30/08/2022
Marc Agapit est incontournable quand on s'intéresse au fantastique francophone, malgré la qualité très variable de son œuvre prolifique à la collection Angoisse du fleuve noir. Bizarre qu'il ne soit quasiment pas réédité, sans doute que les éditeurs attendent qu'il tombe dans le domaine public... (et c'est encore loin). Premier échantillon, premier carré de lectures :
Greffe mortelle, 1958 : Marc Agapit dissèque une famille riche et détraquée. Pas un pour sauver les autres. Mention spéciale à Charles, le jeune psychopathe qui rêve d'étrangler tout le monde. Une majorité de bourreaux ou de lâches. Et au milieu, quelques petits enfants, victimes innocentes, abandonnés comme des agneaux aux loups de la forêt. Dans un style froid, plein d'humour noir (britannique ?), presque télégraphique, il dépeint les cruautés des uns envers les autres, les obsessions quant à la pureté des gènes, prétexte aux pires crimes. Si l'atmosphère est fantastique, l'horreur est avant tout sociale. Un conte macabre qui peut faire penser à Shirley Jackson par instants, mais qui se passe bien de comparaisons.
La ville hallucinante, 1966 : Le narrateur se réveille dans le métro parisien. Il ne se souvient de rien. Qui est-il ? Où va-t-il ? Quelle est cette ville étrange où des policiers en uniforme rouge le poursuivent ? Pourquoi figure-t-il sur la liste placardée des ennemis publics ? Pourquoi n'a t-il d'autre choix que de se rendre dans des tribunaux et de subir des peines inhumaines ? Un roman de Marc Agapit qui ne dévie jamais, d'une remarquable intensité jusqu'à un final saisissant. Sur les traces existentialistes de Kafka, il crée une atmosphère diablement angoissante, qui n'apporte jamais de véritable réponse, ni de répit. Il n'y a pas d'échappatoire pour le narrateur qui découvre peu à peu la personne qu'il a été. Bien sûr, un monstre, typique de l'univers d'Agapit, qui dévore sa propre famille. Une couverture de Gourdon réussie et qui illustre bien le récit.
Le mur des aveugles, 1970 : Le roman commence par une scène étrange, un train vide et éteint qui arrive de nulle part, puis un mur contre lequel se cognent des aveugles. Il s'agit d'un rêve ou plutôt d'un cauchemar saisissant, qui s'avère être la métaphore ou la représentation des enfers et du purgatoire. Car Marc Agapit entend suivre ici les traces du "Là-bas" de Huysmans, et des écrits occultes de Sir Arthur Conan Doyle. Et il le fait avec une certaine humilité. Sur les thèmes classiques du spiritisme et de la possession démoniaque, il arrive à broder une intrigue divertissante, racontée par un centenaire qui paraît digresser et divaguer sans cesse, mais qui, en réalité, dirige la narration avec une surprenante finesse, teintée d'ironie, d'humour noir et de la misanthropie typique de l'auteur. La couverture de Gourdon n'a rien à voir avec le contenu.
L'ogresse, 1972 : Une histoire de réclusion, de vengeance et de substitution, avec de nombreux défauts. En effet, l'intrigue est tirée par les cheveux, le récit perd en crédibilité par endroits. L'auteur s'efforce de tout expliquer, se perd parfois en circonvolutions. Cependant, il y a une scène au milieu qui rattrape tout. Une scène d'horreur mémorable, qui suscite un malaise profond, fascine par sa beauté macabre. C'est la transformation d'un personnage, d'une victime en monstre, la fameuse "ogresse" du titre. Marc Agapit aurait pu capitaliser dessus et aller vers la fantasmagorie. Malheureusement, il a préféré se tourner vers une enquête rationnelle et peu aboutie.
Merci à Nahon Georges pour ses témoignages de l'époque, et je devrais sans doute me pencher sur l'étude critique de collection Angoisse de Philippe Gontier et Laurent Mantese, paru chez Artus. J'ai retrouvé le dossier de Julien Dupré et Jean Paul Labouré ici : http://polarophile.free.fr/dossiers/DOSSIER%20MARC%20AGAPIT.pdf?fbclid=IwAR1q6_070UL4OKBYVtDe6UIdOh6hjYhgmfqJWu-jRpghHZO-5z7jzcrAMmw