07/02/2024
Bonjour à tous.
Un petit retour aux sources avec un récit qui retrouve le style très immersif que j'affectionne. Cette histoire se veut la première partie d'une série de trois.
Bonne lecture.
Enfance & poussière, 1ère partie.
Le chant des écorces noyait ses pensées depuis les premières heures de l’aube. Cela faisait maintenant 4 heures que les premiers rayons de lumière de Reali-8 avaient traversé l’épais feuillage des Ebonicas recouvrant cette partie de Hercynia. Le chant du bois, le bruit proche de plusieurs cours d’eau dont elle ignorait le nom, un vent frais et naissant venu de l’est, les feuilles qui ondulaient dans un ballet hypnotique, tout s’accordait comme la composition d’un tableau irréel qui stimulait ses sens. Les yeux de Cwenhild se délectaient de ses paysages verdoyants, eux qui étaient plus habitués à l’obscurité teintée de lumière blafarde et aux halos rougeâtres des lumières du Flame of repentance.
A quelques mètres d’elle, en périphérie de son champ de vision, les autres membres de son escouade, leurs treillis bleus et blancs contrastant avec la végétation environnante. Voilà plusieurs semaines qu’ils parcouraient les immenses forêts de la planète à la recherche de traces, d’indices, de vestiges d’une présence humaine. Leurs officiers leur avaient parlé de vaisseaux écrasés, de signal radio et de peaux vertes en fuite, mais, dans l’ensemble, tous ignoraient la raison de leur présence ou l’importance des recherches. Ils exécutaient les ordres, comme depuis toujours. Ils étaient des orphelins, privés d’une planète que leurs aïeux avaient juré de défendre par leur sang. Ils étaient des filles et fils de Cadia, même des décennies après son oblitération par le fléau et ses serviteurs. Ils étaient des soldats.
Toujours bercée par la symphonie végétale, plusieurs pix des Kasrs de Cadia lui revinrent en mémoire. Elle n’en fût nullement attristée, bien au contraire, fût envahie d’une vigueur et d’une fierté qui emplirent son cœur et son esprit.
Les feuilles et les branches dansaient partout autour d’elle, le vent ponctuant la mélodie de variations tremblantes tantôt en rapprochant, tantôt en éloignant les bois les uns des autres. Le mouvement ascendant des basses branches d’un Ebonica plusieurs fois centenaire révéla un reflet métallique inhabituel.
« A terre ! »
Cwenhild cria d’une voix claire et puissante, que tous perçurent malgré le chant des écorces. Mais cela ne servit à rien. Ses mains se figèrent sur la crosse de son fusil MkV. Plongeant entre deux troncs, elle n’avait pas encore atteint le sol lorsqu’elle identifia ce qui se cachait dans les arbres. D’abord il y eut un soupir, un rictus aux coins des lèvres, de celui que l’on a lorsque l’on se retient de rire, vite suivi par un profond sentiment de honte.
Ce n’était qu’une simple boite de métal. Une boite de métal déformée par le choc. A peine plus petite qu’une malle réglementaire standard, encastrée entre deux grosses branches. Le frottement l’avait presque entièrement privée de sa peinture, et l’aigle impérial qui l’ornait, bien plus imposant que sur les cantines des soldats du rang, était à moitié manquant. Non loin de la caisse, des morceaux de métal, profondément plantés dans le tronc. Ils étaient partiellement recouverts d’une résine luisante et mordorée.
Lorsque tous comprirent ce qu’il venait de se passer, il n’y eut aucun rire, aucune moquerie. Seule la voix éraillée du sergent vint s’ajouter à la mélodie des lieux, alors que chaque soldat du groupe reprenait sa position.
« Nous reparlerons de cela plus t**d, soldat Cwenhild »
Le visage du sous-officier, le front plissé, la mâchoire serrée, était quelque part entre la colère et le soulagement. Le ton de sa voix, en revanche, ne laissait guère de doute quant à la teneur de la conversation qui aurait lieu dès la fin des recherches.
« Siv, sergent ! », répondit-elle immédiatement.
