17/02/2020
Crise à l’UOB / au-delà de l'émotion : la leçon inaugurale
Avec un ton comminatoire qui frise l’irrévérence, la correspondance du Coordinateur des affaires Présidentielles en direction du Recteur de l’université Omar Bongo a vite révélé la délicatesse de son office, et les limites de sa mission.
Lecture.
Sous toutes les facettes, la démission du Professeur Marc Louis Ropivia est un évènement majeur qui vaut une leçon inaugurale, à la fois, pour apprécier la qualité des acteurs en cause, jauger la pertinence du questionnement en débat, et au-delà de l’émotion, poser la question de savoir, s’il faut toujours partir et se démettre, devant toute difficulté existentielle ?
Les acteurs en jeu
Pour avoir été le premier à ouvrir l’épreuve du nouveau système de désignation des recteurs, et pour avoir triomphé avec succès au grand oral de ce critérium de l’excellence, Marc Louis Ropivia tenait parfaitement sa place, sur le sommet du monde du savoir au Gabon.
Plébiscité sur son modèle universitaire par le Conseil d’administration, la nouvelle procédure conviait le recteur Ropivia à proposer à la nomination, les équipes avec lesquelles il a mené son Projet de Gouvernance Institutionnelle (PGI), afin de le réaliser dans les faits.
Bien plus. Pour placer les nouveaux chefs d’établissements dans les conditions optimales de réussite, le Ministre de tutelle qui répond de l’administration universitaire, a suggéré à chaque recteur d’université et à chaque directeur général de grande école, de lui proposer l’administration idéale avec laquelle il entendait travailler.
La crise actuelle tient dans le fait que, toutes les équipes proposées par Ropivia pour conduire son projet pédagogique n’ont pas été nommées, des souffleurs bien en Cour ayant suggéré d’autres noms au Chef de l’Etat. Plus encore, l’administration qui a été portée aux responsabilités pour l’accompagner lui est totalement inconnue, lorsqu’elle ne lui est pas simplement hostile.
Le drame de Ropivia est que, pour reprendre la main, il a cru devoir nommer dans son domaine réservé, en l’occurrence son cabinet, des collaborateurs à qui il a confié les prérogatives officiellement dévolues aux personnalités nommées en Conseil des Ministres, par le Chef de l’Etat.
Se voyant dessaisis au quotidien de leurs prérogatives propres, les agents nommés en Conseil des Ministres ont directement porté le débat à la Présidence de la République où ils ont leurs entrées, dont le Coordinateur Général des affaires Présidentielles.
Pour ceux qui font argent de tout, la crise créée par Ropivia est une lutte pour la gestion des inscriptions, autrement dit, pour la maîtrise des recettes propres, dont une partie est reversée à chaque établissement, le principal desdites recettes alimentant des comptes spéciaux au Trésor Public.
Pour lui faire payer la dérégulation de ce système, les esprits retors pensent que le recours aux audits, pour remonter la gestion des cinq dernières années, et l’évocation de la Cour des Comptes, pour disqualifier le candidat Ropivia participent, forcément, du souci d’établir à sa charge, des indices graves et concordants de sa mauvaise gestion supposée, et peut être, le niveau d’un redressement.
Le deuxième acteur est Moukagni-Iwangou. Le Ministre de tutelle.
Régulièrement proposé à la détestation du Peuple, au nom des crispations politiciennes très éloignées du débat en cause, le Ministre de l’Enseignement supérieur est placé à la tête d’un département dans lequel, chaque établissement dispose de l’autonomie administrative et financière, au reste obtenue de haute lutte.
Dans les faits, il exerce le statut de force tampon qu’il tient à merveille, entre les autorités académiques qui fonctionnent librement, et ne le tiennent informé que très peu souvent de leurs activités, et la puissance publique qui a une ambition de développement à atteindre, à partir de l’adéquation à réaliser entre la formation et l’emploi.
Sauf que voilà. Dans ce dialogue des extrêmes, entre des universitaires qui étouffent dans le chaudron des amphithéâtres largement surpeuplés, et un Gouvernement qui retire au Ministre tous les budgets d’investissement depuis qu’il est aux responsabilités, il y a une corde raide qui finira bien par casser !
Le troisième acteur est Nourredine Bongo Valentin. Le coordinateur général des affaires présidentielles, qui a tenu à bousculer le cocotier.
Installé dans un emploi supérieur de la Haute administration d’Etat, en appui à la charge du Président de la République, Nourredine doit prendre ses instructions auprès du chef de l’Etat, les traduire aux destinataires désignés, en rendre compte à son illustre commettant, le tout, dans le respect des articulations institutionnelles.
Invité dans le cas d’espèce à porter un message à un membre du Gouvernement, il lui appartenait de prendre attache avec le Premier Ministre, de lui transmettre le dossier, à charge par ce dernier de faire son affaire, de la procédure de notification à son Ministre des Hautes consignes et instructions du Chef de l’Etat.
