19/07/2023
Freidl Dicker-Brandeis: » pour préserver l'élan créatif, c'est d'en faire un art de vivre » L’art thérapie Therensienstadt
Frederika Dicker-Brandeis, dite Friedl Dicker-Brandeis, née le 30 juillet 1898 à Vienne et morte le 9 octobre 1944 à Auschwitz, est une artiste peintre et une enseignante autrichienne.
Frederika Dicker naît à Vienne, en Autriche, en 1898. Ses parents sont Simon Dicker et Karolina Fanta. Sa mère meurt en 1902. Entre 1909 et 1912, elle fréquente une école secondaire pour filles à Vienne, où commencent à s'épanouir sa personnalité vive et excentrique et son talent pour l'art. Son père favorise sa vocation en travaillant dans une papeterie pour lui financer l'exercice de son art.
EN 1911, elle étudie la photographie et le graphisme. En 1915, elle s'inscrit à l'Académie des beaux-arts de Vienne où elle se spécialise en art textile et en broderie. Elle y est l'élève de Franz Cižek ; le peintre tchèque lui enseigne la relation entre l'art et la pédagogie de l'enfance.
L'entrée du camp de concentration de Theresienstadt.
En 1940, elle écrit à un ami :
« Je me souviens avoir songé lorsque j'étais à l'école comment je me comporterais une fois adulte pour protéger mes étudiants des impressions désagréables, de l'incertitude, des apprentissages décousus. Aujourd'hui, une seule chose me semble importante pour préserver l'élan créatif, c'est d'en faire un art de vivre et d'enseigner comment dépasser les difficultés qui sont insignifiantes en regard des objectifs que vous poursuivez. »
Le couple Pavel Brandeis/ Freidl Dicker vit à Žďárky jusqu'en décembre 1942, date à laquelle son mari et elle sont déportés au camp de Theresienstadt. Durant son séjour, elle y donne des leçons d'art et des conférences. Elle aide à mettre sur pied en secret des classes pour poursuivre l'éducation des enfants à Theresienstadt : la maison d'enfants L 410. Elle envisageait l'art et le dessin comme une manière pour les enfants de comprendre leurs émotions et leur environnement. En ce sens, elle pratique alors une forme d'art-thérapie. Elle adapte un système du Bauhaus pour développer la concentration émotionnelle afin de compenser le chaos extérieur. Dans son travail avec les enfants, toutes ses ressources sont mobilisées : sa personnalité charismatique, sa grande énergie, ses méthodes pédagogiques innovantes, ses talents artistiques et sa compréhension profonde de la psychologie des enfants.
Durant l'été 1943, lors d'un séminaire d'enseignants dans le camp, elle donne une conférence sur «Dessins d'enfants», mettant en évidence la signification et le but de leur art qu'elle voit comme «la plus grande liberté possible pour l'enfant». Elle présente les différentes caractéristiques des enfants par rapport à leur âge et leur développement psychologique et comment, selon elle, les adultes devraient se comporter envers les enfants et leur art : «Pourquoi les adultes veulent-ils que les enfants leur ressemblent le plus vite possible ? ... L'enfance n'est pas une étape préliminaire, immature sur le chemin de l'âge adulte. En traçant le chemin aux enfants, nous les éloignons de leur propres compétences créatives et nous nous empêchons de comprendre la nature de ces compétences.».
Elle a une grande influence sur les enfants. Les survivants disent qu'elle était «le mystère de la beauté», «le mystère de la liberté». Son ancienne élève Erna Furman écrit : «L'enseignement de Friedl, le temps passé à dessiner avec elle, sont parmi les plus tendres souvenirs de ma vie. Terezin les rend plus poignants mais ç’aurait été la même chose partout dans le monde... Friedl est la seule qui enseignait sans rien demander en retour. Elle a simplement donné d'elle même» (Lettre à Elena Makarova 1989).
En septembre 1944, Pavel Brandeis est transféré à Auschwitz ; Friedl se porte alors volontaire pour le rejoindre par le prochain transport. Avant de partir, elle remet à la principale enseignante de l'école des filles, Raja Engländerova, deux valises contenant 4 500 dessins dont ceux de la petite Hanna Brady.
Friedl Dicker-Brandeis est assassinée par les n***s au camp d'extermination d'Auschwitz, le 9 octobre 1944.
