23/11/2024
Entre Père Lebrun et Bwa Kale : Une réflexion sur les pratiques de justice populaire en Haïti
L’appel de l’UEH REVEYE'N pour une véritable alternative
L’histoire contemporaine d’Haïti se lit à travers les manifestations d’un peuple en quête d’une justice que l’État lui refuse. Les pratiques du Père Lebrun, apparues sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, et du Bwa Kale, récentes réponses à l’insécurité généralisée, témoignent de la désintégration des institutions et de l’absence d’un projet national cohérent. Ces phénomènes traduisent une colère accumulée, celle d’un peuple livré à lui-même face aux violences, mais aussi face à l’inaction d’élites déconnectées des réalités sociales.
Le Père Lebrun, dans les années 1990, symbolisait une justice sommaire et expéditive. Il s’agissait d’incinérer, souvent publiquement, les oppresseurs présumés : criminels, agents de répression ou figures corrompues. Bien que Jean-Bertrand Aristide ait nié avoir encouragé cette pratique, ses discours, empreints de rhétorique enflammée, furent perçus comme des appels implicites à la vengeance. Le Père Lebrun incarnait alors une forme de rejet radical de l’État oppressif, mais il portait aussi en germe les dérives d’une justice populaire sans fondement juridique.
Aujourd’hui, le Bwa Kale apparaît comme l’héritier direct de cette tradition de violence vindicative. Face à la montée des gangs armés, des citoyens désespérés traquent et exécutent, sans procès, ceux qu’ils jugent responsables de l’insécurité. Ces pratiques traduisent une double faillite : celle de l’État, incapable d’assurer la sécurité, et celle des institutions judiciaires, rongées par la corruption et l’inefficacité.
Pourtant, il serait erroné de réduire ces phénomènes à de simples pulsions de violence. Ils sont l’expression d’un cri profond, celui d’un peuple exigeant justice et dignité. Mais à force de compenser les carences de l’État par des pratiques extrajudiciaires, on court le risque d’ancrer davantage la violence dans le tissu social et de compromettre les bases mêmes d’une refondation nationale.
L’UEH REVEYE'N, consciente des défis historiques et politiques qui pèsent sur Haïti, propose une voie différente, articulée autour de la reconstruction d’un État légitime et souverain. Pour rompre avec le cycle de la violence, nous affirmons qu’une alternative éclairée et durable doit s’appuyer sur des réformes structurelles, économiques et politiques profondes.
1. Refonder les institutions judiciaires : La justice populaire prospère là où l’appareil judiciaire échoue. Une refonte complète du système judiciaire haïtien, visant l’indépendance, la transparence et l’accès équitable à la justice, est essentielle.
2. Renforcer la souveraineté sécuritaire : La prolifération des gangs armés révèle l’abandon de larges pans du territoire par l’État. Une force de sécurité nationale, formée, équipée et indépendante, doit être prioritaire pour restaurer l’ordre public et garantir la sécurité des citoyens.
3. Réduire les inégalités structurelles : L’insécurité trouve aussi ses racines dans la pauvreté chronique. Nous appelons à une redistribution équitable des richesses à travers des investissements massifs dans l’agriculture, l’éducation et la santé, afin de donner aux citoyens les moyens de vivre dignement.
4. Instaurer un dialogue inclusif et souverain : L’instabilité politique actuelle ne peut être résolue sans une concertation nationale impliquant toutes les forces vives – intellectuels, paysans, ouvriers, jeunes, diaspora – pour élaborer une vision partagée du futur.
5. Lancer une transition républicaine : Une gouvernance temporaire, constituée de leaders intègres et compétents, doit être mise en place pour rétablir la confiance du peuple dans ses dirigeants.
Le Père Lebrun et le Bwa Kale, malgré leur ancrage populaire, ne peuvent être considérés comme des solutions viables. Ils traduisent un échec collectif, celui d’un État absent et d’élites politiques incapables d’assumer leurs responsabilités historiques. Mais ce n’est pas une fatalité.
L’UEH REVEYE'N affirme qu’il est encore temps d’agir, de rompre avec la résignation et d’ouvrir une ère nouvelle pour Haïti. Il s’agit de reconstruire non seulement les institutions, mais aussi le contrat social, en s’appuyant sur les principes de justice, de dignité et de souveraineté.
Ce projet exige des sacrifices, mais il est le seul chemin pour sortir de l’impasse. Refuser d’agir aujourd’hui, c’est condamner les générations futures à vivre dans un pays où règnent la peur et l’instabilité.
En avant pour un État souverain et une justice véritable !
Osma JOSEPH, enseignant, historien et coordonnateur de l’UEH REVEYE'N.