La naissance de ce festival vient tout naturellement d'une saturation, mêlée à un brin d'exaspération et additionnée à une colère qui monte, qui monte. Soutenir et développer des programmes culturels, c'est bien, c'est même très bien mais que voyons-nous aujourd'hui à travers un regard qui n'a qu'un œil ? La culture est justement le domaine par excellence qui a ce regard à 110 degrés, pointu, rich
e, ouvert et double. "Que nenni" répondent les chiffres du rapport Reine Pratt, du CNC, de la SACD et de bien d'autres. La Grande Histoire du cinéma avait pourtant bien commencé. En 1893, une femme rebelle, battante et brillante, Alice Guy Blaché nous fera entrer dans son pays des merveilles, avec une caméra, un regard de pionnière et un premier film "La Fée aux choux". Hélas très vite, cette femme exceptionnelle et bien d'autres après seront évincées. Aujourd'hui encore, cette éviction des femmes nous laisse abasourdies et nous prouve, au-delà des mots, que l'humanité est seulement en devenir, que rien encore n'est atteint, tant que nous lirons dans notre culture commune que "le masculin l'emporte sur le féminin". Si nous ne pouvons changer des institutions très lourdes il est possible d'intervenir au moins sur les mentalités. En 2012, 22% des réalisateurs en France sont des femmes et la moyenne européenne est estimée à 16,3 %. (Observatoire Européen de L'Audiovisuel). 25,1% des films sortis en salle sont réalisés ou coréalisés par des femmes. Au Festival de Cannes, en compétition officielle 11% de femmes (2 films), 5% en 2013 et 0% en 2012. Sans même parler de chiffres, le cinéma, pour ne citer que lui, est un miroir déformant de notre société. Les femmes sont encore et toujours des faire-valoir de la gente masculine. Elles poussent des cris de détresse, sont soumises à des jugements esthétiques, plaisent aux vieux quand elles sont jeunes, beaucoup moins quand elles progressent en âge, elles baissent les yeux, ont une température du corps plus élevée que celle de leurs homologues qui, de fait, n'ont pas besoin de se déshabiller autant. Et les hommes alors ? Eux, ils font rire, ils conduisent, ils coupent la parole et occupent plus d'espace, leur âge avancé est un atout pour conquérir les belles jeunettes, ils peuvent boire et ba**er, ils garderont toujours un poil de "sexe à pile" et leur charme ne prendra pas une ride. Les hommes sont plus forts ce qui leur est bien utile, ils peuvent facilement soulever les statuettes qui récompensent leur talent, ces récompenses que les femmes n'obtiennent pas. Bien sûr ce cinéma là est plus proche des blockbusters que du cinéma Art et Essai, mais c'est celui qui, en termes de fréquentation est le plus vu. Pourquoi ce cinéma a-t-il encore de beaux jours devant lui ? Parce-que majoritairement, les spectateurs et les spectatrices ne sont pas perturbées par ce qu'elles voient (accord de proximité). Parce-que dans les festivals les jurys sont plus masculins, les films de femmes sont mal distribués, les gros budgets sont confiés aux hommes car ce sont eux qui détiennent le pouvoir. L'inconscient joue très fort. C'est pourquoi il faut imposer les films de femmes réalisatrices sur des dizaines d'écrans, ce qui se fait déjà à Londres, Santiago du Chili, Vancouver, Auckland, Raba, Salé, Los Angeles, Florence toutes ces villes ont un festival dédié aux femmes mais avec un public mixte et qui s'adresse aussi aux jeunes. De la visibilité avant tout. Nous avons Créteil, bien sûr, mais Paris n'est pas sur la liste, ! Oh, my God ! Lena Dunham, Cate Blanchett, Patricia Arquette… de nombreuses actrices hollywoodiennes se sont engagées en faveur de l’égalité des sexes dans l’industrie cinématographique. Meryl Streep est également de celles-ci. En 2015, Emma Tompson déclare à Radio Times que le sexisme dans l'industrie n'a jamais atteint un tel niveau. C'est même « bien pire » que quand elle a débuté, selon l'actrice oscarisée pour Retour à Howards Ends : « Je ne pense pas qu'il y ait un mouvement significativement appréciable et je pense que pour les femmes, la question de l'apparence est pire aujourd'hui que quand j'étais jeune », déclare-t-elle. Les réalisatrices ont les mêmes aspirations que les réalisateurs elles veulent montrer leurs films ! sauf que pour elles, il faut dépasser bien des obstacles pour parvenir à monter les marches (les marches, quelles marches ?) et donc faire connaître un autre point de vue tout simplement plus féminin. Les femmes ne sont-elles pas les mieux placées pour parler des femmes, loin des stéréotypes ? Dorothy Arzner, Chantal Akerman, Nelly Kaplan, Nina Companez, Yannick Bellon,
Solveig Anspach, Alice Winocour, Valérie Donzelli, Pascale Ferran, Naomi Kawase, Jane Campion et bien d'autres ont donné à voir de vrais personnages et non des mythes poussiéreux, tellement caricaturaux. Il va bien falloir que ça bouge ! Le cinéma des femmes est universel et non pas particulier comme on voudrait nous le faire croire. Ils sont nombreux les hommes et les femmes, inconscientes de leur propre cécité. Aider à financer Femmes en Capitales, c'est (je reprends les propos de Reine Prat) "adopter une démarche volontariste et collective en faveur de l'égalité. Il y va du contenu artistique, de sa diversité, partant de son rayonnement. Si l'on ne peut mettre en doute la volonté collective, aujourd'hui, d'avancer vers l'égalité, la mise en œuvre d'un tel projet se heurte à des obstacles réels et à des préjugés qu'il importe de mettre en lumière, si l'on veut les dépasser." Un festival est le lieu privilégié de reconnaissance par les pairs, il y va de la survie de notre démocratie. Il s'agit de mettre fin au système d'exclusion qui domine, dans le cinéma en particulier et dans la culture en général. Femmes en Capitales se tiendra la première année sur 3 jours, pour s'allonger après, nous l'espérons. L'ouverture aura lieu à l'Arlequin le 24 février et les jours suivants, 25 et 26, au Reflet Médicis. En ouverture nous proposerons une avant-première (l'inconnue pour l'instant) puis, le samedi et le dimanche, vous verrez des films du monde entier, de fiction, des documentaires, des courts et des longs métrages et aussi des films matrimoines et des dessins animés. Nous inviterons également les réalisatrices. Les films, vous les aimerez ou vous les détesterez. Vous rigolerez ou pas. Vous en discuterez en tout cas car les personnages principaux seront des femmes. Refusons d'être invisibles et de rester à l'ombre de l'homme à l’œil unique.