11/03/2024
Aujourd’hui, sans crier gare, ma fille a fait ressurgir les émotions du voyage
Le sujet de sa dissertation 6 ans après le clap de fin de notre long périple est incroyable.
Elle a trouvé les mots justes, saisissant et a su faire ressortir le ressenti des instants.
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Son sujet de dissertation
En quoi l'expérience du voyage peut-elle être à la fois enrichissante et déstabilisante ?
Dans la quête incessante de découverte et d'aventure, nombreux sont ceux qui se lancent dans des voyages prolongés à travers le monde. Ces longs périples offrent une multitude de bienfaits, allant de l'exploration de nouvelles cultures à l'enrichissement personnel. Cependant, peu de voyageurs anticipent le mal-être qui peut surgir à leur retour. En effet, le contraste entre l'euphorie des découvertes et la réalité quotidienne peut être déconcertant, engendrant un sentiment de décalage et de nostalgie. Dans cette analyse, nous explorerons à la fois les bienfaits d'un long périple et les défis auxquels sont confrontés les voyageurs lorsqu'ils rentrent chez eux, mettant en lumière la dualité complexe de cette expérience unique.
Riche d’une famille aventurière, j’ai toujours voyagé. Mes grands-parents maternels, auparavant vendeurs de surplus militaire, sillonnaient les routes de France à bord de leur camion exposant. Nomade dans l’âme, même après leur séparation dans les années 1980, ma grand-mère a continué de partir à l’aventure. Elle transmet ainsi le “virus” à ma mère qui à son tour le transmet à son mari et ses enfants. Chaque année, on partait quoiqu’il en coûte, d’abord à bord d’un vieux van aménagé puis en petites vacances jusqu’à un jour partir un an en tour du monde en backpacking. À l’âge de 15 ans, je fais mon sac et je dis au revoir à mes amis et me voilà partie en famille à explorer le monde. Je fais ma rentrée au lycée pour en fait le lendemain être à l’aéroport, direction New Delhi, et ce fut un choc qui m’a définitivement changée. Trois mois en Asie, quatre mois en Océanie, deux mois en Amérique du Sud et centrale et trois mois aux États-Unis, voilà une expérience qui m’a énormément appris sur les autres, les sociétés, les cultures, l’architecture ainsi que sur moi-même. J’ai alors compris le rôle réel de l’architecture dans les sociétés et j’y ai vu une façon de pouvoir changer les mentalités à grande échelle. J’ai vu la réalité du changement climatique et l’ai vécue, et j’ai compris que la sensibilisation des populations à cette problématique pourrait passer en grande partie par l’architecture.
Aujourd’hui, je peux constater que ces voyages font partie intégrante de ma personnalité et cela s’explique scientifiquement.
En effet, une étude de l’Université Cornell et de l’Université de Californie à Berkeley, nommée Waiting for Merlot: Anticipatory Consumption of Experiential and Material Purchases a démontré que les expériences lors d’un voyage offrent des sentiments plus forts et durables qu’une émotion dûe à un bien matériel, le souvenir même de ces moments contribue au bien-être d’une personne (différence entre un achat pour faire et un achat pour avoir). L’anticipation du prochain voyage et l’organisation de celui-ci confère autant une expérience extatique que le voyage en lui-même. Cela explique notamment la “dépendance” des voyageurs à planifier et vivre de nouvelles expériences, que ce soit partir à l’autre bout du monde ou simplement visiter le village d’à côté. Cette soif de nouvelles expériences est aussi justifiée dans The Journal of Personality and Social Psychology, un journal axé sur des théories psycho-sociales, qui a aussi trouvé une relation robuste entre l'étendue des expériences de voyage à l'étranger et une confiance généralisée en le monde et à autrui.
D’après le Transamerica Center for Retirement Studies, voyager permet de réduire le stress, acuiter la faculté de prise de recul sur des crises ou des conflits entre autres bienfaits. Finalement, c’est à se demander si le voyage ne serait pas la solution à tous nos problèmes.
Voyager, c’est aussi revenir. Après un long périple, on est contents d’être rentrés, ça reste une aventure. Comment les gens ont-ils évolué, comment cela va-t-il se passer ? Pour notre part, c’était une grande fête de village qui s’est improvisée devant la gare, flashmob compris. L’euphorie du retour ne dure que quelques temps, et très vite les gens autour de nous retournent chez eux vaquer à leurs occupations quotidiennes et c’est le retour à la réalité. On doit reprendre le même travail (ou les cours pour ma part), reprendre la même vie, revoir les mêmes personnes, revivre dans la même maison, et recommencer le lendemain. Un sentiment d’être prisonnier tout à coup, condamné à rester sur place, happés par la routine, s’emparent de beaucoup des voyageurs. C’est comme s’il existait plusieurs réalités et que celle de la “vie réelle” n’en était en fait pas une. Tout paraît artificiel, la société apparaît comme une grande scène dont nous sommes les protagonistes, nous ne jouons que des rôles. J’ai eu énormément de mal à me réintégrer au lycée. Dans le programme scolaire en ligne dans lequel j’étais inscrite pour continuer mes études de secondaire, puisque les professeurs savaient que nous avions accès à nos cours pendant les examens, nous poussaient à choisir des sujets de dissertations atypiques, et à chercher des informations en dehors des cours. C’était extrêmement enrichissant et c’est ce qui m’a permis de ne jamais me sentir trop déconnectée de mes cours. En rentrant au lycée en France, un sujet d’Histoire-Géographie sur le conflit des missiles pendant la Guerre Froide à Cuba tombe. Lorsque nous étions à Cuba, nous étions chez l’habitant et les locaux nous ont expliqué l’envers du décor ; je me suis alors servie de cette expérience pour produire une dissertation qui oppose les deux versions de l’histoire, et j’ai reçu le sublime commentaire “HORS PROGRAMME”. Encore aujourd’hui, je reste marquée de cela. J’ai compris en discutant avec le professeur qu’il fallait simplement répéter le cours et pas plus. Il faut rester dans le cadre. Puis à l’Université, notamment dans des études artistiques, il faut montrer à quel point on se démarque des autres, on recherche sans cesse où placer le cursus de l’originalité ou de la recherche intellectuelle et artistique. Et cela fonctionne ainsi dans les relations sociales.
Généralement, pour introduire un ami voyageur, on le présente ainsi : “Voici mon ami George, il a fait le tour du monde !”, même 6 ans après ce périple. Dans la représentation commune, beaucoup de caractéristiques élogieuses sont inconsciemment attribuées à celui qui part loin. Il évoque l’aventurier, l’érudit, le spirituel, l’utopiste, le révolté… Il est alors entouré comme d’une aura de mystère, et cette image plutôt flatteuse au premier abord, le dessert lorsqu’il veut créer des liens solides avec d’autres individus car cela crée un fossé. Alors parfois le voyageur, même lorsqu’il se décide à s’intégrer dans une société, prêt à reprendre le cours d’une vie routinière, est résolu à garder ce sentiment de décalage pour lui car il ne sent pas légitime de se plaindre.
En conclusion, l'expérience du voyage offre à la fois des moments d'enrichissement et des défis émotionnels. Malgré les difficultés rencontrées lors du retour à la réalité quotidienne, les souvenirs précieux, les leçons apprises et les liens tissés font du voyage une expérience inestimable pour la croissance personnelle. En embrassant cette dualité, les voyageurs peuvent pleinement apprécier la richesse et la complexité de cette aventure humaine universelle.
