02/02/2023
HISTOIRE DE GHAṢIRA
PREMIERE TRAVERSEE DE L'AURES PAR LES FRANÇAIS
La lecture de correspondance du maréchal m'apprit beaucoup de choses sur les durs combats et les pénibles péripéties qui jalonnèrent la conquête de l'Algérie. Mais deux lettres retinrent particulièrement mon attention, elles avaient été écrites dans l'Aurès.
En mai 1850, Saint-Arnaud, alors général, avait pris le commandement d'une colonne de 5 000 hommes, avec mission de traverser le pays chaouïa, de part en part, de Lambèse à Biskra. Vingt ans après le débarquement de Sidi-Ferruch, la pacification de l'Algérie n'était pas achevée. Après la prise de Constantine (octobre 1837) l'armée française était solidement installée dans les villes de la province : Bône, Bougie... et aussi Batna et Biskra. Mais l'Aurès demeurait inviolé.
Les tribus chaouïa, toujours insoumises, étaient l'objet d'une pression constante de la part des troupes françaises, qui avaient contourné le massif, par l'ouest, de Batna à El Kantara et Biskra et, par l'est, de Khenchela à Khanga Sidi-Nadji. En mars 1844, le duc d'Aumale, pourchassant Mohamed Es-Seghir, khalifa de l'Emir Abd El-Kader, avait occupé l'oasis de M'chounèche. Mais à l'intérieur du pays, seules des
expéditions de courte durée avaient été tentées. En 1845, l'une de ces actions, commandée par le colonel Canrobert, avait contraint Si El-Hadj Ahmed, dernier bey de Constantine qui s'était réfugié dans l'Aurès après la prise de sa capitale par le général Valée, à faire sa reddition.
Cette fois, il s'agissait de pénétrer plus avant et de s'établir dans tout le pays chaouïa. Partie du siège de l'ancienne VI° Légion romaine, la colonne de Saint-Arnaud remonta le versant nord du massif en empruntant la vallée de l'Oued Taga. Arrivée au cœur de l'Aurès, elle bivouaqua au pied de la muraille rocheuse du Djebel Zellatou, barrant la vallée de l'Oued el Abiod.
Le 9 juin 1850, le général écrivait à sa mère : « Je viens d'arriver dans un entonnoir, entouré de rochers à pic, qu’on pourrait appeler la fin du monde. Pour seule issue, une bordure de rochers d'une élévation de cinq cents mètres, c'est dans ce défilé dangereux que je vais engager ma colonne. Jamais les troupes françaises ne sontmontées ici. Une inscription taillée dans le roc constatera notre arrivée, notre passage, le numéro des régiments de la colonne et mon nom comme commandant de cette expédition. »
Le lendemain à l'aube, la troupe s'engagea sur la piste taillée à flanc de rocher, surplombant le torrentueux cours d'eau dans les gorges de Tighanimine. Quelle ne fut pas la stupéfaction de Saint-Arnaud, lorsqu'à mi-parcours, il découvrit l'inscription romaine, commémorant le passage d'un détachement de la VIe Légion ! Cette fois, c'est à son frère, avocat à Paris, qu'il fit part de sa surprenante découverte !: «Nousnousflattions, écrit-il, d'avoir passé les premiers le défilé de Khanga-Tighanimine : erreur ! Au beau milieu, gravée dans le roc, nous avons lu une inscription parfaitement conservée, qui nous apprend que, sous Antoninle Pieux, la VIe Légion (ferrata) romaine avait fait la route à laquelle nous travaillons actuellement mil six cent cinquante ans après ! Nous sommes restés sots !... »
Et Saint-Arnaud, meilleur latiniste que moi puisque, apparemment, il n'avait pas eu besoin d'avoir recours à un archiviste paléographe pour déchiffrer l'inscription, renonça à son projet de graver dans la pierre la marque de son passage. Dommage ! Quel symbole eût été pour les générations futures la trace de cette rencontre, au cœur de l'Aurès, des soldats de l'Armée d'Afrique mettant leurs pas dans ceux des Légionnaires romains.
Ighaṣiren