18/05/2024
Pour le drapeau, pour la patrie, vivre est beau !
Auteur: Saintil BRICE, texte publié dans
Le Nouvelliste
Atelier d'apprentissage BVDRW
15 mai 2024 | Lecture : 7 min.
Enfant, adolescent et même à l’âge adulte, j’ai été toujours fasciné par les hauts faits de notre histoire de peuple. Les exploits de la Ravine à Couleuvre, du Combat de Vertières et de la Butte Charrier, les autres combats menés dans le cadre de la Guerre de l’Indépendance, entre autres, ajoutés aux paroles célèbres de nos héros, ont contribué à façonner mon esprit. Ils me portent aussi à développer un attachement particulier à mon pays natal, mon peuple, ma communauté et ma famille.
Aujourd’hui encore, je peux continuer à réciter les paroles célèbres enfouies dans la mémoire dès ma prime enfance comme : « En me reversant on a abattu à Saint-Domingue le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs, il repoussera par ses racines parce qu’elles sont profondes et nombreuses » (Toussaint Louverture) ; « Nous allons attaquer ce matin, dit-il, à la garnison. Que tous ceux qui veulent redevenir esclaves des Français sortent du Fort ! Que ceux, au contraire, qui veulent mourir en hommes libres se rangent autour de moi ! » (Jean-Jacques Dessalines). La garnison entière cria d’une forte voix: « Nous mourons tous pour la liberté. »
Personnellement en 2005, j’ai eu l’occasion de porter les couleurs nationales comme l’un des représentants de mon pays à la Marche des nations du monde à Saint-Louis, Missouri, en compagnie des délégations venues de plus de 210 pays. J’ai éprouvé une forte et émouvante sensation de fierté en défilant en costume national et en tenant des deux mains le mât pour faire flotter notre bicolore aux côtés des autres drapeaux des peuples libres du monde.
En revanche, je dois signaler que je garde encore en mémoire l’unique punition à laquelle j’ai été soumis pendant tout mon parcours scolaire et universitaire. En classe de Seconde, appelée Secondaire II dans le système actuel, j’ai été amené à rester pendant environ trente 30 minutes, regardant fixement le drapeau national hissé sur le mât de mon école pour avoir hésité ce jour-là à entonner la première strophe de notre hymne national, la Dessalinienne.
Mon hésitation résultait de mon profond malaise avec la façon dont l’auteur de notre Hymne national, Justin Lhérisson, a commencé le texte : « Pour le Drapeau, Pour la Patrie, Mourir est beau ! ». L’auteur semble mettre l’emphase sur la beauté de la mort pour la Patrie dans la première strophe au lieu d’accentuer la nécessité de vivre pour le Drapeau et pour la Patrie. Malgré toute l’admiration que j’éprouvais et que j’éprouve encore pour l’ensemble des œuvres de Lhérisson, cet écrivain de renom, je continue à creuser pour comprendre la vision du monde, la logique et la philosophie qui poussaient l’auteur à procéder de la sorte dans la rédaction de ce patrimoine culturel que constitue notre hymne national, symbole de notre identité de peuple et expression d’un message fort lancé aux autres peuples du monde.
Tout en reconnaissant la nécessité de braver même la mort pour défendre nos valeurs, nos croyances et notre pays, je reste convaincu qu’il est plus facile de mourir pour son pays que de vivre pour son pays. Si choisir de mourir pour défendre sa Patrie est un acte héroïque magnanime, donc très appréciable, s’engager à vivre pour son Drapeau et pour sa Patrie constitue un des actes les plus courageux et inestimables exigeant beaucoup de conviction, l’esprit de dépassement de soi, de renoncement, la force de caractère et des efforts titanesques.
Notre pays gagnerait beaucoup à promouvoir l’obligation d’apprendre à vivre, pour notre Drapeau, pour notre Patrie. Aujourd’hui, plus que jamais nous avons besoins d’enfants, de jeunes et d’adultes engagés à vivre, pas uniquement à chanter, pour notre pays. Choisir de vivre pour son pays renvoie à plusieurs dimensions. Cet acte procure une excellente raison de vivre et devrait être cultivé et encouragé pour les raisons suivantes :
D’une part, vivre pour son pays, c’est choisir de défendre son droit d’exister en tant que peuple et en tant qu’individu. Il s’agit d’assumer son passé, accepter, analyser pour mieux comprendre son présent et rechercher des stratégies pour le changer ; c’est aussi travailler pour mieux préparer son avenir. Vivre pour son pays consiste à travailler à garantir la sécurité de son pays, condition indispensable pour tout progrès social et économique. Dans la lutte pour la survie sur l’échiquier mondial et régional, vivre pour le Drapeau réside dans le fait de mobiliser toutes nos forces, nos intelligences et notre savoir-faire pour déjouer toute tentative de génocide visant à décimer notre population, à nous chasser en tant que peuple, groupe social ou groupe d’individus, acte qui constitue en soi un crime, un délit très grave.
