16/11/2023
Au commencement la répétition
Véronique Bergen ne se plie à aucune consigne, refuse toute conduite commune et ne songe qu’à s’évader. Elle renverse ici les règles du jeu et du hasard. Des premières fois il y en a sept. Des secondes, une seule et encore. D'où ce labyrinthe où l'éblouissement se démultiplie et ce d'autant plus si on le renouvelle.
Il y a donc de quoi en perdre son latin mais pas son plaisir. En effet il faut que le commencement se répète afin de percer le mystère d'éros, de préciser son émoi et ses causes. D'autant que pour la narratrice c'est une évidence : contrairement aux idées reçues seule la première fois foudroie véritablement d'une intensité que la suite finit par estomper. Il s'agit donc non de reprendre une expérience entamée dans un exercice de reproduction, mais de multiplier l'attachement initial. Quitte à ce qu'il devienne addictif. D'autant qu'il nécessite, à chaque nouvelle rencontre, une manière de se reconstruire et de se réinventer.
Bref cette première fois génératrice efface toutes les autres. Néanmoins la narratrice sait que pour en savourer le suc initial, une seconde permet d'apprécier ce qui fut comme en différé. Bergen rappelle en effet que certaines premières rencontres sont comme à peine conscientes et que pour apprécier un tel moment liminaire un certain recul est nécessaire. A moins que ces premières fois se succèdent pour éviter la redondance et caractérisent en tout et pour tout une forme qui ressemble au premier amour.
Preuve que l'auteure est subtile non seulement en philosophie mais en mathématiques des fluides. Elle précise en effet que l'amour premier qui définit la "première fois érotique" ne peut survivre même si la multiplication des "figures" pourrait s'en rapprocher. La narratrice nous permet ainsi de se débarrasser de certaines idées reçues et d'un romantisme bovaryque. Elle a mieux à faire et devient la fille des premiers abords plus que la fille des bord de mer que chantait un autre belge : Adamo.
Pour chanter cette nouvelle donne et pactes amoureux Véronique Bergen transforme sa prose en une dérive océanique pour chanter ce qui tient de cette approche particulière et particulièrement extatique. Si bien que la créatrice nous fait dupe du non dupe dans son approche où le jeu et l'ironie voisinent avec le grave et le sérieux. Elle sait sans doute profiter de la gentillesse voire de la bêtise de ses lectrices et lecteurs histoires de leur donner la plus belle leçon d'inconduite. D'une telle philosophe nous n'attendions pas mieux - mais pas moins non plus.
Jean-Paul Gavard-Perret
Véronique Bergen, "Premieres fois", Edwarda, coll. « Climats », 2017, 105 p., 18 €
