25/02/2022
🔴🔴Focus : La démocratie ou un enjeu pour l’avenir🔴🔴
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La démocratie, en principe
Démocratie. Ce mot est pour certains synonyme de valeurs, pour d’autres c’est un régime naturel sous lequel tous les Hommes devraient être soumis. Pour d’autres encore, c’est un mirage parce que cela ne correspond pas à leur réalité. Mais qu’est-ce que la démocratie ? Étymologiquement, le mot signifie en grec « le pouvoir au peuple ». De fait, c’est dans l’Athènes du Ve siècle avt J.C. que naît ce régime politique particulier. Le principe : faire du peuple de la cité son propre dirigeant. A travers un système de vote et d’assemblées, les individus prenant part à la politique de la cité, que l’on appelle alors « citoyens », participent au gouvernement. L’équilibre des pouvoirs est assuré par la possibilité d’exclure certains individus de la vie politique, aucune décision n’est prise sans la majorité. Cela n’exclut pas des mesures d’urgence comme on peut en voir encore dans certains modèles démocratiques actuels mais on cherche à limiter l’influence d’un seul ou d’un petit groupe d’individus qui pourrait s’emparer du pouvoir. Un modèle qu’Athènes est la seule à appliquer. Pourtant, c’est loin d’être une démocratie universelle car certaines catégories de personnes ne peuvent participer à la vie politique ; c’est le cas des femmes.
En Europe, la démocratie est devenue le modèle de liberté par excellence. Sans doute un héritage des soubresauts de l’histoire. Lorsqu’en 1789, la Révolution Française renverse la monarchie, l’idée de donner un pouvoir de décision plus important à la population s’inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et la toute jeune « Assemblée Nationale » en est l’émanation matérielle. Le régime démocratique français est issu de cette histoire mouvementée qui a fini par faire accepter une démocratie selon un modèle qui lui est propre. Cette construction progressive et unique a voulu faire de l’oligarchie ou de la dictature les démons d’un peuple qui refuse dès lors d’être inféodé à la loi d’un seul. Les évolutions récentes de la pratique politique tendent toutefois à démontrer que, même en France, le régime de la démocratie n’est pas immuable. La démocratie est en réalité un régime vulnérable, fragile et toujours victime de ses faiblesses. Face à des régimes forts, autoritaires, la crédibilité de la démocratie repose sur la capacité du peuple à exercer un pouvoir qui lui est en principe dévolu et inviolable, comme l’illustre Abraham Lincoln, président des Etats-Unis de 1860 à 1865 : « La démocratie c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Or, ce pouvoir s’est considérablement affaibli au cours des dernières décennies. Tapez le mot « démocratie » dans le moteur de recherche de l’application mobile de Médiapart, le premier article que vous trouverez s’intitule « Macron mobilise les blindés et remet Paris en état de siège » (lorsque j’ai fait cette manipulation le 13 février). Lors d’une conférence donnée le 10 novembre 2021 au Foyer de l’Etudiant Catholique, Anne-Lorraine Bujon, rédactrice en chef de la r***e L’Esprit s’alarmait du danger qui pesait sur la démocratie américaine et du risque que cela représentait pour la nôtre. Force est de constater que les signes, malheureusement, ne manquent pas. Le débat revient d’autant plus que l’actualité brûlante de la présidentielle, la concentration des médias entre les mains de grands groupes ou encore la répression policière des manifestations nous amènent à nous poser les bonnes questions sur l’avenir du modèle politique français. Comment préserver la démocratie ? Comment la faire revivre ? Quelles sont les grandes menaces qui pèsent sur elle ? Ces questions sont issues d’une réflexion purement personnelle que je voulais partager ici afin d’attirer l’attention, à mon niveau, sur cette problématique d’importance capitale !