D’autre part, vivre pour notre Patrie suppose que nous engagions à travailler pour le progrès de notre pays pas uniquement pour notre progrès individuel. Le travail non seulement nous élève comme hommes ou femmes sur le plan personnel mais aussi notre nation de manière globale. Tout en cherchant à promouvoir l’esprit d’entraide, de solidarité, de collaboration et à exiger de nos gouvernants l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques de protection sociale ciblant les groupes les plus vulnérables, nous devons chercher à promouvoir le principe de la redevabilité, l’amour du travail et l’esprit d’entreprise en vue de créer des richesses et de veiller à leur distribution au bénéfice du plus grand nombre. Le travail individuel et coopératif participe donc à l’ennoblissement de notre caractère et nous rend très solidaires et heureux.
De plus, vivre pour le Drapeau, pour la Patrie, se réfère à l’acte d’apprendre à aimer, à respecter et à faire respecter les lois de notre pays tout en nous assurant que ces lois soient axées sur les principes d’égalité, d’équité, de protection et de justice sociale. Vivre pour le Drapeau renvoie aussi à l’idée d’aimer et de protéger tout ce que nous avons en partage, notre faune, notre flore, notre espace physique, nos institutions, notre langue, notre culture, nos croyances, nos valeurs de peuple, nos patrimoines historiques et culturels et nos centres éducatifs.
En outre, vivre pour le Drapeau, pour la Patrie, c’est apprendre à faire des dépassements de soi de manière à dégager des ententes politiques, sociales, économiques et familiales en tant que membres d’une même nation, famille, communauté, institution ou groupe quelconque pour continuer à exister. En revanche, vivre pour le Drapeau et pour la Patrie, consiste à refuser tous les compromis qui touchent à nos croyances fondamentales, notre intégrité physique, morale ou spirituelle. Les compromis qui menacent notre existence de peuple ou qui mettent en péril notre indépendance, acquise au prix du sang et à travers le paiement d’une dette de l’Indépendance imposée par la France, cette dette qui était à la fois une grave injustice et un crime de lèse humanité desquels notre pays a eu du mal à se relever et dont les conséquences se font encore senties, ne devraient même pas être évoqués chez-nous.
Vivre pour le Drapeau, pour la Patrie comprend le fait de s’engager à travailler au bien-être collectif tout en recherchant son bien-être individuel. Il suppose des actions concrètes pour contribuer à soulager la misère, les désolations, les cris de douleurs et corriger le chaos autour de nous. Il s’agit de militer dans la défense de nos droits individuels en tant que personnes humaines, mais aussi de promouvoir la nécessité de nous acquitter de nos obligations citoyennes, de défendre et de protéger les droits de nos concitoyens et ceux de tous les hommes et de toutes les femmes du monde en suivant l’exemple de nos ancêtres.
Vivre pour le Drapeau, pour la Patrie comporte l’idée d’œuvrer pour que notre Drapeau continue à flotter bien haut dans la confrérie des nations du monde. Il comprend aussi l’acte de défendre le droit des autres peuples du monde à l’auto-détermination. Il nous enjoint à nous engager à lutter contre la domination de l’homme par l’homme et aussi de travailler à développer cette fraternité universelle au-delà de nos frontières.
Vivre pour le Drapeau, pour la Patrie se réfère au développement de la capacité d’apprendre à travailler ensemble pour trouver des solutions aux problèmes communs qui nous guettent tous et toutes. Il nous pousse à nous joindre les mains dans un vaste konbit national contre la pauvreté, les injustices sociales, l’esprit d’intolérance, du népotisme et du favoritisme. Il convie donc à travailler à combattre la misère qui constitue l’une des plus grandes formes de violences avec des impacts multidimensionnels sur nous et sur notre environnement personnel et global.
Vivre pour le Drapeau, pour la Patrie comporte enfin le développement d’une attitude mentale positive qui nous pousse à cultiver l’esprit de gratitude, de révérence, de respect de la mémoire de nos valeureux ancêtres qui se sont engagés corps et âmes pour nous léguer un si beau pays Haïti. Être reconnaissants envers nos ancêtres qui nous ont légué cette Terre où nous pouvons vivre et adorer, en toute liberté et justice l’Etre suprême, constitue à la fois un privilège, un droit et un devoir majeur. Nous devons continuer à travailler à la défense et à la prospérité de notre pays et apprendre à nos enfants, jeunes et adultes à vivre pour le Drapeau et pour Patrie. Pour atteindre un tel objectif, nous devons nous donner en exemple en nous engageant en tant qu’adultes à nous acquitter de notre devoir de vivre également pour le Drapeau et pour la Patrie.
Pour le Drapeau,
Pour la Patrie,
VIVRE est beau (bis)
Dans nos rangs,
Point de traitres,
Du sol, soyons seuls maitres,
VIVRE est beau (bis)
Pour le Drapeau,