04/02/2019
L'histoire abracadabrante de la compagnie Ross riffle and co basé sur les plaines a Québec. Une histoire surprenante. Carabine Ross m-10 trouvé dans une vieille grange avec la permission de la propriétaire. La carabine était dans un état pitoyable (photo perdue) je ne pensait pas la sauver mais après des heures de travail et beaucoup d'huile de coude la voici :) Avec L'histoire parue dans le journal le soleil bonne lecture.
Le mardi 2 avril 2014
Québec
De fierté nationale à fusil maudit
Jean-Simon Gagné
Le Soleil
À Québec, le fusil Ross provoqua un scandale. En Europe, il mit en péril la vie des soldats canadiens. À Ottawa, il causa la chute d'un tout-puissant ministre de la Guerre. Voici son histoire.
À la mi-avril 1902, la ville de Québec est en émoi. Le gouvernement fédéral annonce la construction d'une énorme usine de fusils, en plein milieu des plaines d'Abraham. À l'endroit exact où le marquis de Montcalm a été mortellement blessé lors de la bataille de 1759!
Depuis des années, la ville de Québec rêve de transformer le secteur en parc. D'en faire un paysage romantique à l'anglaise. Et voilà qu'Ottawa impose une usine hideuse! Autant dessiner une moustache à la Joconde! Pire, le terrain des Plaines est cédé pour une période de 99 ans, en échange du paiement de la modique somme d'un dollar par année!
Le propriétaire de la future usine, Sir Charles Ross, est un riche anglais excentrique. Jusque-là, Monsieur s'est surtout fait connaître pour ses trois passions : la chasse, le tir et les querelles devant les tribunaux. À Londres, il a même intenté un procès très médiatisé à sa propre mère, qu'il soupçonnait de détournement de fonds!
Quelques mois plus tôt, Sir Charles est revenu de la guerre des Boers avec un fusil «révolutionnaire» de son invention. En Grande-Bretagne, le verdict de l'armée a été sans appel : «Bon pour la chasse; pas pour la guerre.» Mais au Canada, le fusil a été accueilli en sauveur. Le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier ne veut plus dépendre de l'étranger pour ses approvisionnements en armes. Il déroule le tapis rouge pour que Sir Ross fabrique son invention au Canada.
Déjà, un comité d'experts constate que le fusil est précis, mais qu'il a tendance à s'enrayer, lors des tirs rapides. Un vilain défaut qui le hantera tout au long de sa carrière. À l'occasion, s'il est mal remonté, il lui arrive même d'exploser au visage du tireur. À la fin, les experts donnent pourtant le bénéfice du doute à Sir Ross, en constatant qu'il est le seul à pouvoir produire un fusil Made in Canada.
Bref, le fusil Ross remporte le premier prix d'une compétition où il est le seul candidat. Mais il n'importe. Il est présenté comme le fusil canadien tant attendu. Un objet d'orgueil national. Emporté par l'émotion, le ministre libéral de la Milice, Frederick Borden s'exclame : «Le Canada suit désormais sa propre destinée.»
Un fusil étranger
L'usine des Plaines est terminée au début de 1903. Dès lors, les re**rds et les problèmes s'accumulent. Sur les 12 000 exemplaires qui doivent être livrés en 1903, seulement 1361 sont fabriqués en... 1905. À ce rythme, l'armurerie Ross, comme on la surnomme, s'acquittera de sa commande avec 20 ans de re**rd. En espérant qu'il n'y ait pas de guerre, dans l'intervalle!
À Ottawa, l'opposition conservatrice se déchaîne. Sur les 1000 premiers spécimens expédiés à la Police montée, on a recensé 113 défectuosités plus ou moins graves. Pour chaque fusil produit, on calcule que le gouvernement a déboursé 440 $. En 1905, c'est plus que le salaire moyen annuel, au Québec!
Plus gênant encore, le fusil canadien n'a rien de très canadien. L'acier du canon vient de Pittsburgh. Le bois de la crosse arrive d'Europe. Les pièces forgées comme le percuteur ou la gâchette sont fabriquées à Hartford. Le cadre de métal est confectionné à Attleboro, dans le Massachusetts.
Le Montreal Star ricane. «En cas de guerre ou d'urgence nationale nécessitant la production d'armes supplémentaires, l'usine de fusils Ross, tranquillement installée derrière les gros canons de l'imprenable citadelle de Québec, sera aussi utile qu'une fabrique de fromage.»
Malgré tout, il serait injuste d'affirmer que Charles Ross n'améliore pas les différentes versions de son fusil mal-aimé, durant les années suivantes. L'arme controversée gagne même des concours de précision! Sauf que Sir Ross passe beaucoup plus de temps à chasser le tigre en Inde ou à pêcher le saumon sur la Côte-Nord qu'à effectuer des tests dans son entrepôt du Vieux-Port de Québec.
Chaque année, Sir Ross disparaît plusieurs semaines en Écosse, où il possède une forêt de chasse au cerf dont la superficie équivaut à une fois et demie celle de l'île d'Orléans. On devine qu'il n'espère pas y trouver les ouvriers experts en armurerie qui lui font cruellement défaut, à Québec...
Atelier mobile de réparation de fusils Ross sur les champs de bataille en 1917
Photo Bibliothèque et archives Canada
Une impression de déjà-vu
En 1911, quand le gouvernement libéral est battu, tout le monde s'attend à ce que les conservateurs signent l'arrêt de mort du pseudo-fusil national. Mais contre toute attente, le nouveau premier ministre, Robert Borden, nomme un certain Sam Hughes au ministère de la Milice et de la Guerre. Non seulement le nouveau venu est-il un ami de longue date de Sir Ross, mais il est amoureux fou de son fusil! Il l'a déjà décrit comme «l'arme la plus parfaite et la plus complète du monde».
