08/12/2024
Intervention de Cécile Garguelle pour l'agence IngénierY' dans les échos, sur la préservation du patrimoine dans les Yvelines, le Département, article ci-dessous.
Après Notre-Dame de Paris, la France saura-t-elle sauver ses 8.000 églises en péril ?
https://www.lesechos.fr/politique-societe/regions/apres-notre-dame-de-paris-la-france-saura-t-elle-sauver-ses-8000-eglises-en-peril-2135903
Le 7 décembre, quand les portes de Notre-Dame s'ouvriront, celles de l'église Saint-Georges d'Orival resteront fermées. Sis à flanc des falaises qui bordent la Seine près de Rouen, semi-encastré dans la pierre blanche caractéristique des méandres du fleuve, le petit édifice est sous le coup d'un arrêté municipal d'état de péril depuis quelques semaines. En cause : la chute d'un élément de décoration, une clé de voûte pendante de près d'un kilo, tombé au beau milieu du choeur.
L'église d'Orival est loin d'être une exception. « Près de 4.000 édifices religieux protégés sont en mauvais état, voire en péril », selon la ministre de la Culture Rachida Dati et « les proportions sont sensiblement identiques pour le patrimoine non protégé ».
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« Le problème, c'est l'humidité », soupire Fabien Leroy, conseiller municipal chargé de l'église, en s'engouffrant dans la sacristie pour allumer la lumière. Connue depuis au moins le XIIIe siècle, l'église construite principalement au XVe et XVIe siècle domine les méandres de la Seine. Au XIXe siècle, faute de pouvoir agrandir l'édifice au-dessus du vide, il a été décidé de creuser dans la roche. La même roche que celle qui a été utilisée pour construire les voûtes, les murs et les piliers, une « pierre de falaise » friable.
Alors, forcément, le monument souffre : il y a fallu refaire une partie des voûtes, changer des piliers, refaire d'urgence la toiture après l'inondation de la sacristie… Sans compter les bancs, rongés par la mérule, un champignon dévastateur. « Il était prévu de tous les réparer, mais vu leur état, on a dû les changer, et avec le budget alloué, on n'a pu en refaire que la moitié », raconte le sexagénaire.
L'église d'Orival en Seine-Maritime, en état de péril, est fermée au public.
L'église d'Orival en Seine-Maritime, en état de péril, est fermée au public. Paul Turban pour « Les Echos »
Spécificité française
Comme Orival, la plupart des communes françaises ont à charge l'entretien d'une ou plusieurs églises. Une spécificité française. Après la nationalisation des édifices cultuels par lors de la Révolution, la loi de 1905 prévoyait le transfert de leur propriété vers les associations cultuelles créées dans le cadre de la séparation des Eglises et de l'Etat. Si les protestants et les juifs l'ont accepté, l'Eglise catholique s'y est opposée, jugeant les associations cultuelles incompatibles avec son organisation. Un compromis a finalement été trouvé en 1907 : les églises paroissiales sont restées propriétés publiques - l'Etat et les communes étant responsables de leur entretien - mais affectées au culte.
Jusqu'ici, ce modèle a été une chance pour le patrimoine français. « La loi de 1905 fait que les églises sont dans un relativement bon état de conservation », estime le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, corapporteur d'un rapport d'information du Sénat sur l'état du patrimoine religieux. La Conférence des évêques de France n'a ainsi recensé que 72 démolitions d'édifices cultuels depuis l'an 2000 et seulement 326 désaffectations d'églises communales entre 1905 et 2023.
« Dans le reste de l'Europe, le patrimoine religieux s'est ajusté aux évolutions démographiques et à la baisse de fréquentation », souligne Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du patrimoine. Les ventes d'édifices religieux y sont plus courantes, alors qu'elles restent marginales en France et concernent, souvent, des édifices modernes propriétés de l'Eglise ou de communautés religieuses en voie d'extinction.
Contraintes budgétaires
A Orival, « le maire est athée, mais il est évident pour lui qu'il faut préserver l'église », assure Fabien Leroy. « On a que ça ici, donc il faut le protéger », insiste l'homme volubile aux cheveux grisonnants, devant une Pietà du XVe siècle en piteux état. L'édifice est d'ailleurs unique en son genre, avec son clocher posé sur la falaise.