Le péché originel
Croire que ce déficit de démocratie n’est qu’une réalité de notre époque serait une erreur. En effet, le régime présidentiel (certains diraient hyper présidentiel) est à l’origine de ce déséquilibre. Pour comprendre, il faut remonter jusqu’en 1962. Charles de Gaulle, premier président de la Ve République propose aux Français de voter pour ou contre l’élection au suffrage universel direct du Président de la République. Sur le papier, cette initiative semble être tout ce qu’il y a de plus démocratique. Dans la réalité, de Gaulle cherche à donner plus de pouvoir à la fonction présidentielle. Pour ce faire il se base sur deux choses : l’aura qu’il a acquise durant la seconde Guerre Mondiale, et la Constitution de la Ve République qu’il a lui-même soumise à un référendum en 1958. Si le Président de la République est élu par le peuple, sa légitimité à devenir son porte-parole ne peut en être que renforcée. Mais deux obstacles se dressent devant lui. Tout d’abord, un mode d’élection très différent est inscrit dans la Constitution de la Ve République. Passer à l’élection au suffrage direct du Président impliquerait donc un changement de la Constitution, ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord du Parlement (Assemblée nationale et Sénat). Seulement, et c’est le second obstacle, les deux chambres font savoir qu’elles refusent un changement de la Constitution, craignant pour la démocratie. De Gaulle se trouve alors dans l’impossibilité de mener à bien son projet. Il décide la tenue d’un référendum !
L’opposition décide de faire bloc contre cette proposition en faisant campagne pour le « non ». De même, les gaullistes veulent paralyser l’opposition en diffusant leur propagande pour le « oui ». La crise institutionnelle est telle que l’Assemblée nationale décide de voter une motion de censure, le seul outil à sa disposition pour congédier le gouvernement. A ce jour, c’est la seule fois où une telle procédure a été exécutée à l’encontre du gouvernement. Mais de Gaulle s’y attendait et utilise alors l’un de ses outils : la dissolution de l’Assemblée. Le Palais Bourbon vidé de ses députés, de Gaulle peut poursuivre son projet de référendum. Pour ce faire, le Président se base sur l’article 11 de la Constitution qui prévoit la possibilité d’interroger la population sur des lois normales. Seulement, c’est en fait l’article 89 qui statue sur la révision de la Constitution. Or, celui-ci mentionne l’obligation de faire approuver le projet par le Parlement. Seulement voilà, de Gaulle a déjà dissous l’Assemblée nationale et le Sénat n’a de toute manière jamais eu le pouvoir de s’opposer à un projet de révision de la Constitution. Le Général, fin tacticien, est parvenu à museler la représentation nationale afin de modifier le mode d’élection et se faire élire au suffrage universel direct. D’aucun appellerait cela un coup d’Etat. Il est évident que cette modification a été faite illégalement. Les Français, vénérant le Général sauveur de la France et biberonnés à la propagande gaulliste ont acté le changement sans broncher. Si aujourd’hui il est communément admis que l’article 6 de la Constitution, que de Gaulle a modifié en 1962, prévoit bien l’élection du Président au suffrage universel direct, il sanctionne la défaite du Parlement.
L’équilibre des pouvoirs menacé
La Constitution violée, le Parlement muselé, de Gaulle inscrit durablement un système vertical dans la gouvernance française. Cette culture antiparlementaire est encore bien présente aujourd’hui. De Gaulle fustigeait le fonctionnement de la IVe République (1946-1958) qui donnait, selon lui, trop de pouvoir aux parlementaires ce qui leur permettait de renverser le gouvernement quand cela était nécessaire. Ainsi, le Général opère un renversement brutal de la situation, en concentrant entre les mains d’un homme une partie importante des pouvoirs de gouvernement. Si le Président de la République n’a pas le droit de pénétrer dans l’Assemblée nationale, au nom du principe de séparation des pouvoirs, c’est pourtant bien lui et son gouvernement qui dirigent les opérations. De fait, le Parlement ne propose quasiment plus de lois et se retrouve cantonné au rôle de ratificateur des lois proposées par le gouvernement. Pire encore. Ce dernier dispose d’outils permettant d’ignorer les parlementaires et de soustraire une loi aux discussions et même au vote. Ainsi, l’article 49-3 de la Constitution permet au gouvernement d’engager sa responsabilité en provoquant un vote dit « de confiance ». S’il remporte la majorité, la loi passe sans accroc. En revanche, chose presque impossible dans le système actuel, s’il perd, il est forcé de démissionner. S'ajoutent à cela les ordonnances qui échappent également au contrôle du Parlement. Bref, de quoi faire passer notre fabuleuse démocratie pour un régime autoritaire.
