03/01/2020
L’émissaire de Téhéran pour les affaires irakiennes, le puissant général Qassem Soleimani, et un autre leader pro-iranien en Irak ont été tués tôt vendredi dans un raid américain à Bagdad, trois jours après une attaque inédite contre l’ambassade américaine.
Aussitôt après la mort du général iranien Soleimani, en charge des affaires irakiennes au sein de l’armée idéologique de la République islamique, et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi, coalition de paramilitaires majoritairement pro-Iran désormais intégré à l’État irakien, le Pentagone a annoncé que le président américain Donald Trump avait donné l’ordre de « tuer » Soleimani.
Pour Phillip Smyth, spécialiste américain des groupes chiites armés, « c’est la plus importante opération de décapitation jamais menée par les États-Unis, plus que celles ayant tué Abou Bakr al-Baghdadi ou Oussama Ben Laden », chefs des nébuleuses ultraradicales État islamique et Al Qaïda.
Depuis des années, Bagdad est pris en étau entre ses deux grands alliés américain et iranien. En 2003, en renversant le régime de Saddam Hussein, les États-Unis prenaient la haute main sur les affaires irakiennes.
Mais le système qu’ils ont mis en place est désormais noyauté par Téhéran et les pro-Iran. Ceux-ci ont assemblé un arsenal inégalé grâce à l’Iran, mais aussi au fil des années de combat, aux côtés des Américains notamment, contre l’EI. Ils sont même parvenus à attaquer mardi l’ambassade américaine à Bagdad.
« Ordre de tuer »
Vendredi, Washington a répondu à cette incursion dans l’immense complexe au coeur de l’ultrasécurisée Zone verte de Bagdad de sa chancellerie, et à une série d’attaques à la roquette contre ses diplomates et ses soldats qui dure depuis des semaines. Des attaques attribuées par Washington au pro-Iran en Irak, mais jamais revendiquées.
« Sur ordre du président, l’armée américaine a pris des mesures défensives décisives pour protéger le personnel américain à l’étranger en tuant Qassem Soleimani », a indiqué le Pentagone dans un communiqué.
Le raid américain qui a visé un convoi de véhicules dans l’enceinte de l’aéroport de Bagdad a tué en tout au moins neuf personnes, selon des responsables des services de sécurité irakiens.
La nouvelle a déjà fait bondir de plus de 4% les cours du pétrole. L’or noir iranien est déjà sous le coup de sanctions américaines et la montée en puissance de l’influence de Téhéran en Irak, deuxième producteur de l’OPEP, fait redouter aux experts un isolement diplomatique et des sanctions politiques et économiques.
L’autre grande figure tuée est Abou Mehdi al-Mouhandis, véritable chef opérationnel du Hachd et lieutenant du général Soleimani pour l’Irak depuis des décennies.
Les deux hommes étaient sous sanctions américaines et le Hachd est aujourd’hui au coeur de toutes les attentions en Irak.
S’il a combattu à partir de 2014 aux côtés des troupes irakiennes et de la coalition internationale antidjihadiste emmenée par les États-Unis, ses factions les plus pro-iraniennes (pour certaines nées dans la lutte contre l’occupation américaine de 2003 à 2011) sont désormais considérées par les Américains comme une menace plus importante que le groupe EI.
« Soleimani, mon chef »
Mardi, ce sont ses combattants et ses partisans qui se sont livrés par milliers à une démonstration de force inédite en Irak. Ils ont déferlé dans la Zone verte de Bagdad où se trouve l’ambassade américaine, ont attaqué la chancellerie à coup de bélier de fortune et ont tracé des graffitis sans équivoque sur les murs. « Non à l’Amérique », disait l’un, « Soleimani est mon chef », affirmait un autre.
Cet épisode de violence inédit semblait terminé mercredi avec le retrait des pro-Iran de la Zone verte, sur ordre du Hachd.
Mais les morts de vendredi donnent de plus en plus de consistances à la menace qui pèse depuis des mois sur l’Irak: que son sol se transforme en un champ de bataille par procuration pour l’Iran et les États-Unis.
Une dizaine d’attaques à la roquette ont visé depuis fin octobre des soldats et des diplomates américains, tuant il y a une semaine un sous-traitant américain.
Dimanche soir, Washington, qui accuse les factions pro-Iran du Hachd al-Chaabi d’être derrière ces attaques non revendiquées, a répondu en bombardant des bases de l’une d’elles près de la frontière syrienne, faisant 25 morts.
Mardi, c’est le cortège funéraire de ces combattants qui a forcé l’entrée de l’enceinte de l’ambassade américaine à Bagdad.
PREMIÈRES RÉACTIONS AMÉRICAINES AU RAID CONTRE LE GÉNÉRAL IRANIEN SOLEIMANI
Des ténors républicains se félicitaient jeudi soir du raid américain contre le général iranien Soleimani, ordonné par le président américain Donald Trump, et aussitôt dénoncé par ses adversaires démocrates.
« J’apprécie l’action courageuse du président Donald Trump contre l’agression iranienne », a salué sur Twitter l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, proche allié du président.
« Au gouvernement iranien: si vous en voulez plus, vous en aurez plus », a-t-il menacé, avant d’ajouter: « Si l’agression iranienne se poursuit et que je travaillais dans une raffinerie iranienne de pétrole, je songerais à une reconversion. »
« Les actions défensives que les États-Unis ont prises contre l’Iran et ses mandataires sont conformes aux avertissements clairs qu’ils ont reçus. Ils ont choisi d’ignorer ces avertissements parce qu’ils croyaient que le président des États-Unis était empêché d’agir en raison de nos divisions politiques internes. Ils ont extrêmement mal évalué », a également salué le sénateur républicain Marco Rubio.
Le général Soleimani « n’a eu que ce qu’il méritait », a abondé le sénateur républicain Tom Cotton.
Dans l’autre camp, les adversaires démocrates du président, ont dénoncé le bombardement et les risques d’escalade avec l’Iran.
« Le président Trump amène notre nation au bord d’une guerre illégale avec l’Iran, sans l’approbation du Congrès », a fustigé le sénateur démocrate Tom Udall.
« D’accord - il ne fait aucun doute que Soleimani a beaucoup de sang sur les mains. Mais c’est un moment vraiment effrayant. L’Iran va réagir et probablement à différents endroits. Pensée à tout le personnel américain dans la région en ce moment », a quant à lui estimé Ben Rhodes, ancien proche conseiller de Barack Obama.