23/09/2022
GÉNÉALOGIE DES EXPRESSIONS "par la grâce de Dieu", "Dieu est au contrôle", "Dieu fera" DANS LA SOCIÉTÉ CONGOLAISE CONTEMPORAINE :
voici venu le moment de poser un regard nouveau, un verre grossissant sur ces expressions qui ont envahi le parler congolais. Je vais tenter de dater l'apparition de ces expressions, de voir comment elles sont nées, d'examiner ce qu'elles disent de l'homme, de la société et du pouvoir politique congolais. Je vais soulever le couvercle malgré moi, attention aux odeurs qui vont remonter de la marmite. Protégez-vous, suspendez votre respiration, serrez vos fesses, ruminez ce que je vais dire.
1. CES EXPRESSIONS "par la grâce de Dieu", "Dieu fera", "Dieu est au contrôle" ONT-ELLES TOUJOURS ÉTÉ UTILISÉES AU CONGO ? La réponse est non, car né à Pointe-Noire à l'hôpital Adolphe Sicé contrairement à mon cher VR Au Carré qui est né à Jacob (presque dans la brous..., mdrrr), je connais le Congo des villes : Pointe-Noire, Brazzaville. Ni mes parents, ni mes amis, ni les hommes politiques n'utilisaient ces expressions. C'est depuis les années 2000 que ces expressions sont à la mode au Congo et dans la diaspora. Lorsqu'un inconnu me contacte in box, si je lui dis : "Bonjour, comment allez-vous ?", et s'il me répond : "ça va bien, par la grâce de Dieu !". Sans demander sa nationalité ni son lieu de résidence, je sais que c'est un Congolais ! Ces expressions sont majoritairement utilisées par des jeunes, mais aussi par l'élite, c'est-à-dire les hommes politiques et les lettrés. Pas étonnant ! Au Congo, les valeurs du peuple sont celles de l'élite (sape, par exemple). On est de l'élite tout simplement parce qu'on fait de la politique, qu'on a un gros ventre, qu'on possède de gros véhicules, qu'on est propriétaire de belles villas et qu'on a à sa disposition des maîtresses ébélé. L'élite congolaise, y compris les Francs-maçons, ne se distingue pas par ses valeurs. Une élite qui ne crée pas des valeurs, un mode de vie positif est-elle encore une élite ? Passons...
2. DANS QUELLES CONDITIONS ET DANS QUELLES CIRCONSTANCES LE CONGOLAIS S'EST-IL ABONNÉ A CES EXPRESSIONS DIVINES ? L'utilisation de ces expressions est la conséquence de la guerre civile de 1997 et surtout de la paupérisation chronique des Congolais depuis les années 2000. Plus le Congo se meurt, plus Dieu inspire les gens !
3. QUE VEULENT DIRE CES EXPRESSIONS ? "Par la grâce de Dieu", "Dieu fera", "Dieu est au contrôle", "Dieu est balèze", le Congolais veut dire qu'il vit dans une société qui ne le protège pas, qui ne le soigne pas, qui le fait cohabiter avec des mouches, des asticots, de la saleté, des maladies, une société ou, disons-le clairement, un Etat qui peut le tuer, qui le torture, qui le bâillonne, qui l'animalise, qui le domestique, un Etat qui lui distribue de l'eau nauséeuse, de l'électricité saucissonnée (délestage). Dans ces conditions, se réveiller chaque matin est un hasard, un miracle. Comme il n'y a aucun pouvoir humain positif au Congo, aucun Etat organisé au Congo, proche du peuple, ce miracle ne peut provenir que de Dieu ! Face à celui-ci, le Congolais se fait tout petit, se montre excessivement reconnaissant.
Par voie de conséquence, un stylo ramassé dans la rue, une bière offerte par un ami, des euros envoyés en Western Union par un frère d'Europe, une pluie qui tombe, un soleil qui apparaît, un oiseau qui chante, une toux qui s'arrête, la réussite à un examen, un cafiste qui dit à une Congolaise "je t'aime", bref des choses importantes et insignifiantes qui font tout simplement partie de "l'économie de la vie", des choses qui sont liées à l'acte d'exister, des choses qui ne peuvent arriver qu'à un être vivant, sont perçues comme l'action de la providence, de la main divine.
L'utilisation de ces expressions ne signifie pourtant pas que la société congolaise est devenue pieuse, morale, exemplaire. Des prénoms à connotation religieuse comme Plamedi (Plan merveilleux de Dieu), Merdi (Merci Dieu ou Merveille de Dieu), Glodi (Gloire à Dieu), Promedi (Promesse de Dieu), "Dieuadonné", "Dondivin", « Dieuveil » qui pullulent aujourd'hui au Congo ne prouvent aucune religiosité, Nada ! Que nenni ! Le Congolais vit dans une société où la boisson, la baise, la corruption, bref les anti-valeurs sont des activités dominantes. Un homme honnête au Congo est considéré comme un "con". La panacée n'est donc pas l'action politique effective, la culture, le travail, mais la prière, la fuite en avance vers un être qui règle tout par magie, sans efforts. C'est la première fois dans l'histoire sociale congolaise que le pasteur devient un cadre, un baron, un "faiseur de systèmes", un entremetteur, un affairiste. Le pasteur a désormais les mêmes pouvoirs et les mêmes tares que les jésuites, bête noire de Voltaire et autres philosophes de lumière.
4. CONCLUSION : les expressions "par la grâce de Dieu", "Dieu fera", "Dieu est au contrôle" sont des symptômes d'une société politique malade, sont des signes de détresse, d'appauvrissement, de dégénérescence de l'homme congolais... Cela saute aux yeux du généalogiste... Pardon, je referme le couvercle de la marmite.
Texte de Philippe Moukoko juriste , auteur du dictionnaire Général du Congo Brazzaville.
Buildingmyself-mindset avec Beni-To LeMoraliste