06/01/2025
HaYba L'HOMME ET LA SOCIETE
Ce Que « Élire » Veut Dire : Les Enjeux Électoraux
L'acte de vote est souvent présenté comme le pilier de la démocratie, une opportunité pour chaque citoyen de peser sur le destin de sa nation. Mais comprenons-nous vraiment la portée de ce geste ? Derrière l'urne se cachent des réalités complexes : les développements socio-économiques des nations, l’avenir de la jeunesse et de nos enfants, la préservation de nos valeurs religieuses et culturelles, en un mot, derrière l’urne se cachent nos destins les plus précieux de ce bas-monde et de l’au-delà. L'élection, censée traduire un contrat social entre le peuple et ses dirigeants, est-elle toujours exercée dans cet esprit ? À l'ère actuelle des dynamiques globales et des espoirs nationaux où chaque nation cherche à s’émanciper en élisant le dirigeant le plus idéal, avons-nous vraiment compris, nous les Comoriens, le sens du verbe « élire » ?
I. L’éducation, pilier de la démocratie électorale
Il est clair que l’élection est perçue comme l’apogée de la démocratie, mais sa véritable essence repose sur une condition préalable : l’éducation du peuple. Le concept même de démocratie, issu du grec ancien dêmokratía, combine dêmos (peuple) et kratos (pouvoir ou souveraineté), ce qui se traduit par « le pouvoir du peuple ». Cependant, pour qu’un peuple exerce pleinement ce pouvoir, il doit d’abord être éclairé, et donc éduqué. Et comme l’a si bien exprimé James Baldwin, « l’ignorance, alliée au pouvoir, est l’ennemi le plus féroce que la justice puisse avoir ». Cette phrase souligne le danger d’une population mal informée lorsqu’elle se voit confier le droit de choisir ses dirigeants. Éduquer un peuple n’est donc pas un luxe, mais une nécessité préalable à toute véritable démocratie. Voter démocratiquement ne consiste pas simplement à déposer un bulletin dans une urne, mais à le faire avec discernement, responsabilité et une pleine conscience des enjeux collectifs. Une élection, dans son idéal, doit promouvoir le changement, servir l’intérêt général et garantir un avenir meilleur pour tous. C’est ce que signifie le devoir civique dans le cadre d’une démocratie électorale. Dès lors, les Comores respectent-elles cette exigence démocratique électorale ?
II. Contrat électoral aux Comores : Un Pacte Brisé
Il convient de rappeler que l’élection repose sur l’idéal du contrat social rousseauiste, où les citoyens délèguent leur pouvoir à un leader en échange de justice et de respect des droits. Cependant, ce pacte est rompu dans plusieurs pays africains, y compris les Comores, par des promesses non tenues ou des manipulations électorales. Dans ces pays, le processus démocratique est fragilisé par la précarité socio-économique et l’ignorance des citoyens. Les électeurs, sous pression, acceptent parfois des aides financières ou des dons matériels, sacrifiant les conséquences à long terme de leurs choix. L’élection devient alors un rituel dénué de son essence, à savoir un échange de confiance et de responsabilité. La classe dirigeante exploite les failles de l’ignorance de la population, manipulant une population vulnérable grâce à son éloquence, ses moyens financiers et ses promesses non tenues. Ce déséquilibre révèle une démocratie informelle, où les idéaux d’égalité et de justice sont éclipsés par des dynamiques d’abus de pouvoir et de domination.
III. Les élections communautaires
Il convient de souligner que l’élection communautaire, où les candidats sont choisis selon leur famille, leur village ou leur région, constitue un danger pour les nations traditionnelles. En réduisant la démocratie à des alliances ethniques ou villageoises, ce système éclipse les compétences et les idées au profit du népotisme. Contrairement aux nations avancées, où une éducation civique éclairée guide les électeurs vers des choix rationnels basés sur des programmes solides, ces pratiques reflètent une démocratie erronée, dépourvue de savoir. Cette tendance renforce les divisions sociales, perpétue l’ignorance et freine le progrès économique et politique. Les critères arbitraires comme la richesse ou l’éloquence dominent, alors que le mérite et la vision pour l’intérêt général passent au second plan. Si cette approche persiste, elle creusera davantage l’écart entre les nations modernes et traditionnelles, nous plongeant dans un obscurantisme absolu, où les périodes électorales deviendront des moments significatifs d'égarement pour la nation.