Les enjeux du débat
En sortant de son périmètre de confort, pour descendre dans le marigot Gabonais, Nourredine ouvre une crise de régime, dont il faut décoder les premiers signaux.
Le premier d’entre eux tient dans la délimitation des sphères de compétence.
Attaqué dans sa légitimité à confier à des personnels d’appui, relevant du ‘’domaine réservé’’ aux recteurs, des missions dévolues aux titulaires d’emplois supérieurs pourvus par le chef de l’Etat, la démission de Marc Louis Ropivia sonne comme une reculade d’un pan important de la thèse de l’autonomie des universités.
Porte étendard de ce combat qui mobilise la communauté universitaire, toutes tendances confondues, le Professeur Ropivia s’est gardé de tenir la dragée, de sorte à poser le débat, et à obtenir une délimitation claire pour l’avenir, entre le périmètre relevant de la décision souveraine du chef de l’Etat, et les matières relevant du territoire des recteurs et des franchises universitaires.
Ropivia parti, le débat reste entier.
Le second signal de cette crise réside dans cette tendance dont le Gabon semble prendre le leadership, celui d’édicter des textes que le pouvoir refuse lui-même d’appliquer.
Dans la réforme du système de nomination des chefs d’établissement, le chef de l’Etat a clairement placé les universitaires devant une responsabilité sociétale, celle de repenser et de réaliser eux-mêmes, leur propre univers.
Dans cet esprit, comment justifier que l’on puisse refuser à un recteur de nommer aux responsabilités, l’équipe qui a partagé et sa réflexion ?
C’est l’enterrement de la réforme, réalisé par le chef de l’Etat lui-même.
Pour en venir aux audits, dont la circonférence est presque circonscrite à la personne de Ropivia, l’Etat impartial montre que la chasse à l’homme est prononcée. Reste à assumer les conséquences.
Le troisième signal est d’ordre institutionnel.
L’ordonnancement institutionnel de notre pays institue trois pouvoirs, en l’occurrence le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, et le pouvoir judiciaire.
A ce propos, le dialogue des institutions met en correspondance ces trois pouvoirs, pour le bien du pays, et pour le fonctionnement harmonieux des services.
Ressortissant du pouvoir exécutif, dont les tenants sont, d’une part le chef de l’Etat qui a pour délégataire le Vice-Président de la République, d’autre part le Premier Ministre qui détermine avec lui la politique de la Nation, la sortie de Nourredine est un précédent fâcheux, qui donne des arguments à ceux qui parlent de la monarchie républicaine, tant décriée.
Tout comme en s’installant dans le statut du héraut de la bonne gouvernance, les analystes notent d’entrée que Bongo Valentin sera difficilement audible devant un Peuple blasé par le scandale des biens mal acquis, tout le mal du pays, dont une certaine opinion fait porter à sa famille l’entière responsabilité.
Langé aux ors de la République, et mis sur orbite pour recevoir l’Etat en héritage, le Coordinateur Général des affaires présidentielles semble être poussé par une armée de courtisans, qui profite de cette aubaine pour régler ses propres comptes.
Entre les lignes de sa lettre de démission, Ropivia dénonce, pêle-mêle, les luttes d’influence, les envies de pouvoir, et toutes les chausse-trappes qui parasitent le bon fonctionnement des universités.
Nourredine saura – t’il s’arrêter à temps ?
Puisque chacun écrira l’épilogue de cette réflexion à l’aune de sa propre lecture, notre analyse, loin de conclure, pose des questions.
Sans rien contester à ceux qui ont déjà célébré la démission du Professeur Ropivia, et qui réclament celle du Ministre Moukagni sans en montrer la pertinence, Telex Gabon appelle à se projeter au-delà de l’émotion.
Suffit-il de dénoncer les contrariétés du système pour être utile à la solution, et plus globalement, faut-il toujours partir, se soustraire du débat pour régler un questionnement ?
Des avis éclairés parlent déjà d’une démission pour rien s’agissant de Ropivia, d’autant que passée l’émotion, le grand public retient que ce monument se retire du champ public au nom des supputations qui ne résistent pas à l’analyse.
Que vaut l’enquête de la Cour des comptes, non produite dans un dossier de candidature, lorsque le casier judiciaire présenté devant le Conseil d’administration est vierge de toute condamnation ?
Parce que tout ce qui est excessif est dérisoire, que vaut l’apostrophe d’un Ministre sur sa réserve, à qui on veut faire la leçon de la droiture ?
Quelle valeur retenir d’une mission, qui met en débat le modèle institutionnel, et bouscule l’équilibre des pouvoirs ?
De toute évidence, la sortie de Nourredine Bongo Valentin invite à s’asseoir autour d’une table, et à démêler l’écheveau. Bon lundi.
La Rédaction