07/09/2022
[pages d’anthologie]
Comme chaque Sept Septembre, fête nationale au Brésil, relisons ce drolatique épisode des aventures d’Aristodemo Guggiani, fils d’immigrés italiens à São Paulo.
Une nouvelle à retrouver dans notre édition de BRÁS, BEXIGA ET BARRA FUNDA (1927) d’António de Alcântara Machado…
«Le sergent Aristóteles Camarão de Medeiros, natif de São Pedro do Cariri, quand il parlait honneur de l’uniforme, devoirs du soldat et grandeur de la patrie, enthousiasmait n’importe qui.
Aristodemo rien qu’à l’entendre devint un Brésilien jacobin. Aristóteles le choisit comme adjudant d’ordres. Une sorte de.
— Vous connaissez l’hymne national, mon garçon?
— Pardi si je le connais, sergent!
— Alors allez pas oublier, hein? Vous en amènerez demain quelques copies pour que la troupe puisse répéter en vue du Sept Septembre. C’est tout.
Aristodemo mit un peu de repos dans le service. Il apporta aussi tout un tas de copies.
Et la première répétition eut lieu le soir même.
“Ou-viram do I-piranga as margens plá-cidas…”
— Arrêtez, ça va pas, non! Ça manque de patriotisme. On dirait même pas des Brésiliens. Allons!
“Ou-viram do I-piranga as margens plá-cidas
Da Inde-pendência o brado re-tumbante!”
— C’est pas comme ça, non. “Retumbante”, faut que ça éclate, les gars, faut que ça retentisse! C’est un mot… comment dit-on, déjà?... c’est un mot… ah!... onomatopéique: “RETUMBANTE”!
Et l’hymne reprit en grondant:
“… da Inde-pendência o brado re-TUMBAN-te!
E o sol da li-berdade em raios fúl…”
Tout à coup, du bruit dans le deuxième peloton.
— C’est quoi c’t’engueulade, les gars?
Une sacrée engueulade. Le petit Allemand reçut une beigne dans le grand style. Aristodemo y mit tout le punch dont il put disposer sur le moment.
— La répétition est suspendue. Rompez les rangs.
— Je l’ai bel et bien frappé, sergent. Dieu du ciel! Une grosse claque, c’est ça. Ce sa**ud se foutait de l’hymne du Brésil!
— Qu’est-ce que vous me dites là, Aristodemo?
— Il s’en foutait, sergent. Vous pouvez demander à n’importe qui dans le peloton. Au lieu de chanter, il se moquait de nous. Alors moi j’ai fini par me mettre en colère et je lui ai dit qu’il avait obligation de chanter avec nous lui aussi. Alors lui, il a répondu qu’il chantait pas parce qu’il était pas brésilien. Alors moi, j’ai dit que s’il était pas brésilien ben c’est parce qu’il était… un… je l’ai traité de… j’ai offensé sa mère, sergent! Offensé bel et bien. Dieu du ciel. Alors il a dit que sa mère faudrait qu’elle soit brésilienne pour qu’il soit… ce que j’avais dit. Alors moi, sergent, j’ai trouvé que c’en était trop et je lui ai abîmé le visage, à ce sa**ud! Sur le champ.
— Je vais entendre les témoins de l’incident, Aristodemo. Ensuite, je procèderai selon la justice. “Fiat justitia”, comme disaient les anciens Romains. Ayez confiance en elle, Aristodemo.
“ORDRE DU JOUR
Conformément aux ordres donnés par le Très Exct M. Dr président de cette Caserne de Réservistes et après avoir entendu six témoins oculaires et auditifs à propos du déplorable incident intervenu hier en cet établissement, duquel a résulté un coup reçu à la joue droite par la recrue Guilherme Schwertz, n°81, j’informe que la susnommée recrue Guilherme Schwertz, n°81, est exclue des rangs de l’armée, je veux dire de cette Caserne de Réservistes, vu qu’elle s’est montrée indigne d’arborer l’uniforme glorieux de soldat national du fait des injures absolument infâmes qu’elle a osé porter contre l’honneur immaculé de la femme brésilienne et principalement de la Mère, ajoutant qu’elle a commis pareil acte délictueux contre l’honneur national au moment sacré où on chantait en cet établissement notre immortel hymne national. J’informe également que par nécessité de discipline, qui est la base sur laquelle s’appuie toute corporation militaire, la recrue Aristodemo Guggiani, n°117, unique responsable du coup susmentionné accompagné de graves ecchymoses, est suspendue un jour à partir de cette date. “Dura lex sed lex”. Je profite néanmoins ce faisant de l’heureuse occasion pour citer en exemple la susnommée recrue Aristodemo Guggiani, n°117, qui doit être suivie au point de vue du patriotisme quoique avec moins de violence malgré la propreté, je veux dire la pureté de ses intentions.
Je profite encore de l’occasion pour déclarer qu’il est expressément interdit de jouer au football dans la cour de cet établissement. Ici nous devons nous occuper seulement de la défense de la Patrie !
São Paulo, 23 août 1926.
(s) Sergent instructeur Aristóteles Camarão de Medeiros.”»