L'église d'Orival, inscrite au titre des monuments historiques, est rénovée au coup par coup. « A chaque fois, cela nous coûte une dizaine de millions d'euros, et nous n'avons pas de subvention », explique Philippe Colange, adjoint au maire. « On fait en fonction de ce qu'on découvre, parce qu'on n'a pas de marge de manoeuvre, on ne peut pas trop jongler avec les crédits. »
L'église Saint-Georges est semi-troglodyte, avec un clocher construit sur la falaise.
L'église Saint-Georges est semi-troglodyte, avec un clocher construit sur la falaise. Paul Turban pour « Les Echos »
Avec des communes qui peinent souvent à boucler leur budget, le financement est le sujet numéro un. « La situation financière va changer pas mal de choses », rapporte David Nicolas, maire d'Avranches et vice-président de l'Association des maires de France chargé du Patrimoine. « L'entretien du patrimoine religieux devient très onéreux, et surtout disproportionné au vu des contraintes budgétaires. »
En 2023, près de 120 millions d'euros ont été consacrés par le gouvernement à la restauration et l'entretien du patrimoine religieux via les Directions régionales des affaires culturelles (Drac). A cela s'ajoute plusieurs dizaines de millions d'euros de divers fonds en faveur du patrimoine, en grande partie fléchés vers le patrimoine religieux. Sans compter les sommes allouées par l'Union européenne, les collectivités locales…
« L'argent n'est pas tellement le problème », va jusqu'à affirmer Pierre Ouzoulias. Si cet avis ne fait pas consensus, tout le monde s'accorde en revanche pour souligner que l'accès à ces différentes subventions peut vite tourner au casse-tête. « Quand dans un village, vous n'avez que le maire et une secrétaire de mairie pour remplir plusieurs dossiers souvent très techniques et chronophages », regrette le sénateur.
L'argent n'est pas tellement le problème.
corapporteur d'un rapport d'information du Sénat sur l'état du patrimoine religieux.
Consciente du problème, l'Eglise de France a récemment publié un « Guide du mécénat du patrimoine religieux », à la fois vade-mecum pratique à destination des propriétaires des lieux de culte, et annuaire des organismes mécènes. Ce document doit être envoyé dans les semaines à venir à tous les maires de France pour les éclairer sur les leviers qui se présentent à eux.
Le privé est, en effet, un acteur très important dans le financement de la restauration et de l'entretien du patrimoine religieux. La Fondation du patrimoine est ainsi parvenue à mobiliser près de 500 millions d'euros entre 2018 et 2022, dont la moitié environ a été utilisée pour le patrimoine religieux. Il existe de nombreuses autres fondations, prix et concours pour aider les petites communes. Auquel s'ajoute le mécénat, qui permet parfois de faire restaurer à moindres frais un tableau ou une statue.
Face à l'urgence
La question du financement est aussi, souvent, parasitée par de mauvais réflexes. Pour remarquable qu'il soit, le chantier de Notre-Dame est à ce titre un contre-exemple. « Les diagnostics sont souvent très bien faits, mais il faut savoir les lire », explique Bertrand de Feydeau. « Si on reçoit un rapport général pour une restauration complète d'un édifice, on peut vite dépasser le million d'euros de travaux. Or, il faut savoir séparer ce qui est urgent de ce qui ne l'est pas, puis étaler les travaux dans le temps. »
Pour sortir une église de l'état de péril et lui permettre de rester ouverte au culte et/ou aux visites, il n'y a souvent pas besoin d'entreprendre une rénovation globale. Par ailleurs, il faut faire les travaux dans le bon sens : à quoi bon refaire des enduits muraux qu'une infiltration dans la toiture viendra ruiner aux prochaines intempéries ? Or, face à ce genre de prise de décision, les maires et leurs équipes ne sont pas toujours armés. « La plupart des communes sont incapables de prendre en charge la maîtrise d'oeuvre. Il y a une charge trop lourde pour les maires », confirme Edouard de Lamaze, président de l'Observatoire du Patrimoine religieux.
L'église d'Orival est située sur le chemin de Saint-Jacques, reliant Dieppe à Chartres.
