14/01/2024
: Ernestine Nadia Mbakou - MEN
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C'était un chat, juste un chat blanc.
Je m'étais demandée sur le coup si mon père n'aurait pas pu se choisir un autre génie. Pas que j'eusse voulu me lancer à la poursuite d'un lion. C'était déjà dangereux de poursuivre un chat.
C'était ahurissant d'avoir des pensées pareilles au moment où je me lançais derrière un animal inconnu.
Mon frère me suivait. Je poursuivais un chat.
Personne ne se demanda pourquoi nous étions à la poursuite de ce chat qui sautait en s'arrêtant comme pour nous narguer. J'eus l'impression qu'il voulait passer un message... Mais lequel ?
Mon père me disait que les animaux étaient capables de communiquer avec les hommes si seulement on les écoutait. Que pouvait bien vouloir dire ce chat ?
— Marie, je suis fatigué... disait Bertrand.
Nous étions déjà dans la forêt.
Les arbres nous entouraient.
Autour de nous, tout semblait soudain endormi. Même le chant des oiseaux avait disparu. Ce n'était pas normal. Ce calme n'augurait rien de bon. Il n'y avait pas âme qui vive à mille kilomètres à la ronde.
J'eus l'impression d'avoir été projetée dans un monde parallèle.
Je m'arrêtai.
Il était temps. Bertrand avait la langue qui pendait :
— Marieee...
Il haletait. C'était normal.
Je n'étais pas fatiguée. Je me demandais où était passé le chat. Je tournais sur moi-même.
— Où est-il passé ?
Je n'attendais pas de réponse.
— Pourquoi on doit suivre un chat Marie ? Me demanda enfin Bertrand lorsqu'il reprit son souffle.
— Parce que nous devons l'attraper.
C'était vague comme explication et très banal. Mon petit frère n'en demanda pas plus.
En quelques heures, j'avais pu mettre un nom sur le génie de mon père. Je m'étais lancée à sa poursuite et maintenant, je me retrouvais dans cette forêt avec mon frère.
— Nous sommes dans la forêt sacrée Ma
: Ernestine Nadia Mbakou - MEN
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Je venais d'avoir cette révélation. Elle me frappait de plein fouet. Mon père me l'avait pourtant révélé dans l'une de nos conversations. Étourdie, je n'y avais pas prêté attention.
Je me rendais compte aujourd'hui que tellement de choses échappaient à mon entendement.
Pour le moment, je devais soustraire mon petit frère à cette cérémonie. Il était encore trop jeune et avait une vie à mener devant lui.
Mon père s'était certainement confié à l'un de ses pairs.
Ce n'était pas le plus important.
— Bertrand ! Bertrand ! Criais-je.
Il ne pouvait pas m'écouter. Les bruits des tambours qui avaient repris couvraient ma voix.
Déjà un grand cercle s'était formé autour des fils.
Chacun était curieux de découvrir le successeur. Le nouveau sorcier, celui-là qui allait désormais protéger notre communauté.
Je dus me battre pour me frayer un chemin entre les jambes des badauds afin de voir de mes propres yeux ce qui allait se passer.
— Bertrand ! Repris-je dans une dernière tentative vaine.
Mon petit frère était le plus jeune des garçons. Il aurait pu être le petit fils de certains de ses frères.
Un dernier roulement de tambour, je fus bousculée. Je me retrouvais les fesses au sol et les pieds en l'air.
J'entendais scander :
— le sorcier est mort, vive le sorcier !
Comment avais-je pu manquer le point culminant de la cérémonie ?
Déjà, je me relevais, toute déstabilisée pour pleurer. Bertrand, il devait avoir peur.
Il eut un grand brouhaha. C'était impossible d'avoir une vision claire de la scène. Avec la poussière qui s'était invitée à la place des cérémonies, tout devint un nuage blanc.
— Bertrand ! Bertrand !
J'essayais d'avancer. La foule huait.
Une main m'attrapa soudain au mollet :
— Marie !
Je m'étais retournée, surprise.
— Bertrand ?
— Je t'ai cherchée Marie. Je voulais te voir !
Je pris mon frère dans mes bras, ivre de soulagement.
— Marie, tu me fais mal. Essayait-il de dire pour se soustraire à mon étreinte. Je ne voulais pas le lâcher.
— Dieu merci, tu es là Bertrand... j'ai eu peur. Je croyais que ...
Je me suis interrompue. Si on n'avait pas arrêté Bertrand, qui était le successeur ?
Je dus regarder Bertrand dans les yeux en le secouant
— Qui a-t-on arrêté ?
— Roger !
Je me figeai. Ce n'était pas possible. Roger était la dernière personne au monde à qui mon père aurait confié sa succession. Il y avait eu quelque chose de pas nette.
— Roger est le dernier homme sur terre à qui papa aurait pu confier sa succession oncle !
Oncle Jean me tira d'un seul coup dans une autre pièce
Bertrand nous suivit.
Les cérémonies se poursuivaient. Après l'arrêt du nouveau successeur, on devait passer à autre chose.