IV. Période électorale ou période des conflits et clivages ?
Aux Comores, les élections sont souvent marquées par des conflits sociaux et des clivages entre militants du régime et de l’opposition. Ces rivalités divisent les familles, séparent des amis, et provoquent des divorces, révélant un manque de culture politique et de respect des principes déontologiques. La période électorale devient ainsi un moment de tensions, où les soutiens contradictoires engendrent des querelles destructrices. Pourtant, la politique, comme les disciplines universitaires, doit s’appuyer sur des méthodes, des techniques et une déontologie garantissant rigueur et éthique. En respectant ces principes, les débats politiques pourraient se concentrer sur les idées et les programmes, plutôt que sur des attaques personnelles. Les politiciens et militants doivent comprendre que l’adversité politique est un échange d’idées pour le bien commun, non une source de division. Faute de cette prise de conscience, les conflits partisans continueront d’affaiblir les liens sociaux et d’entraver le développement démocratique et national.
V. Manipulation électorale : Quand les problèmes réels sont ignorés
Dans les sociétés traditionnelles, les candidats aux élections exploitent souvent l’ignorance des citoyens. Leurs discours, éloquents mais déconnectés des réalités locales, attirent des applaudissements de partisans sans pour autant aborder les questions essentielles liées à la vie quotidienne. Cette stratégie repose sur une parfaite connaissance des lacunes éducatives et civiques du peuple, permettant à ces candidats de détourner l’attention aux vraies questions. Dans un pays confronté à de multiples problèmes : absence d’électricité, d’eau potable, de soins publics, d’une éducation de qualité, de sécurité nationale, et une montée du chômage, les attentes électorales devraient porter sur des programmes réalistes et adaptés à ces problèmes cruciaux. Diagnostiquer un candidat digne de confiance requiert de juger sa capacité à articuler des idées cohérentes et des solutions efficaces. C’est dans cette perspective que les électeurs patriotes, aspirant à un véritable changement, doivent exercer leur droit de vote, non pour l’éloquence, mais pour des programmes adéquats aux besoins réels de la nation.
VI. Voter, un acte religieux
Aux Comores, nation presque totalement musulmane, l'acte de voter va au-delà du simple devoir civique : il devient également une responsabilité spirituelle. En tant que musulmans, les citoyens sont appelés à choisir des leaders justes et compétents, capables de gouverner selon les principes d’équité et de moralité. Le Prophète Muhammad (PSL) a souligné l'importance de confier les responsabilités à ceux qui en sont dignes, il dit « lorsque la responsabilité est confiée à ceux qui n’en sont pas dignes, attends-toi à l’Heure (du jugement) » (rapporté par Al-Bukhari, hadith n°59). Ce hadith souligne l’importance de confier les responsabilités et les fonctions à des personnes compétentes et dignes de confiance. Ainsi, un choix électoral éclairé peut rapprocher une personne d’Allah, tandis qu’un mauvais choix, basé sur des intérêts égoïstes ou des critères immoraux, pourrait être source de regret ici-bas et dans l'au-delà. Voter devient donc un acte d'adoration, une occasion de contribuer à la justice et au bien-être de la société, tout en renforçant son lien avec son Seigneur. Aux Comores, ce double engagement civique et religieux est essentiel pour bâtir un avenir meilleur en accord avec les valeurs musulmanes.
Enfin, Voter est bien plus qu’un simple geste : c’est un engagement envers soi-même, sa communauté, son pays et son Seigneur. La richesse ou la pauvreté d’une nation dépend des choix électoraux de ses citoyens, tout comme l’avenir des générations futures. Aux Comores, où les enjeux électoraux sont multiples, chaque voix compte pour construire une société plus juste et plus prospère. En votant, comment pouvons-nous incarner les valeurs et les aspirations que nous souhaitons transmettre aux générations futures ?
Abdillah Elarif, Doctorant en sociologie
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