Le journaliste Romaric Godin titre d’ailleurs son dernier ouvrage La guerre sociale en France : aux sources économiques de la démocratie autoritaire. L’auteur cherche à démontrer comment l’Etat resserre l’étau sur son peuple par le biais de l’économie. Mais l’expression « démocratie autoritaire » peut choquer ! Romaric Godin entend par celle-ci un régime qui utilise tous les pouvoirs dont il dispose, parfois à outrance. S’ajoutent à cela des méthodes de répression des mouvements d’opposition et de réduction des pouvoirs du Parlement. Selon le journaliste, le régime ultra-présidentiel français serait devenu cette démocratie autoritaire. Force est de constater que beaucoup d’éléments vont dans ce sens. A commencer par le déséquilibre entre le pouvoir exécutif et législatif. De fait, la France est le pays d’Europe où le Parlement a le moins de pouvoirs. Nous l’avons dit, celui ne peut presque plus proposer des lois. Les groupes parlementaires ne disposent que d’une journée par an, appelée « niche parlementaire » pour proposer des projets de lois et les soumettre au vote. Mais rien ne leur laisse le temps de les discuter. Ensuite, ce Parlement n’utilise que peu les commissions parlementaires contrairement aux Etats-Unis par exemple où celles-ci sont non seulement plus nombreuses mais également puissantes. Une utilisation plus forte de telles commissions permettrait de sérieusement contrôler l’activité du gouvernement. Enfin, les rares outils à la disposition de l’Assemblée nationale pour entraver le gouvernement sont proprement inutilisables du fait de la présence systématique, à quelques exceptions près, d’une majorité présidentielle absolue.
La rue, une arme plus aussi efficace
Si les représentants du peuple perdent eux-mêmes les prérogatives pour lesquelles ils ont été élus, restent le peuple lui-même. Comment contrebalancer ce pouvoir, parfois excessif, du gouvernement et surtout du Président de la République ? La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793, également l’un des textes fondamentaux de notre loi suprême, donne la possibilité au peuple de s’opposer à ses dirigeants : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » La manifestation, la grève restent pour la population le meilleur moyen d’exprimer son mécontentement. Faute de pouvoir changer les choses en partant des hautes sphères, le peuple s’empare de la rue pour protester, parfois impressionner mais surtout forcer ses dirigeants à l’écouter. Si le Président s’estime légitime parce qu’élu au suffrage direct, ce même Président doit écouter la colère de ceux qui l’ont porté au pouvoir. Est-ce une réalité ? Durant ce quinquennat, les manifestations d’ampleur se sont succédé avec leur lot d’images choquantes. On pourrait se dire que les Français y sont habitués. Car en effet, nous sommes le peuple le plus réfractaire d’Europe. Cela dit, ces manifestations n’ont quasiment jamais débouché sur une négociation entre les partenaires sociaux et l’exécutif.
Quid donc de l’efficacité de ce mode d’expression ? Insignifiant. Ignoré, voire méprisé. Nous avons assisté en France à une répression policière de plus en plus violente, à l’usage d’armes utilisées nulle part ailleurs en Europe par les forces de l’ordre. En faisant taire ainsi ces manifestants, on tente d’étouffer les symptômes d’une maladie sociale qui se propage de plus en plus. Pourquoi un tel déni de ces pratiques pourtant normales en démocratie ? Une étude sociologique de la manifestation et des manifestants serait bien trop fastidieuse à mener dans ces lignes mais notons tout de même que la caractéristique insurrectionnelle des Français est à chercher dans leur histoire. La Révolution française a sans doute été l’un des meilleurs exemples de la capacité du peuple à renverser l’ordre établi. Cela s’est confirmé lors des révolutions de 1830 et 1848 et dont l’impact psychologique et moral s’est répercuté dans toute l’Europe. Le peuple français a servi d’exemple à d’autres en matière de révolte. Aujourd’hui encore, l’étranger a parfois du mal à saisir cette caractéristique culturelle de la révolte, ou, pour le dire plus légèrement, de la manifestation. Le meilleur exemple contemporain s’incarne dans la crise des gilets jaunes où l’on a pu observer une action à échelle nationale, coordonnée à partir des réseaux sociaux et structurée sur le terrain, de contestation des mesures prises par le gouvernement. L’ampleur et l’impact de ces manifestations ont été bien plus importants que ceux des cortèges qui protestaient contre la loi travail du gouvernement Valls. Et pour cause, les actions des gilets jaunes ont eu pour effet non seulement de faire trembler jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir mais également de diviser les Français entre partisans et opposants aux gilets jaunes.
