21/02/2024
Compte rendu du livre ‘Le nouvel o***m des progressistes’ de Pierre-André Taguieff, paru aux éditions Gallimard, 2023.
Si la lutte contre l’antisémitisme, dont l’auteur s’est fait une spécialité, demande la plus grande persévérance d’où qu’il vienne, l’étude du conflit israélo-palestinien qu’il aborde dans cet opuscule exige une objectivité rarement atteinte. Le traitement médiatique pour le moins tendancieux qui lui est réservé le prouve amplement... Reprenant le titre d’un ancien livre de R. Aron (“L’o***m des intellectuels”), l’auteur s’en prend ici de façon polémique, une fois de plus, à ce qu’il appelle depuis une vingtaine d’années l’islamo-gauchisme, expression au fond trompeuse dans la mesure où la gauche laïque ne saurait soutenir l’islam en lui-même mais plutôt des populations socialement opprimées qui se trouvent être musulmanes sur le plan religieux.
Plutôt que de citer à ce sujet tel ou tel chanteur ou humoriste de troisième ordre, l’auteur aurait mieux fait d’analyser un recueil de textes que R. Aron, précisément, avait publié autrefois (“De Gaulle, Israël et les Juifs”) et qu’il ne mentionne pas !
Tout d’abord, sur l’amalgame imposé entre antisémitisme et antisionisme, il faut préciser que si le premier vise une appartenance religieuse au judaïsme, le second rejette une idéologie politique apparue au XIXe siècle dont les éléments sont empruntés au socialisme et au nationalisme européen, qui l’un et l’autre sont totalement étrangers à la religion juive. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que Aron ne se disait pas sioniste (“Le temps du soupçon”) et qu’il se refusait à “soutenir inconditionnellement la politique” de l’État israélien, dont on dit qu’il est à l’origine d’une des plus longues occupations militaires de l’histoire contemporaine (P. Anderson). Aron sur ce point avait fait preuve d’une grande lucidité et même de compassion à l’égard des Palestiniens, de leur souffrance et de leur humiliation. “L’État d’Israël, [disait-il en 1962], a été taillé à grands coups d’épée – à cet égard enfin, les Juifs ont réussi à ressembler fidèlement aux Gentils. Mais, du même coup, l’hostilité du monde arabe devient intelligible, inévitable et, selon toute probabilité, irréductible.”
Contrairement à ce qu’affirme P.-A. Taguieff, le sionisme s’est par ailleurs lui-même dès l’origine doté d’une structure mondiale (OSM) dans le but de promouvoir ses objectifs, ce qui n’a donc pas de rapport avec le complotisme (p. 10) qu’il réprouve. J. Mearsheimer, dans un ouvrage central sur “Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine” (2007), a montré avec beaucoup de rigueur et de précision, quelle était la réalité de ce problème géopolitique, sans doute le plus complexe de notre époque.
Enfin, beaucoup d’observateurs qui ne sont pas vraiment de gauche, comme l’ambassadeur G. Araud, le général Yakovleff et même le philosophe L. Ferry, n’hésitent plus à parler à l’heure actuelle d’épuration ethnique concernant Israël.
Patrick Geay