06/03/2018
Suite des publications de la page automobile Radio Nationale
FRUSTRATION - AGRESSION
Ainsi les conducteurs qui manifestent, par un nombre élevé de contravention, leur prédisposition aux accidents, sont facilement repérés. Quand leur total de « mauvais points « atteint certaines limites, ils sont l’objet de mesures telle que l’avertissement \, le retrait temporaire ou définitif du permis ou l’envoi dans des cliniques spéciales dont nous parlerons dans un autre chapitre.
Les psychologues américains on étudié de prés les chronic violators, en employant la méthode dite case study (étude de cas individuels). Voici quelques détails sur ces recherches(1).
Les chronic violators peuvent être désignés, grosso mode, par les termes de petits délinquants, inadaptés sociaux, révloltés, aigris, etc. Les psychologues sont partis du principe que, pour bien comprendre quelqu’un, il faut avoir au moins quelques renseignements sur son enfance. On sait l’importance de l’éducation : l’enfant est une cire molle et les premiéres empreintes sont ineffaçables. Pour reprendre une formule fameuse, l’enfant est le pére de l’homme. Les Américains ont donc reconstitué, dans la mesure du possible, l’enfance et la jeunesse des chronic violators. Il y sont parvenus, non seulement par l’interrogatoire des intéressés, mais par des enquêtes aupres des parent, dans les écoles, dans les usines, auprés des tribunaux, à l’armée, etc. Ils on obtenu tous les concours qui leur étaient indispensables pour arriver à leur fins.
Ils en ont conclu que les violators étaient essentiellement des agressifs par frustration et des victimes d’une éducation négligée. Si l’agressivité est, dans certains cas, un trait de caractére constitutionnel, elle peut être accrue et même souvent engendrée, chez de nombreux individus, par des frustration origine économique (misére), sociale (échecs, renvois ) et surtout affective (manque d’affection).
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(1) Les Etats-Unis n’ont sûrement pas le monopole des chronic violators. Nos magistrats, commissaires de police et commandants de gendarmerie savent à quoi s’en tenir à ce suijet! Les recherches qui vont être exposées sont donc d’intérê général.
Certes, les enfants, même trés agressifs, qui reçoivent une bonne éducation, peuvent développer des modes d’agressivité sociaux : ambition légitme, goût des sports de combat, etc. D’autres, élevés dans des conditions défavorables, s’adaptent quand même qu milieu social : l’infinie variété des caractéres et des circonstances ne doit jamais être négligés. Toutefois, dans l’ensemble, les frustrations de la premiére enfance, surtout si elles sont d’origine affective, jouent un rôle capital : les psychologues et les éducateurs le savent parfaitement harmonieux de l’enfant est l’union des parents, qui seule crée un climat affectif favorable et permet une éducation normale. Voici, entre mille, un témoignage trés significatif, émanant d’une pédagogue bien connue, Mlle A. jadoulle: un enfant dont les parents sont désunis et chex lequel le développement se soit réalisé sans heurt ni difficulté, et avec le ssuccés que l’on était en droit d’attendre des possibilités de l’enfant. » (Le laboratoire pédagogique au travail, p. 165) .On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que les parents des violators éstaient, en moyenne, six fois plus souvent divorcés que ceux d’automobilistes pris au hasard ; quand il n’y avait pas divorce, les mésententes conjugales graves étaient trois fois plus nombreuses.
Toute la jeunesse des violators porte la marque de la frustration initiale et de l’éducation négligée. On décéle chez eux des signes incontestables d’agressivité et d’attitude antisociale. De là une série d’agression entraînant, par le jeu des sanctions sociales, de nouvelles frustrations, suivies d’agressions redoublées.
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C’est un infernal cercle vicieux, dont il n’est pas facile de sortir. La jeunesse de la plupart des ces hommes n’est qu’une suite de crises de colére, batailles d’enfants, jeux brutaux, fanfaronnades fréquentes, indiscipline grave à l’école, fugues, comparution devant les tribunaux pour enfants, inadaptation au travail, difficultés avec les chefs et les camarades, changements fréquents d’emploi, indiscipline grave à l’armée, vie sexuelle agitée, divorce ou abandon de famille, grossiéreté, excentricités, alcoolisme, délits divers, etc. Leur conception de la vie est, en général, empreinte d’un matérialisme profond et d’une totale imprévoyance.
