08/08/2022
'AIMES
Épisode 1
Il y a des journées qui commencent mal, et d’autres très mal. Quand je vois Keren passer la porte de mon bureau en fulminant, je me dis que aujourd’hui fait décidément partie de la deuxième catégorie. Keren est la seule personne qui rien que par sa présence réussit à bousiller ma journée. Elle et moi, c’est chimique, on ne se supporte pas. On se cherche, on s’invective, parfois même on s’insulte. Elle a beau être la femme de mon frère, entre nous ça ne colle absolument pas. Moins je la vois, mieux je me porte. C’est pourquoi je reste immobile, assis à mon bureau, les nerfs tendus à leur maximum quand je la vois débarquer. Sans un mot, elle referme la porte derrière elle et s’assoit en face de moi. Mon téléphone sonne. Solange ma secrétaire m’informe :
— Monsieur Ilunga, je suis navrée, je n’ai pas réussi à la retenir. Mademoiselle Panzu arrive.
— Merci Solange, je pense pouvoir me défendre seul, ironisai-je, veuillez faire attendre mon prochain rendez-vous, je n’en aurai pas pour longtemps. Je raccroche. Keren n’a toujours pas ouvert la bouche et me fixe de ses yeux brun si sombre. Keren est une belle femme. Une très belle femme. La première fois que je l’ai rencontrée, je l’avoue, elle m’a carrément plu. Elle a un regard envoûtant et un physique plutôt agréable: des jambes interminables, une taille fine, une poitrine généreuse, de longs cheveux , et des lèvres pulpeuses. Oui, je sais, le physique ne fait pas tout. Et justement, là c’est le cas. Parce que dès qu’elle a ouvert la bouche la première fois, cette fille m’a tapé sur le système.
— Que me vaut le déplaisir de cette visite ? commençai-je.
— Je ne suis pas là de gaieté de cœur Danny. Je suis ici pour Jonathan.
— Mon frère connaît mon numéro, s’il a besoin de quelque chose, il peut très bien me le demander lui-même au lieu de m’envoyer son dragon.
— Je ne vais pas relever pour cette fois, mais j’aimerais bien que tu me laisses finir avant de nous échanger les politesses d’usages. Ses yeux me mitraillent. J’adore la mettre en rogne. Je m’enfonce dans mon siège, croisant les bras derrière la tête et lui enjoints de poursuivre.
— Je t’écoute. Sois brève, j’ai un rendez-vous dans cinq minutes.
— Ton frère fête ses 30 ans cette année et je veux lui organiser une fête surprise. Comme vos parents sont en voyage, je n’ai que toi vers qui me tourner.
— Tu pourrais oui. Tu connais ses amis d’enfance, je me disais que tu pourrais les contacter.
— Tu es sûre de ce que tu me proposes là ? Organiser une fête ensemble, ça signifie qu’on devra se parler et se voir sans lui.
— Ca ne m’enchante pas plus que toi, et on essaiera au maximum de faire ça par texto, mais... Elle s’arrête au milieu de sa phrase, comme si la suite allait lui écorcher les lèvres. Je m’amuse comme un petit fou. La voir en position de faiblesse devant moi, c’en est presque jouissif, elle qui est si fière, si hautaine.
— Mais ? dis-je avec un léger sourire en coin. Elle me jette un regard irrité, sachant pertinemment que je joue avec elle. Je sais ce qu’elle va me dire, et croyez-moi ces mots je les attends avec impatience ! Je sais qu’elle va craquer, c’est dans son intérêt. Enfin celui de mon frère. A dire vrai, organiser cette fête avec elle va être une vraie torture, mais je dois bien ça à mon petit frère.
— J’attends, je te rappelle que j’ai un rendez-vous.
— Tu es vraiment Insupportable Danny, bouillonne-t-elle en se levant et en se dirigeant vers la porte. Elle a à peine le temps de poser la main sur la poignée, que je suis déjà devant elle, lui barrant la route. Elle essaie d’ouvrir la porte, mais ma main l’en empêche avec fermeté.
— Laisse-moi partir, siffle-t-elle entre ses dents, c’était une mauvaise idée. Je me débrouillerai seule.
— Pas question, tu restes là. J’attends encore la fin de ta phrase... Elle se met alors à tirer plus fort sur la poignée et reste ébahie quand cette dernière lui reste entre les mains.
— Mais qu’est-ce que tu as fait ? S’emporte-t-elle, demande à ta secrétaire de nous ouvrir tout de suite !
— Impossible, il faut une clé pour entrer dans ce bureau. La porte se bloque automatiquement. Et la clé c’est moi qui l’ai.
