09/07/2024
Le Chansonnier cordiforme ou Chansonnier de Jean de Montchenu (Paris, Bibliothèque nationale de France, Ms. Rothschild 2973) est un manuscrit exécuté dans les années 1470–1475 pour un prêtre, Jean de Montchenu (nommé archevêque d'Agen en 1477).
Il contient 43 chansons amoureuses, dont 14 unica, issues des répertoires français et italien, de compositeurs célèbres, notamment Guillaume Dufay, Gilles Binchois, Johannes Ockeghem, Antoine Busnois et des pièces anonymes en lien avec la cour bourguignonne. Richement orné par des peintres de la cour de Savoie, il s'agit de l'un des plus beaux chansonniers de l'époque, unique par sa forme de cœur en position fermée et de deux cœurs accolés en position ouverte.
-- Description --
Écrit sur un parchemin très mince, ce volume relié contient 72 folios de format 22 par 16 cm. Les pages sont blanches à partir de la page 64. Il est l'un des plus beaux chansonniers de son temps et se distingue par sa forme de cœur en position fermée (pièce unique semble-t-il), alors qu'il prend la forme de deux cœurs accolés en position ouverte, magnifique symbole de l'amour chanté à chaque page. Ne figurent que trois autres cas : un livre d'heures à l'usage d'Amiens (BnF latin 10536), du XVe siècle, ainsi que deux recueils poétiques italiens du siècle suivant (conservés à Pesaro, Biblioteca Oliveriana, ms. 1144 et ms. 1145) un des rares consacrés au répertoire de la Lira da braccio.
Un chroniqueur décrit Jean de Montchenu comme « un individu particulièrement perfide, d'honteuse conduite, impudique, haïssable, dissolu et plein de tous les vices ». Il a été excommunié en 1496, un an avant sa mort. Sur la page de frontispice apparaissent ses armes. L’aspect et la couleur du chapeau est celui, non d’un évêque, mais d’un protonotaire. Ce détail permet de situer l’exécution du manuscrit entre 1460, date de l'entrée en fonction de protonotaire, et 1477, date de sa nomination en tant qu'archevêque d'Agen. En outre, le répertoire musical et la comparaison avec d’autres chansonniers contemporains, permettent d’affiner cette datation proche de l'année 1475.
Le volume contient 43 pièces notées à trois parties – à l'exception du numéro 5, présenté à deux voix. C'est un échantillonnage équilibré et représentatif de la production musicale de l’époque. En outre, la présence de chansons parodiques, un genre très en vogue dans les années 1460–1470, font de ce chansonnier un recueil unique. Parmi les 13 chansons italiennes et 30 chansons françaises se trouvent différentes formes. La partie italienne peut être scindée en deux groupes : les numéros 2, 8, 9, 10a/b, 11, 13, rattachés à un style typiquement italien, toutes anonymes et les autres, plus proches du caractère français. Pour la partie française : 22 rondeaux, 5 bergerettes, 2 textes libres et une ballade anonyme. À elles seules, les 30 œuvres de la partie française constituent une anthologie quasi parfaite de la lyrique franco-bourguignonne, avec les plus grands compositeurs de la génération antérieure tels Binchois, Dufay († 1474), l'anglais Bedyngham et la nouvelle génération montante, avec Ockeghem, Busnois, Morton, Frye, Vincenet, Regis, Barbingant, Caron et le plus jeune, Hayne van Ghizeghem.
Les incorrections du texte italien laissent à penser que la transcription des paroles et de la musique est l'œuvre d'un artiste flamand ou français, attaché à quelque cour d'Italie. L'ordre d'apparition en premier permet de penser que les chansons italiennes ont été recueillies par Jean de Montchenu au cours de son temps à la cour papale vers 1460.
Le volume est, selon les spécialistes, une réalisation des peintres savoyards, décorateurs d'autres manuscrits de la cour de Savoie.
Après avoir été la possession de Montchenu, le précieux manuscrit suit un parcours qui commence avec un ex-libris de Giuseppe Orazio Pucci, chevalier de Malte (1782–1838), en passant par l'ancienne collection Chédeau, notaire de Saumur, un autre collectionneur, le baron Jérôme Pichon (1812–1896) et enfin, le legs du baron Henri de Rothschild (1872–1947) à la Bibliothèque nationale en 1949.
Les principales sources de concordances sont le Codex Squarcialupi et le Codex Chantilly, ainsi que les manuscrits Panciatichiano 26 de Florence et Additional 29987 de la British Library à Londres.