Pour un retour des prérogatives populaires
Le peuple possède donc bel et bien la capacité de se faire entendre. Les dirigeants sont bien conscients de cette force, et voudraient la réduire en prétextant un danger pour l’ordre public. Là aussi, on touche à une valeur cardinale d’une société qui ne tolère plus les écarts et pour qui toute dissidence est à classer dans les comportements dangereux. Certes, il ne faut pas exclure la présence d’individus n’ayant pour but que de semer le désordre et le chaos, provoquant ainsi la réaction des forces de l’ordre qui justifient leur intervention par la probabilité d’un risque d’insécurité dans et en-dehors des cortèges. Mais la grande majorité des manifestants usent d’un droit légal, dépourvu de sentiments hostiles envers les choses matérielles qui les entourent. Ils dirigent leur colère contre les responsables de leur situation et ne cherchent qu’à se faire entendre, fussent les cris, les feux d’artifice et les tambours nécessaires. Sous le mandat Macron, les nombreuses manifestations n’ont pas amené à réfléchir à la manière dont il faudrait les comprendre mais à des lois de plus en plus répressives. Interdiction de manifester du fait du Covid, caméras embarquées sur des membres des forces de l’ordre ou drones observateurs, l’encadrement des manifestations ne consiste plus en une question de sécurité des manifestants eux-mêmes mais en une politique de répression.
Et pourtant. Ces cortèges et ces affrontements ne seraient sans doute plus nécessaires si les prérogatives qui ont forgé le concept même de démocratie étaient réattribuées au peuple. C’est donc tout le système démocratique français qu’il serait bon de repenser. La verticalité du système politique est un premier problème. L’élection présidentielle représentant le paroxysme du calendrier politique en France, les Français n’ont que peu d’autres occasions pour s’exprimer. Ensuite, il s’agirait de réintéresser les citoyens à la vie locale. Cet échelon n’est que peu mis en valeur et pourtant il concerne une grande partie de notre vie quotidienne. Éducation à un certain niveau, transports, environnement ne sont que quelques domaines dans lesquels les collectivités territoriales sont compétentes. Les médias et les personnalités politiques se sont indignés de l’abstention record lors des dernières élections régionales et départementales mais il faudrait plutôt déplorer l’absence d’une politique décentralisée de l’Etat au profit des collectivités, plus proches des citoyens. Enfin, mobiliser davantage les Français par le biais de référendums ponctuels ou de votes locaux serait également un moyen de revitaliser la démocratie. Parmi ces quelques exemples de propositions, certaines sont avancées par les candidats à la présidentielle de 2022 mais, s’ils sont élus, auront-ils la possibilité de le faire, ou au moins la volonté ? Réponse après le 24 avril.
Louis RITTER
A lire
Pierre Rosanvallon, Le siècle du populisme, éd. du Seuil, 2020
Anne-Sophie Simpère, Pierre Januel, Comment l’Etat s’attaque à nos libertés, éd. Plon, 2022.
Romaric Godin, La guerre sociale en France : aux sources économiques de la démocratie autoritaire, éd. La Découverte, 2022.
Le Monde, « La démocratie représentative, notre bien commun », 12.01.2022
Le Monde, « De la démocratie athénienne à la Ve République, qu’est-ce qui nous pousse à voter ? », 08.12.2021.
A voir
Blast, « Les présidentielles : des élections contre la démocratie », 6.02.2022
Blast, « Concentration des médias : Les milliardaires menacent la démocratie », 8.02.2022
Médiapart, « A l’air libre (202) Police : contre la surenchère sécuritaire », 9.02.2022
Blast, « Tous surveillés et punis : nos libertés en danger », 10.02.2022
28 Minutes, « Concentration des médias : une menace pour la démocratie ? », 15.02.2022.
France Culture, « Des griefs et des lettres : quand l’opinion publique gronde », 17.02.2022
France Culture, « Thierry Pech : comment gouverner ensemble ? », 18.02.2022