31/05/2019
C’est un jeu. Un jeu que je crois avoir inventé quand j’étais enfant. Au départ, un jeu de plage. Mais on peut y jouer quand on veut. Mais on peut y jouer où on veut. C’est un jeu de solitaire, pour les solitaires. C’est un jeu personnel, individuel.
(...)
Voilà.
Quand j’étais enfant, je jouais à ce jeu sur la plage.
Je regardais la mer, le ciel, les gens. Surtout les gens.
Je rentrais en eux en les regardant. J’étais eux en les regardant. Je devenais avec ce jeu tellement de personnes. Pendant ces longues journées à la plage, je devenais une femme, une grosse femme aux seins lourds, une jolie femme aux seins pointus, un homme bedonnant, très bedonnant, un bel homme, un sportif. Je devenais tellement de personnes que j’en avais parfois le tournis. Je n’étais plus moi, j’étais eux. Eux. Eux, tous. Je m’imaginais des vies, je n’étais plus moi, j’étais eux, eux, eux tous. Tellement de vies, de ces hommes, de ces femmes, de tous ceux qui passaient devant mon volet. Avec ce jeu de cils, je créais un monde, je créais mon monde. Un imperceptible mouvement des paupières et le monde changeait du tout au tout. Un autre coup de cils et je passais à quelqu’un d’autre. On peut avoir honte de ce que l’on voit, de ce que l’on crée, de ce que l’on imagine. Mais au final, c’est son monde à soi, rien qu’à soi, créé par soi et pour soi.
Vous n’avez jamais eu envie de changer de peau, vous ?
extrait d'ORDINAIRE(S) E. Régniez
avec les photographies de C. Friggeri