Sitôt relevée, sans même retirer la terre brune et odorante qui collait à son uniforme, elle s’empressa de passer son fusil dans son dos avant d’escalader l’arbre dans lequel la malle était piégée. Prenant de la hauteur, elle constata que de nombreux arbres des environs avaient vu leur cime brisée, et alors que l’odeur de résine se faisait de plus en plus forte, les branches cassées et entremêlées portèrent à ses oreilles, une dissonante superposition de notes. Que cela provienne de la souffrance des bois ou d’un simple phénomène physique ne rendait pas la chose plus agréable. Le briefing mentionnait bien que les plus grands végétaux de ce monde émettaient une vibration perceptible au contact, mais cette soudaine stimulation tactile et auditive fit naitre chez le soldat cadien une intense anxiété.
Les quelques mètres qui la séparaient de la branche franchis, ses sens de plus en plus malmenés par la végétation, elle dût encore redoubler d’effort pour débloquer la caisse métallique. Après de longues et désagréables minutes à faire levier à l’aide de sa baïonnette, l’arbre massif finit par relâcher son étreinte, et alors que Cwenhild peinait à garder son équilibre, la malle, elle, bascula dans le vide avant de heurter le sol de la forêt dans un bruit sourd presque instantanément recouvert par les cris de nombreuses créatures apeurées fuyant les lieux.
Quelques feuilles de vélin éparpillées autour d’un porte document en cuir, des médailles à l’apparence antique, plusieurs dents animales d’origine inconnue. La cantine, bien que verrouillée à l’aide d’une serrure biométrique sophistiquée, n’avait pas supporté cette ultime descente, son contenu désormais répandu à terre de façon étonnamment ordonnée. Comme dans un dernier hommage que la nature aurait voulu offrir aux souvenirs, aux histoires rattachées à ces énigmatiques objets, on aurait pu les croire étalés sur un bureau, n’attendant que leur propriétaire pour être une dernière fois consultés.
Un peu plus loin, à demi recouvert de terre et d’humus, ce qui n’aurait pu être qu’un chiffon, avait été projeté hors de la malle lors du choc. Pour une raison inexplicable, Cwenhild ne put s’empêcher de s’en saisir, alors même que le reste de son escouade se réunissait autour des autres objets, mus davantage par la curiosité que par le devoir.
Comme elle regardait ce morceau de tissu sale et poussiéreux désormais entre ses mains, quelques larmes vinrent poindre au bord des yeux de la fille de Cadia, troublant un instant sa vue et laissant sur ses joues une trainée brillante. Alors que rien n’expliquait ce soudain débordement d’émotions, curieux mélange de joie et de profonde tristesse, Cwenhild essuya son visage pour découvrir que l’amas de chiffons était une poupée, silhouette vaguement humaine créée de tissus et de fils, décorée de morceaux de métal tordus et d’éclats de verre, parodiant d’une bien miséreuse manière la robe richement ornementée d’une anonyme jeune femme de la noblesse. Le tissu était rouge il y a bien longtemps, et même si par endroit subsistait encore des touches de couleur chaleureuse, la crasse, l’usure, et une poudre de ciment d’un gris cendreux avait changé la petite poupée. L’œil et le bras manquant n’arrangeaient pas les choses. On avait utilisé l’extrémité d’un morceau de plastek brulé pour y inscrire quelques lettres : « A H N A »
L’instant suivant, quelques gouttes de sang tombèrent sur une des jambes de la poupée depuis le nez de Cwenhild, et alors que les larmes ne cessaient d’affluer sur son visage, le paysage se mit à tourner, à se déformer tout autour d’elle. L’odeur de résine et de bois laissa peu à peu place à l’odeur métallique du sang, à laquelle s’ajouta une odeur d’égouts, à moins que cela ne soit une odeur de viande séchée. Un début de migraine, une violente nausée, alors que le son ondulait autant que les arbres, les soldats à côté se changeant en d’envoutantes spirales blanches et bleues, puis le sol se déroba sous ses pieds.
Le soldat de première classe Cwenhild Ivna ne put apprécier le matelas de mousse, et de feuilles mortes qui l’accueillirent lorsqu’elle bascula en arrière. Lorsque son dos toucha le sol, elle avait déjà perdu connaissance…
"La minute WARP, vos figurines ont leur histoire."