Le fusil Ross est sauvé. Le Canada ne perd rien pour attendre.
Dès que la guerre éclate, en août 1914, les problèmes recommencent. En deux mois, l'usine de Québec n'arrive pas à produire suffisamment d'armes pour les 30 000 volontaires débarqués sur la nouvelle base de Valcartier. Plusieurs soldats reçoivent leur fusil quelques heures seulement avant de s'embarquer pour l'Europe.
Les critiques pleuvent. Elles donnent une impression de déjà-vu. Les hommes constatent que les fusils s'enrayent. Ils trouvent aussi que l'arme est trop lourde et trop longue. Il faut dire qu'en 1914, le soldat canadien moyen mesure 5' 3'' (1,60 m)...
Accouru sur les lieux, le ministre Hughes accuse les critiques de manquer de patriotisme. L'animosité entre certains officiers et le ministre despotique atteint un tel sommet que l'on craint que ce dernier ne se fasse casser la figure.
Et dire que la guerre ne fait que commencer...
La pagaille
Le pire est à venir. Quelques semaines plus t**d, en Europe, le fusil Ross ne fait pas mentir sa réputation calamiteuse. Dès les premiers combats, en mars 1915, à Neuve-La Chapelle, les soldats se plaignent qu'il s'enraye lors de tirs rapides. Le mois suivant, l'histoire se répète autour de la ville belge d'Ypres. Un lieutenant excédé raconte qu'il fallait parfois les efforts de cinq soldats pour garder un seul fusil en état de tirer.
Last but not least, le fusil Ross perd parfois sa baïonnette après un coup de feu. Pas très commode lors d'un combat au corps-à-corps...
Les soldats sont dégoûtés. Sur le terrain, malgré les menaces de leurs officiers, ils se risquent en dehors des tranchées pour récupérer le fusil d'un mort britannique ou allemand. Sur les 5000 survivants de la bataille d'Ypres, plus de 1400 se sont débarrassés de leur fusil Ross.
L'état-major canadien se déchire entre les partisans et les adversaires du fusil national. Ou entre les amis et les ennemis du ministre Sam Hughes. On ne sait plus. Les Britanniques n'en reviennent pas. Le 13 juin 1915, le général John French siffle la fin de la récréation en ordonnant que la 1re Division canadienne soit équipée de fusils britanniques Lee-Enfield.
Pas grave. Le ministre Hughes défendra le fusil canadien jusqu'au bout. Il prétend que ses ratés sont liés à l'utilisation de munitions britanniques de mauvaise qualité. Le 2 mars 1916, il déclare devant la Chambre des communes que le fusil Ross est si populaire, «que [sur la ligne de front], les soldats canadiens doivent dormir dessus, sous peine de voir leurs collègues britanniques les subtiliser».
À la longue, Sam Hughes va couler avec son fusil chéri. Le premier ministre Robert Borden est las de ce ministre de la Guerre belliqueux, qui sème la pagaille dans l'effort de guerre. Au front, les soldats ont développé une véritable allergie envers le ministre. Au point de le rebaptiser Sir Sham Shoes («le Général des bottes truquées») en hommage aux semelles des bottes canadiennes, qui se désagrègent dans la boue des tranchées.
En novembre 1916, Sam Hughes est écarté du Conseil des ministres.
La fin
L'agonie du fusil Ross sera de courte durée. À partir de l'été 1916, il n'est guère utilisé sur les champs de bataille, à l'exception des snipers, qui apprécient sa grande précision. À Québec, la production descend à quelques fusils par jour, avant de cesser complètement, le 19 mars 1917. De guerre lasse, le gouvernement canadien saisit les bâtiments quelques jours plus t**d.
Sur le coup, le propriétaire Charles Ross en veut au monde entier. Il prétend que les munitions de mauvaise qualité constituent un complot des Britanniques pour le détruire. Il accuse aussi le gouvernement canadien de se laisser influencer par la «révolution sociale», pour ne pas dire par les bolcheviques de Lénine eux-mêmes.
Mais l'excentrique Lord anglais s'en tire à bon compte. En janvier 1920, le Canada lui remet 2 millions $, à titre de compensation. Entre-temps, Monsieur est devenu expert en balistique pour le gouvernement américain! En 1919, il accompagne même le président Woodrow Wilson à la conférence de paix de Paris!
Le Canada s'en sort de manière moins glorieuse. En 20 ans, l'aventure du fusil Ross aura coûté 12 millions $ au Trésor, soit environ 250 millions $ en argent d'aujourd'hui. En septembre 1931, l'usine des Plaines est démolie, pour faire place à une vaste citerne souterraine. De nos jours, il ne reste pas la moindre trace de l'usine où était fabriquée l'invention révolutionnaire de Sir Charles Ross, comme si tout le monde avait préféré oublier l'existence du fusil made in Canada.
Pour en savoir plus
ROGER PHILLIPS, FRANÇOIS DUPUIS ET JOHN CHADWICK. The Ross Rifle Story, The Casket Printing & Publishing Co, 1984, 476 p.
JACQUES MATHIEU. Les plaines d'Abraham, le culte de l'idéal, Septentrion, 1993, 320 p.
TIM COOK. At The Sharp End: Canadians Fighting the Great War, 1914-1918, vol. 1, Viking Canada, 2007, 600 p.
TIM COOK. The Madman and the Butcher: The Sensational Wars of Sam Hughes and General Arthur Currie, Penguin, 2010, 480 p.