09/05/2021
[CHAPITRE 2]
M. X s’est décidé : puisque personne ne semble prendre son cas au sérieux, il va lui-même se présenter. Ce n’est pas que l’idée l’enchante particulièrement : il n’a que peu de temps et de moyens financiers à consacrer à cette entreprise, son travail de comptable étant des plus prenants. Qu’importe, il est prêt à sacrifier ses soirées, ses week-ends et même ses pauses déjeuner s’il le faut ! Chaque parcelle de temps disponible doit être utilisée pour mener à bien ce projet.
M. X se prépare, il organise ses idées, les met au propre, se fait relire et corriger, ébauche un premier programme, le froisse, le jette, s’y remet, noircit des pages et des pages avant de toucher à son but : en trois pages, les grands principes, les principales idées, les mesures emblématiques sont ramassées. M. X relit ces trois bouts de papier, il les relit encore et encore : c’est que ce papier sera le gage de sa crédibilité, lorsqu’il sera face à ses concitoyens ! Il s’agit de convaincre par son sérieux, son exhaustivité.
Enfin, le voilà prêt à se déclarer ! Pour faire campagne, encore faut-il officialiser son intention d’y aller, et cela passe par quelques formalités au Bureau d’Admission des Nouvelles Candidatures, auquel il se rend par une matinée joyeusement ensoleillée. M. X a le cœur léger : il sent que c’est là le point de départ d’une nouvelle aventure, dont il ne sait pas trop où elle va le mener, mais pour laquelle il nourrit bien des espoirs.
Il entre dans le bâtiment, plutôt grand, six étages et, délicate attention, accès handicapé. Dans le hall, un vigile l’accueille et lui désigne le couloir menant au guichet des candidatures. Suivant ses indications, M. X se retrouve dans une salle exigüe, mal éclairée, où la faible lumière du qui pénètre n’éclaire guère que la poussière en suspension dans l’air. M. X jette un regard circulaire dans la salle : juste à sa gauche, un banc porte l’inscription « BANC DES POSTULANTS ». Il est bien là pour postuler, et s’assoit donc aux côtés d’un quidam à l’air plutôt angoissé. M. X patiente, et bientôt son voisin de banc est appelé par le guichetier, dissimulé derrière une vitre teintée. L’homme s’approche, semble hésiter et, arrivé au guichet, extirpe de sa sacoche une liasse de papiers, qu’il pose sur le rebord. Après un instant, tendant l’oreille depuis son banc, M. X entend ce qui ressemble à des supplications du postulant, auxquelles répondent les injonctions sèches, acerbes du guichetier. Enfin, après de longues et vaines minutes de négociation, l’homme récupère pêle-mêle sa liasse que lui rend le guichetier, et sort prestement de la salle surchauffée.
Il a à peine le temps de passer la porte que M. X est appelé. Arrivé face au guichetier, il explique en quelques mots l’objet de son déplacement. Depuis l’intérieur de la cabine, seule la voix du guichetier lui parvient : « Vos parrainages, s’il vous plaît ». M. X reste interdit : il lui semblait bien qu’il suffisait de se déclarer pour voir son affaire validée… Il interroge le guichetier, qui lui répond simplement qu’il doit réunir un minimum de trois cents parrainages d’élus pour avoir le droit de se présenter. Des élus ? Mais M. X n’en connaît aucun ! En plus, la date limite de dépôt des candidatures est dans un mois à peine. Après un rapide calcul, il réalise que même en y passant ses nuits, il n’est pas sûr de pouvoir en trouver la moitié ! Il baisse les yeux sur son programme de trois papiers : c’est cent fois cela qu’il lui faudrait ! Rougissant, M. X comprend au silence du guichetier que son tour est passé. Il se retourne lentement et reprend le couloir par lequel il est entré.
En sortant du bâtiment, désemparé, M. X aperçoit l’homme qui l’a précédé au guichet, tristement assis sur un banc public, et qui semble sangloter. Il s’approche, se sentant comme solidaire de la peine de cet inconnu lui aussi rejeté, et vient à nouveau s’asseoir à ses côtés. Le reconnaissant, l’homme ne peut retenir un ricanement et, avec une pointe de désespoir dans la voix, lui demande : « Il m’en manquait tout juste douze et ils ont quand même refusé. Et vous, vous en aviez combien ? »
M. X ne répond pas, perdu dans ses pensées. En soupirant, son voisin ajoute :
- Vous voyez, nous voilà tous les deux sur le banc des recalés.