soufflé la terrasse, on voyait tout l’intérieur nu, désert.
Puis des pas de nouveau, puis d’autres pas.
Et c’est alors qu’à la fenêtre sous la lune on a vu Màgda, et derrière elle Nana encore bouleversée, puis Àrtemis, Dìmitra, Mìna, à droite et à gauche la nuit, et entre noir et vert leurs yeux.
Des yeux nocturnes, qui menaient sans cesse à l’amour, des yeux fixes qui devinaient l’amour, agrandis soudain par la beauté, aux étranges couleurs, comme dans les gares l’arrivée du train, quand la fumée se dissipe et apparaissent à nouveau les yeux.
Alors le train est passé, traversant la chambre, et j’ai ramené ma jambe effrayé, l’autre perdue dans les montagnes, dans cette guerre ensanglantée, et tandis que je tenais le papier, le crayon, commençant par la phrase « lumière immense et noire »,
ma main écrivait ce poème, la lumière sur le papier tournait, laissant le papier dans l’ombre, et j’ai compris, Màgda s’en allait la lune s’en allait, descendant lentement les marches, au jardin, entre les arbres, et voyageait solitaire.
Tout s’en allait, et comme il arrive dans les rêves, arrêtez, ai-je crié, très fort.
De grands discours bâillonnés secouaient ma poitrine.
Des larmes, sans fin
toute la nuit sont montées inonder mes yeux,
me brisaient, me brûlaient.
Tàkis Sinòpoulos
Màgda
(Repas funèbre)