On devait faire ce qu'on appelle des funérailles. Place aux chants joyeux et à la danse. Le nouveau sorcier devait ainsi remplacer l'ancien. Le sorcier n'était pas mort. Ses œuvres allaient continuer. Désormais, le successeur allait occuper le siège du défunt.
C'était une victoire sur la mort.
C'était une continuité.
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J'avais rapidement recherché oncle jean pour exprimer mon courroux. J'avais besoin de parler à quelqu'un. Oncle Jean me paraissait la personne la mieux placée pour m'écouter.
Oncle Jean n'avait pas été surpris de me voir le tirer à l'abri des regards.
— Chuttttt !! ? Parle doucement Marie. Les murs ont des oreilles dans ce village.
— Oncle Jean...
— Marie, laisse tomber et occupe-toi de ton frère !
Bertrand se serra contre mes jambes.
— Ce n'est pas Roger le successeur. Papa et lui étaient à couteaux tirés. Il ne lui aurait jamais confié même sa cuillère à manger. Et tu parles d'une succession ! Il y a quelque chose de louche derrière cette attestation. Vous avez tout fait à l'envers. Même la cérémonie n'était pas indiquée. Le successeur est un usurpateur. Roger est aussi mou et malléable qu'un enfant qui vient de naître. Oncle, tu ne peux pas laisser passer cette ignominie.
Mon Oncle secoua la tête.
— Marie, tu es trop jeune pour comprendre.
Je te conseille d'oublier et de passer à autre chose.
— Comment oublier Lorsque je devrais appeler désormais papa un homme qui n'est pas à sa place ?
— Marie... Chuttttt...
Il me plaqua la main sur la bouche.
J'entendis des pas qui approchaient.
— Oublie s'il te plaît... me redit l'oncle Jean lorsque les pas s'éloignèrent.
— Viens Bertrand, allons-nous-en. Il ne faut pas que je sois dans les parages lorsque la colère du sorcier s'abattra dans cette famille. Et puis, j'ai une mission à bien mener à terme.
Je sortis en tirant mon frère. Je n'écoutais plus oncle jean qui hurlait mon nom.
Lorsque nous fûmes suffisamment éloignés, je regardai
Bertrand dans les yeux.
— Je sais ce qui était dans le sac...
— C'était quoi Marie ?
— Son génie, le génie de papa.
— C'est quoi un génie ?
— Je ne sais pas comment je vais l'expliquer. Papa me disait que c'est ce qu'on te remet lors de ton initiation. En fait, après l'arrestation, il y aura toute une grande cérémonie à suivre. Le nouveau sorcier devrait rester neuf jours dans une pièce secrète gardée par les autres sorciers. Durant ces jours-là, ils vont l'introduire dans leur confrérie en utilisant des pratiques mystiques et ancestrales. C'est durant cette période que le nouveau sorcier devra recevoir son génie, une sorte de protection. C'est un peu long à comprendre Bertrand. Le génie peut s'agir d'un animal ou d'une chose. Ce génie en toi fait ta force. Elle agit en ton nom et peut te représenter.
Papa disait que tous les sorciers en ont un. Il y a des génies du mal et ceux qui protègent. Parfois, certaines personnes, pour tuer un sorcier se concentrent sur leur génie. Une fois que le génie tombe, le sorcier meurt. La mort du génie entraîne celui du sorcier et ce n'est pas vice versa. Un sorcier peut mourir et son génie lui survit. Dans ce cas, on devrait le passer à son successeur. Dans le cas de papa, j'étais censée retenir son génie pour te le donner. Maintenant qu'il est dans la nature. Je ne sais pas exactement ce qui va se passer. Sans contrôle, il est capable de tout.
Bertrand ouvrit les yeux. Il n'avait probablement rien compris. C'était normal. Un enfant de huit ans doit jouer au vélo, il ne doit pas entendre des choses liées à la sorcellerie.
— On fait quoi maintenant Marie ?
Comme toujours, je devais répondre à ses questions.
— Nous devons le retrouver.
— Et après ?
Oui, et après ? Je ne savais pas.
—Tu sais ce que c'est ?
Je me mis à réfléchir. Il était important de déterminer de quel animal il s'agissait exactement.
— Non, je vais réfléchir. En attendant, je dois rendre visite au chauffeur qui a renversé papa.
— Pourquoi Marie ?
— Parce que je veux comprendre. Tiens, allons-nous-en loin d'ici. Tout ce qui se passe maintenant ne nous concerne plus. Nous devons aller à la cellule du village. Je te donne d'abord à manger.
Mon frère, dans mon sillage, je me mis à réfléchir désormais, je faisais face à deux situations urgentes : Retrouver le génie de mon père et restituer le vrai successeur. Ils n'étaient pas conscients de ce qu'ils venaient de créer. Je soupçonnais oncle Martin d'être caché derrière tout ça. Je n'étais qu'une petite fille. Personne ne m'aurait écoutée.
— Bertrand, évite de t’exposer au soleil s'il te plaît.
— Pourquoi Marie ?
— Marche à l'ombre. Nous avons actuellement pleins de sorciers concentrés dans un même périmètre. La première chose qu'un sorcier mal intentionné prendra chez toi sera ton ombre. Grâce à elle, il est capable de faire de toi tout ce qu'il veut. Alors suis mes pas et ne laisse pas ton ombre déborder.
