28/05/2024
Nous vous offrons nos premières pages. Aujourd'hui celle de La dralleuse de Martine Pottier. Un roman normand qui mettra tous vos sens en alerte, en harmonie avec la nature.
PARIS 1898
Depuis le lever du jour un temps maussade sévissait sur la ville. Un vent d’ouest violentait la capitale de ses bourrasques, amenait de fortes pluies, soulevait jupes et chapeaux, retournait les parapluies, les emportant au loin, laissant leurs propriétaires penauds et stupides sur le bord du trottoir. L’instant d’après un soleil narquois rayonnait et brillait sur les pavés délavés, se reflétait sur les toitures en zinc des immeubles éblouis-sant l’œil accoutumé à la noirceur du ciel. Alors la vie reprenait à chaque coin de rue qui retrouvait ses animations, ses bruits, sa fureur et sa gaieté perdus momentanément.
C’était le temps des giboulées, tardives en cette mi-avril, les derniers sursauts d’un hiver frileux à l’approche des beaux jours.
Dans la gare Montparnasse, l’averse de grêle s’était abattue, violente et brutale, sur l’armature élégante de fer et de verre masquant ainsi les bruits habituels qui étourdissaient les voyageurs du grand hall. Catherine aimait l'endroit qui vivait dans l’agitation perpétuelle et fébrile du voyage. Elle échafaudait la vie de ceux que les trains vomissaient encore hagards des brumes de la nuit, des êtres qui se côtoyaient indifférents les uns aux autres et se bousculaient dans la confusion pour arriver au plus vite au bout du quai. Ces bouts de quais suaient le sentiment. Tour à tour témoins des douleurs d’une séparation, du bonheur des retrouvailles familiales, des amours d’un jour ou de toujours promies au fond d’un lit de chambre d’hôtel. Catherine enviait le gendarme de service, planton du jour, assigné à la surveillance du quai qui avait tout loisir de laisser cours à son imagination. Elle s’enivrait de la folie collective qui régnait dans les gares en permanence, du brouhaha des conversations, des cris des employés à la casquette sur le côté qui, se frayant un chemin parmi la foule, poussaient avec effort des chariots grinçants de marchandises diverses cachées au fond de grands paniers d’osier. Elle s’attendrissait des appels des marchandes à la sauvette qui promettaient les meilleurs produits aux meilleurs prix, des gamins qui tendaient les dernières nouvelles griffon-nées par les machines typo sur du papier blanc et qui fleuraient bon l’encre noire.
Les gares, c’était aussi le rêve, l’espoir, la promesse d’une vie meilleure, de voyages infinis, de rencontres humaines toujours enrichissantes, le bonheur au bout du quai peut-être. C’était l’invite joyeuse des sifflets des locomotives.