18/08/2023
AOÛT : Le mois de tous les anniversaires !!!
42 ans déjà, lisez plutôt...
"À la maison, elle n'avait pas de sanctuaire pour écrire comme la plupart des écrivains. Elle semblait prendre un curieux plaisir à le faire au lit, entourée de ses objets familiers. Après la rédaction d'un chapitre, elle se lisait très fort pour entendre la résonance du rythme, s'imposant même dans le roman, la rigueur esthétique de la poésie. Pour se convaincre de la parfaite maîtrise de son talent, elle incarnait aussi ses personnages, s'entretenant avec eux comme des créatures de chair et de sang, empruntant à leurs traits, leurs commentaires, grondant, sautant, s'attendrissant avec tant de mélo qu'on l'a prendrait pour une excellente actrice de théâtre, passionnée d'avance de son chef-d'œuvre.
Si d'aventure vous étiez pressé et qu'en ces moments-là vous vous hasardiez dans sa chambre, impossible d'en ressortir aussi vite! La porte refermée à sec! Vous étiez alors le spectateur irrité et contraint de suivre la pièce jusqu'à la fin ou sans doute, le témoin ébloui par tant d'idées qu'elle attrapait à l'envol, sous l'effet de l'exaltation.. Elle exultait presque. Étouffante d'éloquence. Entraînée vers une force impossible à briser. C'était l'art dans son saissement le plus insolite, mais qui était la consécration et l'aboutissement de sa pensée. Le message atteignait une telle profondeur qu'elle la surprenait elle-même. Car la source de cette énergie, si elle émanait de son être, l'entraînait hors d'elle comme une chose étrangère à sa personne.
Ces scènes déclenchaient en moi une violente envie de rire, un fou-rire hystérique. Le costume du personnage ne se prêtait jamais aux discours. Ses grosses lunettes d'intellectuelle juraient avec l'humble pagne noué à la poitrine qui lui donnait l'air un hère jamais sorti de son terroir. Cette apparence était encore accentuée par l'aspect quelque peu négligé de sa longue chevelure qu'elle ne nattait plus - faute de temps- qu'en de rares occasions et qu'elle avait sévèrement ramassée en chignon sur le sommet du crâne. A l'entendre ainsi dans la langue de Moliere , dans ce déguisement qui le disputait au comique, j'étais secouée de tels spasmes d'hilarité qu'elle s'arrêtait net, avec une expression ébahie dans les yeux. Elle ne s'expliquait pas ces crises de rire et se scandalisait de "mon absence de cœur" sur les passages pathétiques
"A vous s'écriait-elle sérieusement agacée, vous ne comprendrez rien à rien." Elle rappelait dans sa colère l'incompréhension manifeste de mes sœurs qui n'arrivaient pas à justifier tant et tant de ferveur qui accompagnait ses écrits.
Non sans effort, elle reprenait aussitôt et lentement sa lecture, irritée par l'interruption, presque effrayée à l'idée d'un tarissement. Mais l'extase qui s'etait refroidie un instant se remettait fébrilement en marche. De ce monde, elle ne percevait quasiment rien d'autre, oublieuse de tout jusqu'à ma présence en face d'elle.
Ps. Au moment où je reprenais cet extrait dans "Mariama Ba ou les allées d'un destin" elle s'est ressuscitée un instant, si vivante, tellement vraie que je me suis mise à rire en souvenir de sa passion communicative et pleurer pour ce grand vide qu'elle me laisse. J'aurais rempli des pages rien que pour la mère qu'elle fut."
Texte repris de Mame Coumba Ndiaye, pour rendre hommage à cette femme de Lettres, qui a rangé ses plumes le 17 août 1981.
Kabore Adama Officiel