Les psychologues américains ont étudié de pré la façon de conduire des violators, en employant différents moyens. Ils les interrogeaient, les observaient au volant, les suivaient à bord d’une autre automobile; ils prenaient place anonymement dans leur voiture quand ils étaient chauffeurs de taxi, demandaient des renseignements à leurs patrons quand ils étaient comionneurs, obtenaient des précisions de leur camarades, de la plice, des compagnies d’assurances, etc. Ils en ont conclu que si les violators n’étaient pas plus mauvais conducteurs que d’autres (certains être qualifiée d’agressive (aggressive attitude in the traffic) Elle se caractérisait comme suit : dangereux, refus de se laisser doubler, mépris de la priorité, hâte injustifiée, accélération brutales, freinages violentssans nécessité, éblouissement volontaire, énervement fréquent, grossiéreté, fanfaronnades, enfin et surtout, imprévoyance totale.
Il n’est donc pas surprenant qu’on ait fait la constattion suivante, qui est d’intérêt général au point de vue de la sécurité routiere. Non seulement les violators provquaient plus d’accidents que d’autres, mais ils en subissaient davantage, car leur manque de prévoyance et de prudence les empêchait de parer à temps aux erreurs d’autrui, de prendre ce que les Américains appellent fort justement l’attitude défensive, qui est le propre du bon conducteur. Fait typique : les violators avaient de nombreux accidents aux carrefours.
Ajoutons que beaucoup d’entre eux s’adonnaient souvent à la boisson ; certains étaient même de véritables alcooliques chroniques. Enfin ils se blessaient plus que d’autres dans la vie privée, et ceux qui travaillaient dans l’industrie, ou y avaient travaillé avant de devenir chauffeurs de métier, subissaient ou avaient subi un nombre relativement élevé d’accidents du travail. Ces faits, révélés par les employeurs et les compgnies d’assurances, n’ont rien d’étonnant quand on connaît les similitudes qui existent entre les accidents de la circulation et ceux du travail ou de la vie privée (1).
Les psychologues américains ont résumé toutes ces constatation dans l’axiome suivant : a violator drives ashe lives(2). Sans doute- et les Américains ont insisté sur ce point- il y a d’autres conducteurs dangereux, qui ne sont pa nécessairement des inadaptés sociaux.
D’autre part, ainsi que nous l’avons signalé au chapitre précédent, il existe souvent sun déclage, fût-il léger, entre le comportement habituel d’un homme et sa conduite sur la route. Le cas des violators est extrême : Ils ne pourraient être pires au volant que dans la vie. Mais certains automobilistes n’ont-ils pas pensé, en lisant ce qui précéde, que vraiment, quand il leur arrive de prendre l’attitude agressive au volant, ils se trouvent en bien facheuse compagnie? Les violators, n’est-ce pas la leçon de l’Ilote ivre?
En tout cas, la principale conclusion qu’on peut tirer de ces recherches est celle que nous formulions déjà au début de ce libre: les aptitudes sont moins importantes que l’esprit de sécurité, parce que les aptitudes de plus brillante peuvent être rendues inopérantes par l’imprudence, l’exposition à des risques inconsidérés, l’attitude agressive au volant, tandis qu’une grande prudence peut compenser la déficience, au moins partielle, de telle ou telle aptitude. C’est, en somme le primat des fonctions autre point de vue, de la psychologie sur la psychotechnique.
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(1) Des recherches effectuées dans les usines ont montré le rôle du mécanisme frustration-agression dans certains accidents du travail.
(2) Littéralement : un contrevenant conduit comme il vit. On pourrait traduire, de façon plus expressive : un contrevenant conduit comme il se conduit.
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Un cas proche de celui des chronic violators, du moins à certains égard, est celui des incabables, des bons à rien, des fainéants, pour qui la conduite d’une automobile est la revanche d’un état de frustraition dû à des échecs d’ordre professionnel ou social. Quand il on de la fortune, ou une vague situation qui leur permet de rouler en voiture, ils font souvent des automobilistes agressifs et présomptueux, car la vanité excessive est un signe d’insuffisance réelle : « Ce sont les tonneaux vides qui font le plus de bruit », dit la sagesse populaire . Cette catégorie d’automobilistes a été stigmatisée de main de maître par George Duhamel, dans une page, devenue classique, des Scénes de la vie future. Le présent ouvrage serait bien incomplet s’il ne la reproduisait pas.