L'église d'Orival est située sur le chemin de Saint-Jacques, reliant Dieppe à Chartres. Paul Turban pour « Les Echos »
Le problème est particulièrement criant dans les petites villes, qui possèdent plusieurs édifices religieux, ou dans les communes nouvelles nées de la fusion de plusieurs villages . Quand l'urgence semble partout, mais que les moyens sont limités, comment faire le tri ? « Les architectes du patrimoine sont trop peu nombreux et déjà débordés », regrette David Nicolas, qui reconnaît pourtant en eux de potentiels interlocuteurs privilégiés.
Bertrand de Feydeau constate que la France manque d'une « culture de l'entretien ». « Je pense qu'il faudrait, comme au Danemark, davantage subventionner l'entretien que la restauration », estime l'homme qui a fait carrière dans l'immobilier. Cela nécessite un suivi très régulier de l'état des édifices, pas à la portée de toutes les communes, mais qui s'avère très rentable. Mieux vaut nettoyer les gouttières régulièrement que de subir un dégât des eaux à cause d'une toiture endommagée.
Le département des Yvelines l'a bien compris, et s'inspirant du Danemark, a monté un service, baptisé Ingénier'Y. « Concrètement, les communes nous délèguent les travaux d'entretien réguliers », explique Cécile Garguelle, responsable du pôle. « On a recruté des architectes du patrimoine qui font un carnet de santé du bâtiment pour mettre en place un planning d'entretien pluriannuel, on accompagne les communes pour trouver les subventions et on mène les travaux », détaille-t-elle. Le montant global de ces travaux d'entretien est fixé à 30.000 euros, et le département subventionne les communes jusqu'à 80 % des sommes dépensées. « On a vraiment évité des catastrophes », assure-t-elle.
Nouveaux usages
Mais pour sauver durablement les églises, c'est aussi la question de leur raison d'être qui se pose. Lorsqu'elle était ministre de la Culture, Roselyne Bachelot avait laissé entendre qu'il faudrait détruire un certain nombre d'églises - elle avait évoqué une proportion d'une sur sept - ciblant notamment les édifices religieux du XIXe siècle. Il est vrai que ces derniers sont souvent disproportionnés et d'un goût - néogothique, néoroman ou éclectique - un peu passé à notre époque.
Si son avis reste aujourd'hui minoritaire, en raison d'un attachement encore fort de la population à son clocher, qu'en sera-t-il dans quelques années, notamment dans les campagnes dépeuplées et déchristianisées ? « La valeur d'une église ne s'apprécie pas à sa valeur esthétique - qui est contestable - mais à l'attachement qu'on y porte », tranche Bertrand de Feydeau.
Aujourd'hui, la raréfaction des prêtres et des fidèles réduit drastiquement le nombre de cérémonies célébrées. Une réflexion paraît incontournable pour ouvrir davantage les églises à de nouveaux usages, compatibles avec leur vocation première. « Examiner la possibilité de conventions durables, former des personnes habitant dans les villages à exercer une charge de délégué à l'affectation, sont des pistes qu'il vaudrait la peine de poursuivre davantage », reconnaît Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France.
Pour sauver les églises, il faut les maintenir ouvertes, ou les rouvrir, pour en refaire des « maisons communes », selon l'expression de Bertrand de Feydeau. « Premier musée de France », « patrimoine de ceux qui n'en ont pas », elles abritent parfois des oeuvres exceptionnelles, quand elles ne sont pas en elles-mêmes des chefs-d'oeuvre d'architecture.
A Orival, les travaux pour sauver l'église Saint-Georges ont déjà commencé. Les clefs de voûtes pendantes, fragilisées, sont consolidées l'une après l'autre. Fabien Leroy a même trouvé un mécène pour restaurer la Pietà du XVe siècle qui accueille les visiteurs. Il en cherche encore un pour sauver la « Résurrection » peinte du XVIIe siècle accrochée
L'Hexagone dispose d'un important patrimoine religieux, en grande partie propriété de l'Etat et des communes, une exception en Europe. Face à une situation budgétaire tendue mais aussi à un manque d'entretien chronique, la conservation des églises vire souvent au casse-tête.