07/03/2022
Aujourd’hui, c’est ornithologie. Chez les indés, on s’intéresse à tout, y compris aux volatiles. Nous allons donc vous parler de corbeau et pas n’importe lequel : LE corbeau. Celui qui distille – anonymement bien sûr – ses petites vacheries à sa ou ses victimes du moment. Et pour illustrer le propos, on est allés chercher le « créateur » original de la chose.
Commençons par le commencement. Notre histoire débute en Corrèze, à Tulle, en 1917. Cette sympathique ville de 13 000 habitants est donc le théâtre de ragots intimes, signés « l’œil de tigre » visant essentiellement des fonctionnaires de la préfecture, à commencer par Jean-Baptiste Moury, chef de service et Angèle Laval, une secrétaire. On vous passe les détails mais en gros, JB est une bite à roulettes et Angèle une chaudasse. Les premiers intéressés, légèrement mais alors très légèrement gênés, essayent de planquer l’affaire. Les réseaux sociaux de l’époque étant assez lents, ils espèrent se faire oublier rapidement.
Mais notre bestiole, qui ne s’appelle pas encore un corbeau, n’en reste pas là. Au fil du temps, elle inonde la ville de courriers plus infâmes les uns que les autres, jusqu’à en déposer sur les marches de l’église avant la messe (l’ancêtre du « transférer à tous », si vous préférez). L’ambiance devient de plus en plus pourrie à Tulle et on ne peut même pas compter sur François Hollande pour nous faire une petite gaffe.
La presse, elle, s’en donne à cœur joie. C’est un peu la téléréalité du moment et franchement, ça change de la guerre, puis de l’armistice en boucle sur BFM TV.
Les meilleures choses ayant une fin, les bonnes blagues du futur corbeau cessent d’être marrantes quand Auguste Gibert meurt d’une congestion cérébrale consécutive au choc d’apprendre par un SMS vengeur que sa femme serait l’auteure des courriers (spoiler : non ce n’est pas elle). L’air de rien, cela fait déjà quatre ans que le volatile s’éclate dans la bonne ville de Tulle. Sa notoriété est à présent nationale et fait la Une de tous les JT.
Mais alors, que fait la police ?
Ah mais elle enquête, rassurez-vous. Seulement, on n’est pas exactement dans un épisode des Experts Manhattan. Cela dit, on finit par faire appel à Edmond Locard, papa du premier laboratoire scientifique, fondé à Lyon en 1910. Et Edmond, qui a plus d’une corde à son arc, décide de tenter la graphologie (l’hypnose n’ayant pas fonctionné). À l’issue d’une longue, répétitive et de plus en plus rapide dictée – pour tromper l’ennemi – pouf, le suspect sort comme le lapin du chapeau.
Et on vous le donne dans le mille, Émile (ou Edmond), c’est… Angèle la coupable. Oui, celle-là même qui se disait la première victime. Son mobile ? Un truc vieux comme nos robes : la jalousie. Car voyez-vous, notre vieille fille en pinçait pour son chef de service, JB (oui, la bite à roulettes) et elle avait ainsi espérer le faire tomber dans ses bras. Mais voilà, le JB lui avait préféré une autre employée, renoncé à ses maîtresses, contracté mariage et fondé famille avec la rivale d’Angèle. D’où la montée en pression.
Revenons-en à notre corbeau.
Le jour de son procès, en décembre 1922, Angèle se présente au tribunal, vêtue de noir de la tête aux pieds. La similitude est confirmée par un journaliste du Matin, qui la décrit ainsi : « Elle est là, petite, un peu boulotte, un peu tassée, semblable sous ses vêtements de deuil, comme elle le dit elle-même, à un pauvre oiseau qui a replié ses ailes. »
Vingt-et-un ans ans plus t**d, Henri-Georges Clouzot réalise « Le Corbeau », inspiré de l’affaire de Tulle et de l’aspect de l’accusée. Et voilà comment la bestiole symbolise désormais l’auteur(e) de lettres anonymes.