29/01/2024
Musique d'ambiance : All My life - Bankulli ft Mohbad
Cotonou, un lundi à 21h, sur l’esplanade d’un bar non loin de la place Lénine. Une fraicheur du diable. Pas de quoi stopper Cossi et Victorien. Ils ont l’échine courbée. Tous deux souffrent de rhumatismes et le froid n’arrange rien. Les deux septuagénaires n’ont de toute façon pas le choix. La recette de la nuit conditionne le contenu de l’assiette de demain. Cossi a sa guitare en bandoulière et Victorien arbore lui-même une flûte datant du siècle dernier. Ils se baladent de bar en bar, jouent de vieux airs en espérant recevoir de l’argent des clients, que ce soit par émerveillement pour leur art ou par pitié pour les échecs que sont leurs existences. L’argent n’a pas d’odeur, et de toute façon un estomac affamé n’a point de narines. Les recettes ne sont plus bonnes depuis un certain temps. Ils gagnent juste assez pour s’assurer un repas chaque jour et envoyer de l’argent au village. Depuis le week-end dernier c’est particulièrement dur. Ils jouent avec courage des airs heureux pendant que leurs cœurs sont eux brisés. Ils font semblant d'être heureux comme les gens qui préfèrent l'attieke au couscous.
Ils ont fait le tour de ce bar mais n’ont rien gagné, une famille les avait même fait jouer pendant quinze minutes bien filmées sans leur donner ne serait-ce qu’un rond à la fin. Au moment de s’en aller Victorien remarque une table à laquelle ils ne s’étaient pas arrêtés.
- Cossi Kpon Don ! on n’est pas allés là-bas
- (Cossi, fatigué) Apétor, on n’aura rien
- Ooorh allons-y ! je sens un bon coup. Ils respirent l’argent. De toute façon si on rentre maintenant on va tomber sur Maman Djani et elle va nous réclamer l’argent de son gari et son Akassa.
Las, Cossi suit son compagnon. Victorien avait raison. Les deux hommes assis à la table devant une bouteille de Jacks authentique sont certainement fortunés. Les deux vieux jouent de leur instrument. C’est Cossi qui chante. Il improvise une chanson drôle pour amadouer les deux hommes. Ils semblent amusés et les laissent continuer. Vingt minutes passent. L’un d’entre eux les arrête :
- C’est bon. C’était très bien. Mais malheureusement on a rien pour vous.
Cossi n’en peut plus. Ses émotions reprennent le dessus et sans s’en rendre comptes des larmes perlent sur ses joues froissées par les vergetures :
- Awo mes fil…(se reprenant) pardon les Fofos ne faites pas ça donnez-nous quelque chose. On a faim. On a pas mangé depuis plusieurs jours. Mes chaussures sont usées et quand je marche mon talon gratte directement le sol. Pardon faites quelque chose.
L’homme le regarde longuement avant de lui dire :
- Suis moi jusqu’à ma voiture.
Ils arrivent à la voiture et pendant que l’homme cherche l’argent ils discutent :
- Comment ton ami et toi en êtes arrivés là ?
- Je ne sais pas (dépité) nous étions de jeunes artistes dans le temps, mais la passion nourrit le cœur, pas le ventre nous avons travaillé comme cheminots avant que l’arrêt du transport ferroviaire ne nous mette au chômage. Sans rien. Petits jobs par ci par là mais qui peut économiser dans Cotonou ? ce sont nos vies ça inh mon fils. Qu’est-ce que je ne ferais pas pour tout arranger ?
- Tu ne sais pas ce que tu dis le vieux
- Comment ça ? ma vie est un désastre, si j’ai l’opportunité de tout réparer je ne réfléchirais même pas.
L’homme sort devant les yeux ébahis du vieux une sacoche remplie de liasses de dix mille francs.
- Que ferais tu pour ça ? que donnerais-tu pour ça ?
- Tout
- C’est la tête de ton ami que je veux
- (silence, le vieux passe par toutes les émotions. Il pleure à nouveau) garde ton argent maudit, Victorien n’est pas mon ami, c’est mon frère. Ton argent-là ne suffit pas.
Il tourne les talons
- Et le triple ? non le quintuple.
Cossi se fige. Il devait y avoir au moins 20 millions dans ce sac. Cinq fois vingt millions ? Non c’est Victorien. Il n’a pas de prix. Il veut partir mais ses pieds sont figés.