Mon frère se colla contre moi. Je ne voulais pas lui faire peur. Je lui énonçais la simple vérité dans sa réalité la plus simplifiée.
La cellule du village n'était pas si éloignée.
D'après les résultats de mon enquête menée auprès de quelques témoins oculaires, une voiture était surgie de nulle part et avait projeté mon père en l'air.
— Il a tourné comme un oiseau. Il s'est envolé. Il a fait cinq tours. Il est revenu et est remonté et est retombé... disait Poupou, le premier témoin.
Poupou était un peu comme la connexion internet du village. Il était au courant de tout. Il se trouvait toujours partout à la fois. Si tu égarais de l'argent, Poupou était capable de te décrire avec exactitude le voleur. Si le manioc disparaissait de ton champ, Poupou était là.
Ça ne m'avait pas étonnée qu'il soit sur le lieu de l'accident. Je m'étais souvent demandé s'il n'avait pas le don d’ubiquité. Ça ne m'aurait pas surprise.
Comme toujours, il exagéra en décrivant la scène. Je n'avais pas pris pour argent comptant ses déclarations.
Je devais écouter le chauffeur.
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Une chose était certaine, mon père avait été renversé par une voiture.
Je n'eus aucun mal à me trouver devant le chauffeur qui avait renversé mon père.
Les gardiens étaient à la place de la cérémonie. Devant la cellule, on avait laissé un cultivateur qui m'avait vu naître.
— Je veux parler au chauffeur oncle. Lui dis-je
— Peux-tu lui parler assez longtemps pour me permettre d'aller à la cérémonie Marie ? Je me demande si les repas sont déjà servis !
C'était important de bien manger après les cérémonies.
Je hochai la tête.
— Bien sûr Oncle. Je vous attends.
Il me remercia et courut vers la grande place.
— Tu crois qu'il va revenir Marie ?
— J'en doute fort. Après avoir ingurgité une grande quantité d'alcool, il oubliera bientôt jusqu'à son propre nom.
Il y avait une seule cellule. Elle était fermée à clé.
Sur une paille, reposait un homme. Il avait les yeux fermés. Il devait être encore bien jeune. Je ne l'avais jamais vu. Ça devait être un " Trijâa", c'est à dire un étranger.
— Bonjour oncle... criais-je pour me faire entendre.
Je dus me répéter plusieurs fois avant qu'il ne saute sur ses pieds.
— Qu'est-ce que... qui êtes-vous ?
Il nous regardait.
— Je suis Marie et lui, c'est mon frère Bertrand. J'aimerais savoir une chose, lorsque vous avez cogné notre père, qu'avez-vous observé d'étrange.
Il ouvrit les yeux, ouvrit la bouche et la referma.
—Seigneur, vous êtes...
Il venait de mettre les mains sur la tête.
— Non... non... non oncle. Je désire juste savoir. C'est important pour nous !
L'homme s'assit soudain sur sa couche. Il regardait devant lui comme tétanisé.
— Je roulais pourtant doucement. Je ne l'ai pas vu apparaître. J'ai vu comme dans un ralenti un vieillard devant ma voiture. J'ai voulu freiner mais il se faisait t**d. Je ne sais même pas ce qu'il s'est passé après. J’étais sous le choc pour analyser l'événement sur le coup. Je...
Sa voix se brisa. Ça devait être dur d'être responsable de la mort d'un homme.
— Qu'avez-vous vu oncle ? Rien d'étrange ?
Il tourna son regard vers nous.
— J'ai eu comme une impression de voir un chat qui retombait sur ses pattes. C'est tout. C'est étonnant. Je me dis que j'ai dû rêver.
J'avais compris.
— Merci oncle !
— Je ne voulais pas tuer votre père cria-t-il.
— Je sais oncle.
Il allait probablement être rapidement libéré. C'était un accident.
Je pris congé du chauffeur en le laissant dans son délire. Il bavardait seul.
— Où va-t-on Marie ? Qu'a-t-il dit ?
Inutile de rappeler à Bertrand qu'il était là avec moi. Je savais qu'il n'avait rien compris.
— Cherchons le... nous devons le retrouver.
— On cherche quoi Marie ?
— Un chat ! Nous devons retrouver un chat !
Nous étions déjà à l'extérieur. Je protégeais mes yeux des rayons du soleil en regardant devant moi. Ma main sur mon front en lisière, je réfléchissais à l'étape suivante. Comment me retrouver dans tout ce méli-mélo ?
Tout à coup, de l'autre côté de la route, un chat tout blanc venait d'apparaître. Il nous regardait. À distance, je pouvais sentir son regard perçant sur ma peau. Ça ne prit que quelques secondes mais j'avais compris.
Il se retourna et s'enfonçait en courant vers la forêt.
— Suivons le Bertrand... vite... nous devons l'attraper.
Sans un mot, mon frère me suivit en courant.
Il me fallait rattraper ce chat !
_____ A SUIVRE DEMAIN 20H30________
AU MAXIMUM
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