21/11/2023
POINTS D’INTERROGATION
Aron vivait dans une belle maison et n'avait pour compagnon, en dehors des domestiques, que son perroquet vert. Sa mère ne cessait de l'encourager à prendre une épouse.
La journée bouclée, Aron se rendit au restaurant que tenaient ses amis Ben et Corinne.
Ben était d'origine indienne et son épouse, fille de migrants africains installés aux USA depuis une dizaine d'années, était d'origine congolaise. Ils s'étaient rencontrés à l'université, ce fut un coup de foudre. Malgré l'opposition de leurs familles, ils s'étaient mariés et avaient ouvert ce restaurant, qui ne désemplissait pas. Il y avait des menus aussi exotiques que variés: Des plats africains, des spécialités indiennes et bien d'autres curiosités culinaires. Aaron admirait leur courage et affectionnait les moments passés en leur compagnie. Ben, ne manquait pas de le taquiner à propos de son célibat. Corinne lui contait des récits irréalistes de son pays et les histoires de mysticisme ou de sorcellerie invraisemblables, auxquelles il ne croyait pas. Mais c'était une occasion pour lui de débattre de culture et en apprendre.
Ce soir, il voulait parler à quelqu'un qui ne le jugerait pas à l'écoute de sa préoccupation assez inhabituelle.
– Alors comment se porte notre moine de service ? Lança Ben souriant, ça fait des semaines que tu n'es pas passé nous voir, d'ailleurs, tu as raté de peu la cousine de Corinne, une vraie black made in Africa avec des hanches, je t'assure, si tu la voyais, tu en aurais eu des frissons. Coco était certaine que tu ne résisterais pas à son charme. Mais, ne t'inquiète pas, je savais que tu ne tomberais pas dans le piège. Ce n'est pas pour rien que je t'ai surnommé " le moine". Tu as le don de flairer les connexions !
Après toutes celles que j'ai tentées pour toi : il n'y a plus rien à faire, je jette l'éponge ! – Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Nous avons du bissap frai, je sais que tu adores ça ! dit Corinne en prenant place face à Aron.
– Ça tombe bien que tu sois là coco, j'ai une préoccupation assez étrange et je ne connais personne en dehors de toi qui soit à l'aise avec des sujets de ce genre.
– Tu me fais peur là, de quoi s'agit-il ?
– Eh bien, je ne voudrais pas y réfléchir, mais cela devient si fréquent que j'aimerais avoir ton opinion. Depuis bientôt un an, je fais des rêves étranges, je rêve d'une jeune femme que je n'ai jamais vue. Je me sens faible en sa présence, parfois, je ne la vois pas il y a des arbres, une plage. Cela ne ressemble en rien à ce que je connais. Je me retrouve souvent conduit dans un village entouré de forêt. Cela ressemble plus à une forêt tropicale, peut-être est-ce au Brésil. Mais les cases dans ce village sont bâties avec de la terre. C'est une belle jeune fille au teint noir ébène, avec une chevelure assez dense. Chaque soir, en m'endormant, je la vois. Ce n'est jamais au même endroit, mais c'est toujours elle.
– Je suis perplexe, c'est ce que l'on appelle chez nous au Congo : Ondouma. C'est de la sorcellerie. Une femme de nuit, un esprit qui t'a collé et il te bloque. Mais ce qui m'intrigue le plus dans ton récit, c'est le cadre que tu décris. Cela ressemble plus à un village africain. Vous avez de la famille en Afrique? C'est la première fois que j'entends des gens d'ici être victime de ce phénomène. Peut-être es-tu sorti avec une africaine ?
– Je suis américain voyant Corinne, de quoi parles-tu ? De la sorcellerie ? Tu sais bien que je ne crois pas à cela et la seule africaine que je connaisse: c'est toi.
– Pas si absurde à mon avis, sinon tu ne m'en aurais pas parlé. Il y a une autre théorie. Est-ce que tu te masturbes ? Parce que c'est une pratique qui ouvre des portes à ce genre d'esprit. Et laisse-moi te dire que c'est très dangereux, tu risques de ne pas avoir de vie familiale. Si tu ne te fais pas traiter, tu resteras célibataire à vie.
– Franchement ! Lança Ben, tu as le don de voir la sorcellerie partout mon cœur. Bien sûr qu'il se masturbe. Sinon comment crois-tu qu'il arrive à survivre ? Aucun Black digne de ce nom ne tiendrait autant de temps sans se vider. Moi, je dis juste que son subconscient lui envoie des SOS. Man, il te faut une femme, c'est urgent !
– Essuies-moi ta bouche ! Et oui, je crois ces choses, d'ailleurs lorsque j'étais adolescente, j'ai été victime de cela. Ne me dis pas que vous les Indiens, vous ne croyez pas au surnaturel.
– Ah oui, reprit Ben amusé, alors tu es bigame, tu pourrais faire de la prison le sais-
tu.
– Aron, quand tu as du temps, passes chez mes parents un de ces jours pour rencontrer mon oncle qui est arrivé du Congo. Il t'en dira plus si tu veux bien.
Cette nuit-là, Aron rentra chez lui la tête pleine d'hypothèses qui lui semblaient farfelues. Il tenait à comprendre ce qui lui arrivait.
© 2020 OKINDA Marie Anick Aude Rufine. Tous droits réservés