Cet homme que ses plus indulgents amis tiennent pour une sot, que sa femme dédaigne, à qui nule ne voudrait confier la moindre affaire sérieuse, cet homme qui n’est pas capable de porter lui-même sa valise, qui n’est pas sensé, pas adreoit, que l’on n’écoute guére qui n’est pas sensé, pas adroit, s’il écrit, qui n’a ni resort moral, ni courage véritable, nulle autorité, nue empire, cet homme monte dans son automobile. Superbe revanche des vaniteux et des incapables! Cet homme, qui n’oserait pas signifier sa volonté à un cheval, sait qu’il peut tout demander à une mécanique, Allons! Qu’est-ce que ça pése? Quinze cents kilos, peut-être? Eh bien! voyez : j’appuie du pied sur cette petite pé**le et les quinze cents kilos, nous allons les enlever jusqu’en hout de cette montagne, à la vitesse d’un train rapide. Je trourne à droite, je tourne à gauche.Arrêter? j’arrête comme je veux et je repars comme je veux. Je suis un homme trés puissant, trés intelligent, trés adroit. Voici la grande route. Voici la jungle. Place à l’argent !je connais les régles, elle sont simples : je dépasse tous ceux quei sont moins riches que moi. Je me laisse, forcément, dépasser par les autres.Rien de plus clair.
Un constructeur d’automobiles me disait, un jours avec un sourire décoloré: « Nous avons fait tous les efforts imaginables pour mettre cet étonnant instrument entre les mains du premier venu, car c’est le premier venu notre principal client. Celui qui n’est bon à rien est encore bon à conduire une auto. «
Mais oui, ce constructeur avait raison : celui qui n’est bon à rien est encore bon à conduire une auto. Que les automobilistes laissent donc aux ratés la pitoyable consolation de jouer, sur la route, les Fangio «à la manque ». Il n’onont rien d’autre, les pauvres, pour compenser leur lamentable insuffisance. Cela n’enléve rien, du reste, à leur responsabilité.
Un autre cas est celui des timides, dont la plupart sont, en somme, des frustrés permanents. Souvent leur frustration engendre plutôt d’autres types de comportement que l’agression. Toutefois, quand celle-ci apparaît, el le peut facilement dépasser la mesure : on sait qu’un timide poussé àbout est capable de tous les excés.
L’attitude des timides au volant ne manque pas d’intérêt. Chez certains d’entre eux, la timidité, peu marquée, n’influence guére la maniére de conduire; ils joignent à une sûretésuffisante une prudence qui en fait de bons conducteurs. Cez d’autres, la conduite est à l’image du sujet : il peuvent constituer une véritable gêne sur la route par leur lenteur indécision, voire leur affolement. Qeulques-uns sont même incapables d’apprendre à conduire, car ils n’arrivent pas à conduire, car ils n’arrivent pas à acquérir le minimum requis d’assurance, de confiance en soi. Chez d’autres encore, on observe parfois, auvolant comme ailleurs, une réaction violente contrastant avec l’attitude habituelle. Enfin il en est que la conduite transforme littéralement : l’exaltation de l’instinct de puissance balaye la timidité. Nous avons observé deux cas de ce genre, mais, pour des raisons d’ordre personnel, nous préférons ne pas les décrire ici. Qu’on nous permette donc un exemple littéraire, qui ne manque pas de saveur. Il s’agit d’un timide que l’automobile transforme au point qu’il en devient audacieux, non seulement en tant que conducteur, mais à d’autres points de vue. Le texte est d’Aldous Huxlez (Marina di Vezza. trad. J. Bastin).
Lord Hovenden, détaché de son automobile, était un être entiérement différent de lord Hovenden, allongé dans une tropeuse attitude de langueru, derriére le volant d’une Vauxhall Velox. Une demi heure passée dans la mugissante tempête de sa propre vitesse transformait; d’un jeune homme timide et rougissant, elle faisait un héros, de sang froid, non seulement dans les événements de la route, mais encore dans ceux de la vie.