— Tu n’as pas remarqué qu’il n’y avait pas de serrure de ce côté, Mademoiselle Je-sais-tout ? Elle donne des coups dans la porte, vainement. Malgré ses efforts, elle reste close et Keren tempête encore plus. Je me dirige vers le bureau et contacte ma secrétaire.
— Solange, nous avons un léger souci. Pourriez-vous faire venir en urgence un serrurier s’il vous plaît ? Mademoiselle Panzu et sa délicatesse légendaire nous ont enfermés.
— Non, mais quel culot ! Fait Keren en s’approchant de moi, pointant un doigt rageur vers mon torse. J’ai abîmé la poignée ? Ca ne serait pas arrivé si tu ne m’avais pas retenue. Et d’ailleurs, c’est quoi cette fichue poignée qui tombe en ruine ? T’es trop radin pour t’en payer une digne de ce nom ?
— Ne me provoque pas Keren. Etre enfermé avec toi est la pire chose qu’il puisse m’arriver, mais nous sommes adultes, nous allons pouvoir surmonter ça. A condition que tu te taises, bien sûr.
— Non, mais pour qui tu te prends espèce de sal arrogant ? Tu ne me donnes pas d’ordres !
— Arrogant moi ? Juste parce que le son de ta voix m’insupporte et que j’ai la franchise de te le dire contrairement aux autres ?
— Tu n’es qu’un... Elle s’interrompt. Quelqu’un vient de frapper à la porte et la toute petite voix de Solange se fait entendre.
— Ah Solange, vous avez pu avoir un serrurier ?
— Justement... il n’y avait aucun autre serrurier de disponible avant deux heures.
— Deux heures ?! Bon très bien, dites à Kabuya que je le recevrais demain et repoussez aussi Muyej.
— Bien Monsieur et en ce qui concerne le rendez-vous de 11h et votre déjeuner, dois-je annuler ou bien repousser ?
— Mais enfin, il est juste 9h ! On sera sorti d’ici là.
— Euh... je crois que vous avez mal compris Monsieur. Je voulais dire deux heures de l’après-midi. Quatorze heures. Les yeux de Keren s’écarquillent d’effroi et son visage se décompose devant moi tandis que je sens la rage monter en elle. Non. Pas ça... Passer cinq minutes ensemble et c’est déjà la troisième guerre mondiale alors cinq heures !
— Non, il y a forcément une solution, se met à psalmodier Keren en déambulant dans la pièce. Elle regarde même la fenêtre avec une pointe d’hésitation, c’est vous dire à quel point elle a envie d’être ici ! On est au quatrième étage d’un vieil immeuble de la commune de la Gombe. Autrement dit, on n’en ressortirait pas indemne. Finalement, à choisir... Non. Je suis adulte. Je peux me contrôler. Je n’ai qu’à l’ignorer tout simplement. Bien plus facile à dire qu’à faire... Installé dans mon fauteuil, je la vois tourner en rond et ça me rend complètement fou. Elle ne s’arrête pas une seconde, sauf pour tripoter un bibelot par-ci par-là, une maquette ou un dossier. Une véritable tornade cette fille, elle remue tout sur son passage. Au bout de ce qui me semble les quinze minutes les plus longues de ma vie, je me décide enfin.
— Keren, je te jure qui si tu ne poses pas tout de suite ton petit cul sur ce siège, je me ferai un plaisir de t’y attacher. Et j’en profiterai aussi pour te bâillonner, tiens.
— Tu ne me fais pas peur, qu’est-ce que tu crois ? Que je vais sagement t’obéir en attendant que le supplice prenne fin ?
— Exactement. Elle éclate de rire et ça ne fait que m’énerver encore plus. Je serre les poings, tentant de me contenir.
— Tu n’es vraiment qu’un imbécile ! Non, un abruti en fait. Cette fois, c’en est trop. Je me lève et en une seconde je suis devant elle.
— Un quoi ? J’ai bien entendu là ?
— Un abruti arrogant et macho...
— Ne me pousse pas à bout Keren, tu risques de le regretter.
— Et tu vas me faire quoi ? Je l’empoigne par les bras fermement et plante mon regard dans le sien. Ses yeux me lancent des éclairs. Ses joues sont déforméés par la colère et ses cheveux un peu décoiffés. Elle est si proche de moi que je peux sentir son souffle qui devient de plus en plus désordonné à mesure que nous nous rapprochons.
Alors, à ce moment-là tout dérape. Mû par une pulsion soudaine, je me jette sur ses lèvres. Bon sang, mais qu’est-ce qu’il se passe ?! Qu’est-ce que je fais ?!