30/08/2024
Pour nos DIX ANS, nous avons demandé à certains de nos auteurs s'ils voulaient nous dire ce que représentait 64_page pour eux.
MARC DESCORNET s'y est collé avec l'enthousiasme et la passion que nous lui connaissons !
Marc Descornet
Je suis né à Bruxelles en 1970 et j'ai été diplômé de l'Académie de Boitsfort en BD et illustration en 1989. J'ai longtemps dessiné, peint et raconté des histoires de façon confidentielle, par pur plaisir et par nécessité viscérale. Le cap de la cinquantaine m'a donné envie de présenter mes productions à un plus large public.
C'est la r***e 64_page qui m'en a offert l'occasion début 2020. J'y ai publié dans le #18 trois planches réalisées à l'acrylique 70x50cm qui rendent hommage à mon ancien prof de BD et d'illustration. Alors que Louis Joos donne cours à l'académie de Boitsfort, fin des années '80, de grands noms du jazz font irruption, exprimant tour à tour par des citations authentiques leur vision sur le processus créatif. Joos partage également son ressenti. Y apparaissent dans l'ordre : Charles Mingus, Charlie « Bird » Parker, Bud Powell, John Coltrane et Thelonious Monk.
64_page m'a encore ouvert ses pages avec d'autres projets, dans d'autres styles, comme un numéro spécial Western ( #19) dans lequel j'évoque en trois pages le tout premier film western « The Great Train Robbery » (1903), avec un traitement au crayon, des cases au ratio des dimensions de l'époque en gaufrier sur fond noir, un choix de mise en images évoquant le visuel des anciennes salles obscures.
Le numéro spécial Polar de 64_page #22 a accueilli quatre planches réalisées avec mon fils Daran, 14 ans, au scénario. Père et fils nous sommes partis d'une anecdote qui nous est réellement arrivée et nous avons développé un petit récit en y insufflant un esprit polar, que j'ai graphiquement accentué. La voix du gamin est l'écriture de mon fils ; l'autre est, en hommage, celle de mon papa, qui venait de nous quitter.
Dans le 64_page #24 consacré au CBBD, j'ai signé « Aurore écarlate », cinq planches à la mise en page très travaillée qui parlent d'un éveil en une sorte d'anachronie onirique qui mêle trois éléments importants : les personnages (Masque rouge et l'auteur en recherche d'inspiration), le combat social et en particulier l'émancipation féministe, et l'atmosphère du bâtiment style Art-Nouveau. Un texte concis et complet, une action en contrepoint qui symbolise un combat (intérieur), un cheminement qui va crescendo et qui se termine par une chute. Ce numéro a été l'occasion d'organiser avec le musée de la BD une visite guidée puis un enthousiasmant week-end de dédicaces et d'activités, ce qui a permis aux auteur(ice)s de partager de chouettes moments créatifs et de rencontrer le public.
En septembre 2023, je suis à nouveau au sommaire du 64_page #25 avec « Envols », une histoire pour enfants écrite en famille, avec mon épouse, mon fils, et même le chien. Avec le printemps arrive la nidification. Un couple de rouges-gorges a fondé une famille. Trois oisillons sont nés. Le moment venu, les parents les ont laissés seuls. L’un après l’autre, ils ont pris leur envol. Le petit dernier a eu plus de difficultés. Il a reçu l’aide de sa fratrie, mais pas seulement.
Ma démarche est avant tout liée au plaisir, celui d’imaginer et de mettre en forme des histoires et de les dessiner, puis celui de partager ce plaisir avec celles et ceux qui y trouveront du sens et du plaisir à leur tour. Et pour y arriver, je me laisse porter par mes envies, les opportunités, les rencontres… Quand l’inspiration vient, je visualise comment elle pourrait au mieux trouver sa traduction concrète, en toute liberté de style, sans m’imposer de contraintes graphiques.
64_page est depuis cinq ans, soit la moitié de sa durée d'existence, un formidable stimulant et un laboratoire qui m'a permis d'expérimenter, d'explorer pour, au fil du temps et des projets proposés, dégager plusieurs constantes techniques dans lesquelles je me retrouve pleinement en termes artistiques. J'utilise un vieux support papier un peu granuleux à la texture atypique. J'affectionne le crayonné, porteur de spontanéité, dont j'accentue les traits porteurs. Ensuite, les planches scannées sont traitées pour en retirer un noir franc, que la palette de couleurs vient rehausser.
C'est ainsi que j'ai pu obtenir le rendu visuel des six pages de « Zina », épisode zéro publié dans le #26 de 64_page. En plus d'une certaine maturité graphique, il s'agit cette fois d'un projet ambitieux, un récit intimiste, existentiel, poignant, l'histoire d'une vie ! Zina vit dans le Colorado. Elle arbore un style steampunk bien à elle. Elle aime bidouiller toutes sortes de trucs et de machins au départ de matériaux recyclés. Tout peut l'inspirer. La vie aussi l'inspire. Elle voue une passion pour les grues, ces oiseaux qui, dans de nombreuses cultures, symbolisent la longévité et l'immortalité, comme une ironie du destin de Zina. Car la vie lui a été courte. La vie et les mots de Zina ouvrent notre esprit sur ce que nous sommes et sur le monde qui nous entoure. Elle nous incite à y réfléchir, et à nous réaliser au moyen de la création, à explorer et exprimer nos pensées. Zina va encore m'accompagner un bout de chemin.
J'avais également créé un personnage en 1988 à l'occasion d'une activité scolaire liée à la presse. J'avais alors réalisé un gag de trois cases, inspiré de mon prof de math qui aimait agrémenter ses cours de bons mots et de jeux de l'esprit. J'avais pris l'habitude de les noter et d'en tirer des strips. J'ai continué pendant des années, sporadiquement, en imaginant de nouveaux gags de mon cru et me suis attaché à ce personnage baptisé Abelard N. Nombrill. Deux de ces gags ont été publiés dans 64_page #20 et #23 et un autre actuellement dans le #27 de septembre 2024 sur le thème du Japon.
Philippe Decloux, cheville ouvrière de 64_page, aime qualifier Zina et Abelard N. Nombrill de « mon couple infernal », deux univers très différents qui constituent l'un une aventure introspective philosophique et l'autre une récréation pas si superficielle. Je tiens particulièrement à remercier Philippe pour sa bienveillance et ses encouragements dans mon parcours d'auteur.
Je tiens aussi à exprimer mes pensées émues à l'égard de la regrettée Cécile Bertrand dont la cartoons académie a été pour moi une bouée de sauvetage pendant la traversée de la crise sanitaire. Elle avait particulièrement apprécié mon dessin lors du meurtre de Samuel Paty et aussi une de mes planches d'Abelard, soulignant l'absurdité de certaines mesures de distanciation sociale, qu'elle avait choisie comme cartoon avec ces mots : « J’aime qu’apparaisse de temps en temps une page pleine. Je trouve que toute cette page est bien amenée. J’aime aussi la simplification du trait. J’aime comme il dessine sa femme et ses mouflets, je trouve qu’il ne se gâte pas l’Abélard!!!!! ».
Cécile est partie en souhaitant la création en sa mémoire d'une forêt au Kenya, et des arbres, c'est tout de même mieux que des couronnes de fleurs. Pour contribuer, suivez ce lien : https://enaos.udianas.net/udianas/Details/323430
Et justement, le thème du prochain numéro de 64_page ( #28) à paraître en janvier 2025 sera les arbres, un nouveau défi intellectuel et technique ouvert à tou(te)s les auteur(ice)s inspiré(e)s. À bientôt !