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Le vent violent emportait sa réserve; la vitesse l’intoxiquait et lui faisait perdre sa timidité. Toutes ses victoires, il les avait remportées dans sa voiture. C’était dans sa voiture- voici dixhuit mois, avant sa majorité - qu’il s’était aventuré àdemander à son tuteur une augmentation de revenus ; il avait conduit de plus en plus vite jusqu’à ce que, en proie à la terreur, son tuteur eût accepté de lui accorder n’importe quoi. C’était dans sa velox qu’il avait osé dire à Mme Terbinthe, qui était de dixsept ans son aînée, avait quatre enfants et adorait sont mari, qu’elle était la plus blelle femme du monde’ il le lui avait criétandis qu’ils faisaient du quatre-vingt-dix à l’heure sur une autostrade. A soixante-quinze, à quatre-vingts, à quatre vignt cinqu, son courage n’avait pas été égal à la tâche; à quatre-vingt-dix, il était au cran d’arrê : lord Hovendent avait fait sa déclaration. Et quand la dame se mit à rire et l’appela impudent petit coquin, il ne sentit aucune gêne, rit et pressa l’accélérateur; quand l’aiguille du cadran de vitesse marqua quatre-vingt-quinze, il cria à travers le bruit et le vacarme de la machine : « Mais je vous aime! » Malheureusement, la randonné bientô prenait fin; toute randannée prend fin. L’affaire Terebinthe n’eut pas de suite. Si seulement, regrettait lord Hovenden, on passait toute sa vie dans la Velox. Mais la Velox avait ses désavantages. En certaines occasions, le héros, intoxiqué de vitesse, avait mis le modeste et timoréjeune homme dans le beaux pétrins. Ce jour-là, par exemple, où filant à une vitesse de soixante-quinze, il avait, de gaieté de coeur, promis à un des amis de nuance Tandis qu’il faisait du soixante quanize, le projet lui avait semblé non seulement d’une exécution facile, mais encore réellement attrayant. Quelles affres ne souffrit-il pas ce pendant, lorsqu’il eut de nouveau les pieds sur la terre ferme, à la fin du voyage~ Combien cette entreprise lui parut formidable, midable, impossible! Comme il se maudissait amérement de fin, il en fu réduit à télégraphier que son médecin lui avait ordonné un séjour dans le Midi de la France. Il partit en hât, ignominieusement.
On avouera que cette page est amusante. Et l’on peut être assuré qu’il existe des cas analogues dans la réalité.
Passons à d’autres frustrations, plus délicates à envisger, car elles ont trait à envisager, car elles ont trait à la sexualité. Il va de soi qu’en pareille matiére, nous feraons quelques concession aux psychanalystes: il faut que tout le monde gagne sa vie.
Or doc, plusieurs disciplesde Freud, appartenant à différentes nation, ont insisté sur l’attitude agressive que prendraient souventm sur la route, trois catégories de personnes éminemment respectables, mais qui éprouvent certains petits ennuis.
La premiére est celle des impuissants. En ce qui les concerne, les psychanalystes doivent êentendus, puisqu’il s’agit, en somme, de cas pathologieques. Ne peut-ons admettre, avec eux, que les impuissants sont particuliérement prédisposés à conduire de façon agressive, encore qui’ils puissent trouver des compensation d’un autre genre? Que la griserie de la vitesse tienne lieu d’autres ivresse, est-ce donc si invraisemblable? Pour notre part, nous ne donnerons pas d’exemples : laissons au psychanalystes, ces directeurs d’inconscience, la responsabilité de trahir le scret de la confession. Mais nous n’irons pas jusqu’à considérer le volant comme un symbole phallique : notre amour des concessions ne vas pas jusque là.
La seconde catégorie est celle des maris trompés. Leur agressivité au volant a été soulignée par les psychanalystes. Evidemment, on conçoit l’arbitraire de la généralisation abusive en pareil domaine. Une frustration de l’espéce peut engendrer d’autres modes de comportement que l’agression au volant : fuite, substitution de buts ou, plus simplement, compensation aggective, consolation si l’on préfére. En outre, chacun sait qu’il est des maris complaisants, dont on ne peut pas dire qu’ils soient frustrés .Enfin, si la frustration déclenche l’agression, celle-ci peut être directe (querelle, meurtre) ou se reporter sur d’autres personnes, des subordonnés par exemple.