05/11/2024
🔥 4 citations d'Anselm Jappe, 𝐒𝐨𝐮𝐬 𝐥𝐞 𝐬𝐨𝐥𝐞𝐢𝐥 𝐧𝐨𝐢𝐫 𝐝𝐮 𝐜𝐚𝐩𝐢𝐭𝐚𝐥 (Editions Crise & Critique, 2022) : https://www.editions-crise-et-critique.fr/.../anselm.../
➡ Aucun groupe social défini par son rôle dans la production de la valeur ne pourra, en tant que tel, être considéré comme étant « en soi » au-delà de la logique capitaliste et donc nécessairement voué à son dépassement. Il n’y a pas de sujet nécessairement « révolutionnaire » – que ce soit la classe ouvrière, les peuples du tiers-monde, les femmes ou les marginaux ‒, aucun « bon pôle » prêt à s’approprier le monde et qui n’en est empêché que par la « manipulation » ou la violence des classes dominantes. La valeur est une forme « a priori » ‒ au sens kantien ‒ égale pour tous, ce qui signifie que pour chacun ses intérêts se présentent d’abord sous la même forme abstraite d’argent et de « droits démocratiques ».
p. 46
➡ Le marxisme traditionnel n’a pas su reconnaître dans les classes une catégorie dérivée du rapport-fétiche capitaliste, mais les prenait à tort pour les véritables acteurs de la société, subsumant alors l’ensemble des catégories reproductives du capital sous la raison dernière d’une subjectivité sociologique. Les sujets collectifs, comme les classes, ne sont pas en réalité les acteurs de l’Histoire, mais sont eux-mêmes constitués, recomposés et ensuite dissous, par le mouvement sans sujet de la valeur dont ils sont de façon immanente les différentes personnifications et agrégats sociologiques ‒ aux intérêts opposés, mais au sein d’une forme commune présupposée. Le conflit entre prolétariat et bourgeoisie n’était pas autre chose qu’un conflit à l’intérieur du rapport capitaliste : le conflit entre un pôle personnifié de ce rapport et son autre pôle. L’auto-mouvement tautologique et sans sujet de l’accumulation du capital, n’étant pas la répétition du même au sein des mêmes formes empiriques, sociologiques et historiques, la phénoménalisation sociologique du rapport-capital n’a pas toujours endossé la forme des grandes classes sociales évoquées par Marx au xixe siècle et prises à tort pour l’essence du capitalisme. Il constitue un rapport dynamique qui ne cesse de modeler et réencoder ses supports concrets et visibles pour les rendre adéquats à ses conditions transformées. La dérivation de la structure sociologique du capitalisme est ainsi elle-même changeante au cours de son histoire et de sa trajectoire de production.
p. 50-51
➡ le capitalisme est un système fétichiste et inconscient, régi par le « sujet automate » (Marx) de la valorisation de la valeur. La domination personnelle des propriétaires juridiques des moyens de production sur les vendeurs de force de travail n’est que la traduction « sociologique », visible en surface, du mécanisme auto-référentiel de l’accumulation du capital
p. 66
➡ Le fait que les activités dissociées ne produisent pas directement de la valeur ne signifie pas qu’elles constituent une dimension « libre » ou « non réifiée » : elles jouent un rôle auxiliaire pour le travail abstrait et en portent l’empreinte. Concrètement, le « travailleur » mâle ne pourrait pas créer de la valeur s’il n’avait pas une femme qui s’occupe de son bien-être, lui fait le ménage, élève ses enfants. La valeur est donc structurellement « masculine », même si des femmes peuvent arriver à produire de la valeur, voire parfois à commander sa production. Selon la critique de la valeur-dissociation, la société de la valeur et du travail se fonde, historiquement et logiquement, sur une logique d’exclusion : n’y compte pour « sujet » à plein titre que celui qui a complètement intériorisé la mentalité de travail et ses corollaires – autodiscipline, rationalité, dureté envers soi-même et les autres, esprit de concurrence, etc. –, en expulsant tout le reste (et c’est la « dissociation »). Le sujet « mâle » et le non-sujet « femme », sont constitués sur le plan de la subjectivité par cette dissociation-valeur. La dissociation ne concerne pas seulement les femmes sur le plan socio-psychique. Pour survivre et être performant dans l’univers de la marchandise et du travail, de la politique, de la science et de l’État, le sujet masculin lui-même, socialement dominant, doit intérioriser, à travers la violence envers lui-même, l’autodiscipline, les contraintes sociales objectives afin de se rendre adéquat au fonctionnement de cet univers. Processus qui va faire de son genre le « sexe du capitalisme ». Dans ce processus de subjectivation, l’homme endosse la forme du sujet moderne. Il est dès lors le sujet de connaissance et de volonté, il est par-dessus tout, sur le plan logique et historique, le sujet économique et le sujet politique – l’homo economicus et l’homo politicus –, et enfin le sujet qui arraisonne et domine la nature. Mais il ne peut devenir ce sujet dominateur qu’au prix d’une dissociation interne : le mâle doit expulser et refouler tout ce qui ne peut assumer la forme du travail et la forme de la valeur, et l’attribuer extérieurement au non sujet de l’Autre : la femme et le non-blanc, le tzigane et le surnuméraire. Et ce procès d’expulsion et de refoulement de ce dissocié, sera aussi constitué par la peur de son retour, qui pourra toujours se transformer en une haine des femmes, une peur de la démasculinisation, etc. L’exclusion des femmes, des non-blancs et d’autres sujets « mineurs » n’était donc pas une « inconséquence » dans le cadre d’une logique de la valeur vide de contenu propre et qui, en suivant son principe, devrait englober le monde entier et pourrait bien le faire un jour ; au contraire, cette exclusion a été constitutive dès le début, même si ses formes empiriques ont beaucoup changé depuis l’époque des Lumières.
p. 78-79
Le capitalisme, ce n’est pas uniquement « les capitalistes » : c’est avant tout une totalité sociale, l’ensemble des relations, déterminées par le capital et sa logique propre, qui structurent la vie moderne. Aussi doit-il être analysé et combattu dans sa totalité. La critique de la va...