Travail artistique
Le travail artistique de Friedl Dicker-Brandeis est peu connu. Elle a elle-même détruit une partie de ses travaux qu'elle ne jugeait pas assez bons. Souvent elle ne signait pas ses créations, y compris les 60 dernières, de Terezin. Elle a donné certains dessins et peintures à des amis, élèves, voisins ou parents de son mari lorsque le couple a dû quitter son appartement à Hronov pour un autre plus modeste ou, ensuite, pour être déporté.
Comme sa vie personnelle, la vie artistique de Friedl Dicker est divisée en trois parties : du Bauhaus à Prague (1919-1934), de Prague à Terezin (1934-1942) et Terezin (1942-1944). Les œuvres de la première période portent l'influence de Itten. Les esquisses et dessins de cette période utilisent différentes techniques, dans un style spontané et rapide tandis que les sculptures sont constructivistes et architectoniques. Ces travaux qui semblent, à première vue, si ouverts, renferment des secrets : quelque chose se passe derrière les scènes, «derrière le miroir» de l'image, que chacun peut essayer de deviner.
La seconde période est caractérisée par un glissement décisif vers la peinture. Les deux tableaux «Interrogation» traitent de son arrestation à Vienne en 1931 et des mauvais traitements qu'elle a subis.
Durant cette période elle a aussi peint des paysages, des natures mortes, des allégories figuratives ou des posters anti-capitalistes et anti-fascistes, utilisant le photomontage et qui sont ouvertement politiques.
Ses travaux de Terezin sont différents de ses travaux précédents à cause du manque de papier et de peinture. De nombreux travaux ne seront jamais terminés et sont restés au stade de croquis et certains sont de simples variations autour de la même composition. Les sujets sont des paysages, des fleurs, des scènes de rue, des compositions abstraites et des croquis pour des productions théâtrales. L'environnement du ghetto est totalement absent de ses peintures.
La plus grande partie du temps à Terezin est occupé par l'enseignement. Ce n'est qu'à l'automne 1944, lorsque les transports vers les camps de la mort sont temporairement suspendus (pour tromper la Croix-Rouge) qu'elle se consacre entièrement à la peinture. “Je peins avec la plus grande intensité possible» écrit-elle à sa belle-sœur Maria Brandeis en août 1944, deux mois avant sa mort.
Après la guerre, W***y Groag, le directeur de l'école des filles L 410 confie les valises contenant les dessins à la communauté juive de Prague. Sur les 660 auteurs de dessins, 550 périrent durant la Shoah. Les dessins sont aujourd'hui conservés par le musée juif de Prague et certains sont exposés à la synagogue Pinkas à Prague.
Ses dernières œuvres ont été découvertes seulement dans les années 1980, ainsi qu'une centaine de lettres de 1938 à 1942 de Friedl à Hilde Kothny et quelques-unes à Anny Wottitz. C'est donc quarante ans après sa mort, grâce à la découverte de centaines d’œuvres artistiques, lettres et mémoires que Friedl Dicker-Brandeis commence à obtenir une reconnaissance méritée comme artiste, enseignante et personnalité remarquable.
En 1999, une exposition consacrée à Friedl Dicker-Brandeis fut organisée par le centre Simon-Wiesenthal. Organisée par Elena Makarova d'Israël, l'exposition itinérante fut montrée en République tchèque, en Allemagne, en Suède, en France, aux États-Unis et au Japon. Daisaku Ikeda, le fondateur du museum d'art Fuji à Tokyo qui fut la cheville ouvrière pour accueillir l'exposition au Japon dira :
« Les travaux artistiques variés laissés par cette grande dame et par les enfants de Terezin sont leurs legs au présent pour chacun d'entre nous. Ils nous invitent à continuer notre quête d'une société qui chérit la vie humaine en transcendant toutes les différences de races, de religion, de politique et d'idéologie. Cela reste mon espoir le plus profond que cette exposition soit un moment d'introspection pour ceux qui la verront, un moment pour réaffirmer l'importance de nos droits en tant qu'être humain et la valeur de la vie en elle-même. »
Friedl Dicker-Brandeis est considérée par beaucoup comme une artiste importante des débuts du 20eme siècle. Walter Gropius, disait que, si elle avait vécu, Friedl Dicker-Brandeis aurait été la plus importante artiste féminine du 20eme siècle.