20/05/2024
Malgré de désastreux incendies qui ravagent le bourg9, notamment en 171110, la petite ville prospère et se relève de toutes les catastrophes. Comme à Lille, on abandonne progressivement l'ancienne architecture flamande pour privilégier le classicisme, comme le montre le nouvel hôtel de ville inauguré en 1718 en lieu et place de l'ancienne halle échevinale devenue trop petite).
Le xviiie siècle voit, dans la Flandre gallicante, l'émergence des bourgs de la campagne face à la toute-puissance de la ville fortifiée qu'est Lille.
En effet, Lille, vieille cité drapière depuis le Moyen Âge, s'est arrogé un grand nombre de privilèges qui lui permettent de maintenir son monopole en ce qui concerne le commerce et l'artisanat du textile. Selon les règles alors en usage, les habitants du « plat pays » (c'est-à-dire la campagne, par contraste avec Lille, ville-forteresse) doivent apporter leur laine au grand marché du chef-lieu et le vendre aux entreprises lilloises, qui se chargent de la suite de la production. Les habitants du plat pays n'étaient donc que des fournisseurs de matières premières. Lille prenait ses mesures afin de sauvegarder son industrie interne, car la concurrence de la campagne, où les coûts de main-d'œuvre et de production en général étaient beaucoup moins élevés, cette concurrence donc aurait pu sérieusement mettre à mal l'économie lilloise.
Cependant, on a vu que dès le Moyen Âge, Tourcoing s'était lancée, à un moindre niveau, certes, dans la fabrication artisanale de menue draperie (ou "sayette"). Le règlement coercitif de Lille n'était pas fait pour plaire aux Tourquennois dont les revenus commençaient de plus en plus à dépendre d'activités autres que l'agriculture.
C'est pourquoi certaines grandes familles de l'époque vont braver l'interdit lillois et se lancer clandestinement dans la confection de menue draperie, avec la neutralité bienveillante du bailli et des échevins de Tourcoing. Mais, plusieurs fois, le pot aux roses fut découvert, et les autorités lilloises, en faisant des inspections à Tourcoing, découvrirent un jour de 1730 des métiers à tisser dans la propriété des Destombes. Tollé général à Lille, qui détruit les instruments et interdit aux bourgs du plat pays de recommencer.
Ancien hôtel de ville de 1718
Mais Tourcoing n'est déjà plus un "bourg" : forte de douze mille âmes, elle se sent prête, avec sa voisine Roubaix (8 000 habitants sous l'Ancien Régime) à défier Lille.
Par provocation, un atelier de confection de tapisseries, tentures et tapis ouvre à Tourcoing. Il est fermé le mois suivant par les autorités de Lille. L'antagonisme entre Lille et Tourcoing s'accentue, des Tourquennois sont traînés en justice...
C'est durant cette période qu'un chansonnier lillois, surnommé Brûle-Maison (son vrai nom était François Decottignies), prit violemment à partie les Tourquennois dans ses spectacles en se moquant de ces « broutteux » qu'il faisait passer pour des modèles d'ignorance et d'idiotie (les assimilant à des "Béotiens du Nord"). Son surnom provient du fait qu'il brûlait une maison de papier ou de carton au bout d'un bâton pour attirer la foule11. Ses œuvres ont été recueillies en deux volumes in-32, sous le titre d'Etrennes tourquennoises. Les plus connues étaient le Tourquennois marchand de hannetons, la Lune avalée par un âne, le Flamand envoyé à Tourcoing pour apprendre le français, le Soleil mis dans un coffre, l'Orgue aux chats ou encore l'Âne enrôlé11. Certains Tourquennois ayant connu les contemporains de Brûle-Maison ont assuré qu'il n'était que le prête-nom d'un chanoine de Saint Pierre de Lille. Il ne devait ainsi que chanter au peuple les couplets et les pasquilles que le chanoine avait composés.
Tous les magistrats du plat pays, soutenus par leurs curés respectifs, lancent une pétition où les notables (de Tourcoing, Roubaix, Lannoy, Halluin, Cysoing, etc.) adressent une supplique au Roi de France Louis XV.
Cette requête n'aboutira que bien des années plus t**d, en 1762, quand un édit royal brise le monopole de Lille et permet aux villes dites « ouvertes » (c'est-à-dire non fortifiées) de se lancer dans l'industrie de la laine.
On peut considérer que le véritable essor de Tourcoing débute à ce moment-là, grâce à la liberté d'entreprendre. À la veille de la Révolution, Tourcoing était en effet un centre d'affaires assez important, à l'industrie florissante, puisque l'on dénombrait seize cents ouvriers peigneurs. La tannerie était également un secteur en pleine expansion : à la même époque, on comptait dans la ville 58 fosses pour sept tanneurs.