28/09/2017
Naturacademy
★★ Les liens tabous entre sport de haut niveau et troubles du comportement alimentaire ★★
Les troubles du comportement alimentaire (TCA) regroupent un large panel de pathologies, les 3 plus connues étant l'anorexie mentale, la boulimie et la compulsion alimentaire. On estime à au moins 10% la prévalence des TCA dans la population générale dans les pays occidentaux, l'anorexie et la boulimie ne concernant presque exclusivement que des femmes de 12-35 ans.
Mais il y a une autre catégorie de personnes chez lesquelles les TCA sont parfois passés sous silence, les sportifs (surtout de haut niveau). Les données sont encore rare, mais on considère que la prévalence est supérieure à la population générale, une étude norvégienne ayant par exemple mesurée des TCA chez 13.5% des athlètes professionnels, en particulier dans les sports de saut (saut en hauteur, à ski, à la perche...) chez les hommes et les sports esthétiques (gym, patinage artistique). Les sports d'endurance et ceux à catégories de poids (lutte, judo...) sont aussi particulièrement concernés.
Les sportifs sont soumis aux mêmes pressions que tout le monde pour se conformer à des standards de minceur et de beauté, mais sont aussi soumis aux exigences de performance et aux pressions de leur entourage sportif.
Dabs les sports d'endurance, jusque dans les années 1990, le mot "anorexie" était presque tabou, et les femmes touchées ne savaient pas vers qui se tourner. De plus, pendant longtemps, les médecins ne se sont focalisés que sur la "triade de l'athlète féminine", l'idée que les TCA sont liés en général à des risques d’aménorrhée et d'ostéoporose, le tout découlant d'une sous-nutrition. Mais depuis 2015, le CIO l'a remplacé par le terme de "déficit relatif énergétique dans le sport", pour inclure les hommes et les autres problèmes liés à une malnutrition.
En effet, les hommes sont concernés aussi, et notamment dans le cyclisme. Les coureurs professionnels sont connus pour perdre beaucoup de poids entre le hors-saison et la pleine saison, et de plus, quelques kilos en moins sur la selle peuvent représenter de précieuses secondes en course. Tyler Hamilton, ancien coéquipier de Lance Armstrong, raconte par exemple comment on lui a fait comprendre à son arrivée dans l'équipe qu'il fallait qu'il perde du poids rapidement, et comment le nutritionniste de l'équipe levait les yeux au ciel dès qu'il mangeait un gâteau. Les 3 mois avant le Tour de France chaque saison, il s'entraînait 6h par jour avec parfois rien dans le ventre pour perdre du poids le plus possible.
L'encadrement des sportives de haut niveau (coachs, etc.) a commencé à être sensibilisé au besoin de faire attention aux mots employés et aux effets négatifs de certaines remarques sur le poids, mais les coachs des sportifs hommes n'a pas fait le même chemin.
La pression de perdre du poids à tout prix persiste car beaucoup d'athlètes voient qu'ils sont plus rapides sur une ou deux saisons, mais les bénéfices disparaissent aussi vite dès que le corps ne peut plus suivre, et les TCA développés pendant ce temps-là peuvent eux rester des années. Lauren Fleshman, une ancienne championne américaine d'athlétisme, raconte par exemple comment chaque saison il y avait toujours une fille sortie de nul part qui faisait un podium, mais qu'on ne revoyait plus jamais ensuite, le prix à payer ayant été trop fort physiquement...
Chez les femmes, un des signes les plus évidents d'un TCA sévère est l’aménorrhée, car l'absence de règles vient du manque d’œstrogènes, et donc du manque de masse grasse. J'ai rencontré de nombreuses sportives pro qui m'ont raconté comment leur encadrement considérait cela comme normal, ou même comme un signe qu'elles s'entraînaient dur (et donc bien). Sauf qu'une aménorrhée prolongée peut entraîner des dommages irréversibles sur la fertilité et sur la santé osseuse.
Les TCA peuvent bien sûr aussi être liés à d'autres problèmes mentaux comme la dépression, l'anxiété, etc., chez des jeunes dont le sport représente parfois toute leur vie depuis des années et dont l'identité repose entièrement dessus. Les TCA sont donc aussi parfois une forme d'appel à l'aide...
Comment se sortir des TCA pour tous ces sportifs ? Pour beaucoup (pas tous heureusement) cela demande déjà l'arrêt des compétitions, pour retrouver un équilibre, et ne plus chercher à être dans la perfection et la performance sur tous les aspects, y compris son alimentation. Arriver aussi à ne dépendre à 100% psychologiquement de ses performances et avoir une vie en-dehors, et finalement comprendre que la santé à long terme est aussi importante que les résultats à très court terme ;-)
Pour finir et élargir aux sportifs amateurs, je suis par contre là plus pessimiste. En effet, depuis quelques années, les réseaux sociaux ont amené quelque chose d'inédit dans l'histoire, le fait d'être confronté en permanence à des images de corps "parfaits", de coachs sportifs/sportives montrant leurs repas parfois très restrictifs. Et les travaux de psychologie ont bien montré que les personnes, à commencer par les jeunes filles, qui regardaient ces images quotidiennement avaient une image d'elles bien plus négatives. On pourrait aussi parler du fait que les TCA se nourrissent des modèles alimentaires "restrictifs" (avec des cadres rigides), permettant de donner aux personnes en souffrant ce sentiment de contrôle qu'elles recherchent.
D'où l'importance de diffuser plutôt un message positif qui soit orienté sur la santé globale à long terme, de soi, de son entourage et de la planète, et qui ne néglige pas le bien-être mental ;-)
Références :
https://www.anorexie-et-boulimie.fr/articles-208-epidemiologie-des-tca.htm
https://www.medecine-nutrition.org/articles/mnut/abs/2012/01/mnut2012481p28/mnut2012481p28.html
http://journals.lww.com/cjsportsmed/Abstract/2004/01000/Prevalence_of_Eating_Disorders_in_Elite_Athletes.5.aspx
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24620037
https://www.outsideonline.com/2191906/eating-disorders-are-more-common-you-think?utm_sq=fh0a54wi8l