- (se rapprochant de Cossi jusqu’à poser la main sur son épaule et introduire sa carte de visite dans sa poche) tu as hésité le vieux. Aujourd’hui ta conscience te ment, mais demain des crampes d’estomac matinales te diront la vérité. Vos deux vies sont inutiles ensemble. Si tu le livres tu as la possibilité d’arranger les choses pour vos deux familles. C’est ça la vie, des choix forts et durs. Quand tu seras prêt contacte-moi pour m’indiquer la maison et l’heure.
Victorien joue toujours de la flûte, les joues en feu quand ils reviennent. Son ami l’arrête et le tire par le bras.
- Je t’ai dit qu’ils n’ont rien pour nous.
En rentrant au quartier ils n’échappent pas à Maman Djani qui ne manque pas de les humilier dans la nuit leur enlevant le peu de dignité qui leur reste. Chacun regagne son domicile ou du moins sa baraque en feuilles de palmier. Cossi n’a pas dormi. Il a faim et les violents moustiques d’Akpakpa aussi.
Le jour se lève et son téléphone sonne. Un ami du village :
- Ça ne vas pas Cossi. Mon crédit n’est pas beaucoup. Ils ont attrapé ta petite femme avec deux hommes. Apparemment c’est ce qu’elle fait trouver de quoi manger pour elle et les enfants. Elle a avoué recevoir 200 francs à par amant pour la nuit. Si tu vois Victorien dis-lui aussi. Apparemment c’est ça la mode. Sa femme aussi est dedans mais elle amène leur petite fille là aussi. La petite fille qui était au CM2 là. C’est grave Cossi. Fais quelque chose. Mais pardon ne te tue pas. Qui va prendre soin de vos parents ici ? la derni….
L’appel se coupe. Plus d’unités à coup sûr. Cossi a les yeux secs. Il sort de sa poche la carte de visite :
- Bonjour mon fils… pardon bonjour fofo
- Hihihi, déjà ? allez donne-moi les détails
Victorien ne tardera pas à se ramener. Il est 16h. Tout est prêt pour le forfait. L’ami arrive, tout sourire. C’est tout Victorien, toujours confiant. Il a dans sa main ‘’le carburant’’. Un mélange de sodabi et de racines qu’ils boivent pour se requinquer avant la marche. Cossi se serre et boit, mais cette fois c’est le courage qu’il cherche.
- Apétor regarde derrière toi sous la table il y a quelque pour toi
- (s’abaissant) Cossi tu as trouvé quoi ? j’espère que c’est à mange…..
KRAAAA. Victorien n’a rien vu venir, son ami son frère vient d’abattre sur sa hanche un gourdin, avant de se ruer sur lui et de le poignarder cinq fois, en pleurs. Victorien tente de se débattre mais pas longtemps. Il git dans son sang et va mourir.
- Mon ami mon frère, pardonne moi. Il m’a proposé trop d’argent. Je te jure d’honorer ta mémoire Victorien. Ne pleure pas mon frère, ne pleure pas.
Victorien étendu regarde son frère tristement et pleure en silence :
- Cossi, Cossi, Cossi, ils nous ont eu mon frère. Ils nous ont eu. Je te jure ils nous ont eu mon frère…
Cossi ne semble pas capter, jusqu’à ce qu’il remarque que son ami a le regard posé sur la bouteille de ‘’carburant’’. La compréhension arrive en même temps que d’horribles maux de ventre. Il secoue la bouteille. Il y a de nouvelles racines. Il les connait. Il n’y a aucun espoir pour lui. Il ne vivra pas plus de cinq minutes. Il pleure toutes les larmes de son corps en se couchant tranquillement à côté de Victorien dans son sang. Dans leurs derniers instants les deux amis s’enlacent…
Les deux hommes descendent d’une BMW X6 blanche. Ils marchent tranquillement. Personne ne leur fais attention à eux. Ils entrent dans la cabane.
- M***e !!!
- Hahaha ! un match nul c’est tant mieux. Pour tout te dire je n’avais pas confiance en celui à la flûte quand je l’ai abordé. L’issue m’arrange mon cher. Après on aura pas à liquider le gagnant aussi.
- Match nul donc. Mais tu ne perds rien pour attendre. Tu perdras et c’est toi qui devra payer ma bière. Allons-nous-en avant que les portes de l’enfer s’ouvrent sous les pieds de ces pauvres diable, hihihi…
Note : Cette histoire marque le début d'une série qui a pour nom . comptant sur votre présence et vos partages, Bonne lecture et Bonne soirée