01/02/2025
REGARD SUR LA PLACE D’ARMES
Situé au cœur du centre-ville, dans le quadrilatère des rues Loring, du Pont, Heriot et du parc Woodyatt, le stationnement public de la place d’Armes est aménagé comme son nom l’indique sur le site de l’ancien champ de manœuvres militaires de la colonie, un lieu historique au passé méconnu dont l’occupation remonte au début du dix-neuvième siècle, à l’époque de la fondation de Drummondville.
À la fin de la guerre de 1812-1814, qui oppose les États-Unis à la Grande-Bretagne, la Couronne britannique invite les soldats et les officiers licenciés à s'établir dans les cantons du bas Saint-François. Le surintendant désigné de la colonie à naître est Frederick George Heriot, un jeune officier ambitieux s’étant distingué lors du conflit anglo-américain.
Le 29 juin 1815, après une brève reconnaissance du terrain, le lieutenant-colonel Heriot aborde aux îles de l'actuel parc Woodyatt avec d’anciens compagnons d’armes dans le but de fonder un établissement militaire aux abords de la rivière Saint-François. Le chef-lieu sera plus t**d connu sous le nom de Drummondville. Sans t**der, sur le coteau surplombant les îles, le fondateur fait construire trois baraques en bois où sont entreposés les outils, les vivres, la poudre et les armes. Ces casernes rudimentaires tiennent aussi lieu de chapelle multiconfessionnelle, d’école, de cour de justice et de dortoir aux colons-soldats en attente d'un lopin de terre à défricher dans l’arrière-pays. Ainsi naît la place d'Armes. L’établissement couvre alors une surface de quatre mille mètres carrés, dont la portion nord-est fait office de champ de manœuvres.
De nouvelles troupes démobilisées se joignent au noyau initial en 1816. En tout, plus de deux cent soixante vétérans foulent le sol de la place d’Armes et s’y installent temporairement avant de s’établir sur le lot qui leur a été concédé dans le canton de Grantham, de Wickham ou de Durham. Plusieurs arrivent dans la colonie avec femme et enfants. Issus de diverses unités de combat de l’armée britannique, dont le 49e Régiment d’infanterie, le 4e Bataillon royal, le Corps des Voltigeurs canadiens et les Régiments suisses de Meuron et de Watteville, les pionniers de la région sont Anglais, Écossais, Irlandais, Suisses, Italiens, Allemands, Espagnols, Polonais et Français.
En établissant des guerriers habiles à combattre et faciles à mobiliser dans les cantons du bas Saint-François, l'administration britannique se donne à la fois les moyens de défendre à peu de frais l'un des accès à la vallée du Saint-Laurent tout en amorçant la mise en valeur des terres incultes arpentées dans la région peu après la Conquête. S’installer à demeure et cultiver le sol exigeant temps et efforts, les anciens soldats de Sa Majesté délaissent progressivement les armes pour les instruments agricoles. La colonie conserve néanmoins son cachet militaire durant ses premières décennies d’existence avec son champ de manœuvres, sa milice et sa toponymie rappelant la mémoire des braves de 1812.
Le grand brasier de 1826, toutefois, consume les trois baraques en bois à l’origine de la colonie et lui arrache un fragment de son identité, de même que 500 fusils appartenant à la milice locale. Ces bâtiments sont peu après reconstruits sur la place d’Armes, mais dédiés à des usages différents. L’un sert exclusivement d’école, l’autre de presbytère anglican. Le dépôt d’armes renouvelé conserve quant à lui sa vocation initiale et son utilisation s’intensifie durant les Rébellions de 1837-1838, alors que le colonel Heriot est chargé de lever douze compagnies de volontaires destinés à surveiller les déplacements des patriotes dans les comtés de Drummond, de Sherbrooke et de Stanstead.
La révolte terminée en 1839 et la paix garantie dans les cantons, les hommes de fer de Heriot troquent à nouveau leurs fusils pour des pioches et la place d'Armes perd graduellement sa fonction militaire. Au fil des ans, l'école et le presbytère érigés en front sur la rue Heriot cèdent la place à des immeubles commerciaux, alors que l'espace jadis utilisé comme champ de manœuvres est réaménagé en stationnement public.
Le paysage urbain ne laisse plus deviner aujourd’hui l’importance de ce lieu historique, le temps ayant profité de l’engouement de l’industrialisation et de la modernité pour en faire oublier toutes les traces. Les bâtiments en brique, les trottoirs en béton et le vaste plancher en asphalte réservé aux voitures ont quant à eux enfermé les vestiges restants dans un écrin de bitume. Heureusement, les recherches historiques permettent de se rappeler l’essentiel.
Un article de la Société d'histoire de Drummond signé par Martin Bergevin.