03/29/2018
Un compte rendu de l'ouvrage de Samuel Faure, Défense européenne, paru dans la R***e française de science politique. «R***e française de science politique, vol., 67, no 4, p. 767-68, 2017
En ces temps de Brexit et d’arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis, la défense européenne n’en finit plus de refaire surface dans le discours politique européen. Mirage ou réelle relance, il est donc intéressant de revenir sur ce sujet. C’est ce que fait notamment Samuel Faure, enseignant en science politique à Lille et récemment diplômé d’un doctorat de science politique portant sur les politiques d’armement en Europe (et en particulier sur le cas de la France). L’opus dont il est ici question se focalise sur un sujet qui a déjà été abordé auparavant: l’émergence d’une culture stratégique commune dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense de l’Union européenne (UE) – PSDC. De même, la démarche adoptée ici n’est pas inédite: plusieurs travaux ont depuis le début des années 2000 proposé d’analyser la construction de la politique européenne de défense et d’une défense européenne en s’appuyant sur les outils de la sociologie politique de l’UE1. Ce n’est donc ni par sa méthode, ni par son approche, que l’ouvrage se démarque2. L’auteur revient d’ailleurs sur une assez large partie de la littérature existante dans sa r***e de littérature en introduction. Empruntant la notion de culture stratégique à Timothy Snyder, S. Faure s’appuie notamment sur des travaux antérieurs3 et postule qu’une culture stratégique européenne tend à émerger parmi les agents de la défense européenne, c’est-à-dire qu’ils adhèrent à «un ensemble de représentations qui leur est propre» (p. 20). Il fonde son hypothèse sur une enquête de terrain qui date de 2007-2009 pour la première vague d’entretiens et 2012-2014 pour la seconde vague4. L’intérêt de cette enquête est qu’elle est assez récente. L’adhésion des agents de la défense européenne à une culture stratégique commune est explorée à travers trois espaces de socialisation: nationale, fonctionnelle et institutionnelle. Pour étayer son hypothèse, l’auteur propose une réflexion en deux parties, elles-mêmes composées chacune de deux chapitres. Le premier vise à contextualiser l’émergence historique et institutionnelle de la défense européenne. Le chapitre 2 définit ensuite le cadre théorique adopté. La seconde partie se compose ensuite d’un chapitre 3 portant sur le rôle socialisateur des institutions politico-militaires de la PSDC et d’un chapitre 4 exposant les représentations des agents de la défense européenne quant aux buts de la défense européenne au regard de l’usage de la force. L’ouvrage conclut sur l’idée que les agents de la défense européenne partagent bien un socle de culture stratégique commune façonnée triplement par leurs socialisationsnationale, institutionnelle et fonctionnelle. Dès lors, cette culture stratégique ne se substitue pasaux cultures stratégiques nationales mais offreun espace commun de représentations collectives partagées entre les agents de la PSDC. La conclusion de ce travail confirme au fond lesétudes conduites antérieurement dans les années2000. En revanche, le chapitre 4 apporte une perspective plus originale car la question de la façon dont les agents de la PSDC perçoivent le but de la politique qu’ils mettent en œuvre est restée sous-explorée jusqu’ici.
La critique principale qui peut être formulée à l’encontre de l’ouvrage de S. Faure est l’omission d’un certain nombre de travaux antérieurs existants déjà porteurs des questionnements qu’il mobilise sur la socialisation des acteurs, qu’il s’agisse de ceux s’appuyant sur les outils de la sociologie politique pour analyser la construction de la défense européenne5, de travaux de référence concernant le fonctionnement institutionnel de la PSDC6, ou encore sur la question des convergences et des divergences européennes concernant l’usage de la force7. En somme, si l’ouvrage ne dénote pas d’avancée significative dans l’étude de la défense européenne, il a le mérite de s’appuyer sur des données actualisées et l’écriture accessible permet au lecteur profane de se familiariser avec le sujet.
Delphine Deschaux-Dut**d, Université Grenoble-Alpes
1. Cf. notamment Frédéric Mérand, «L'Europe des diplomates, l'Alliance des militaires: la PESD comme enjeu de luttes symboliques», Les Champs de Mars, 19, janvier 2008, p. 55-73 ; Delphine Deschaux-Dut**d, «Vers une européanisation des administrations nationales de défense? Convergences et résistances vis-à-vis de la PSDC: une comparaison franco-allemande», R***e française d'administration publique, 49, juin 2014; Delphine Deschaux-Beaume, «De l'Eurocorps à une armée européenne? Pour une sociologie historique de la Politique européenne de sécurité et de défense (1991-2007)», thèse pour le doctorat de science politique, Grenoble, Sciences Po Grenoble, 2008.
2. Cf. l'article fondateur de Karl Haltiner, «Is There a Common European Defence Identity? The Views of Officers of Eight European Countries», Current sociology, 42 (3), 1994, p. 71-85.
3. Notamment Jolyon Howorth, «The CESDP and the Forging of a European Security Culture», Politique européenne,
8, 2002, p. 88-108; Bastian Giegerich, European Security and Strategic Culture. National Responses to EU's Security and Defence Policy, Baden-Baden, Nomos, 2006; Christophe O. Meyer, The Quest for a European Strategic Culture. Changing Norms on Security and Defence in the European Union, Cham, Springer, 2000; ainsi que les travaux d'inspiration bourdieusienne de Frédéric Mérand (notamment European Defence Policy. Beyond the Nation State, Oxford, Oxford University Press, 2008).
4. Le lecteur intéressé apprécierait néanmoins de plus amples développements sur la méthodologie de l'enquête conduite, la ou les langues de travail notamment, même s'il est évident que l'objet de l'ouvrage n'est pas, comme dans une thèse, d'analyser la méthodologie utilisée.
5. Outre D. Deschaux-Beaume, «De l'Eurocorps à une armée européenne?...», cité, cf. aussi Christophe Pajon, «L'Europe de la défense et la transformation des identités militaires: quelle européanisation?», Politique européenne, 2, 2003, p. 148-171.
6. Cf. notamment Fabien Terpan, La politique étrangère, de sécurité et de défense de l'Union européenne, Paris, La Documentation française, 2010.
7. Cf. Franck Petiteville, «Have the Europeans Repudiated the Use of Force? A Dissenting Voice», European Review of International Studies, 2 (1), 2015, p. 3-14.»