04/09/2022
SAINT-MALO : UNE REALITE SINGULIERE ET MULTIPLE : VILLE-ARCHIPEL, VILLE-PORT, VILLE-MONDE…
L’EMPREINTE DE LA GEOGRAPHIE ET DE L'HISTOIRE : UNE IDENTITE SINGULIERE
Saint-Malo, son identité, son développement, ses capacités et limites, sont le produit d’une géographie et d’une histoire singulières, marqués par le lien terre-mer et par une tension permanente entre désir d’autonomie et relations de dépendance.
Quasi-insulaire, la ville ne peut se comprendre que dans une vision plus large de son territoire ou bassin de vie : la baie, la Rance, ce qu’il était convenu d’appeler l’arrière-pays, l’axe qui la relie à Rennes, son existence à la marge de la Bretagne, un hinterland plus diffus lié à son économie.
C’est la culture partagée qui forge l’esprit d’appartenance et sert de creuset à la dynamique collective, sociale, économique, humaine.
L’empreinte culturelle héritée et transmise du passé est forte, alors même que ses fondamentaux ont été assez largement remis en cause : prévalence des liens terre-mer, esprit d’aventure et d’exploration, force de la relation aux éléments naturels, solidarité maritime, rôle de la foi.
UNE VILLE-ARCHIPEL CONFRONTEE A DES RISQUES CROISSANTS DE DESEQUILIBRES
Saint-Malo est une ville « puzzle », une ville-archipel évoluant au fil de l’histoire, comprenant trois villes d’origine, de nouveaux quartiers majoritaires en espace occupé, des communes limitrophes, le tout s’inscrivant dans un bassin de vie compris entre la Baie du Mont-Saint-Michel, le pays de Dol, l’estuaire de la Rance et le pays de Dinan.
La ville elle-même a connu de profondes transformations et ses équilibres, tant démographiques que sociaux ou économiques, en ont été fortement modifiés.
Les sociologies liées à l’habitat se fractionnent, jusqu’à compromettre l’équilibre d’ensemble : jeunes, actifs, retraités, résidences secondaires, hôtes et touristes de passage…
La pression extérieure liée à l’attractivité de l’ouest, au désir de littoral et à la montée en puissance du tourisme de masse ou de passage sont source d’importants déséquilibres : accès au logement, ville-musée, économie de « rente » envahissante au détriment de l’économie de production locale…
Il convient de penser la ville-archipel en tant que telle, dans une vision qui préserve la vie autonome et l’empreinte propre de chacune de ses composantes, qui sont pour certaines bien plus que des quartiers comme en témoigne la situation problématique de l’intra-muros.
Celui-ci, de plus en plus dépendant des dérives du modèle touristique et du développement des résidences secondaires ou partagées, perd progressivement son âme. le départ programmé de l’Ecole Nationale de la Marine Marchande (Hydro) et le risque assez évident d’un déménagement de l’Institution risquant feront franchir à la ville historique le seuil de l’irréversible.
Encore pire, la disparition de lieux ancrant la ville et ses habitants dans une identité singulière et forte au profit d’une vision utilitariste et purement financière, privilégiant par ailleurs un modèle de développement péri-urbain de plus en plus obsolète et sans réelle vision d’avenir, risque de peser sur le modèle de développement de Saint-Malo, son attractivité à l’échelle nationale et internationale, ainsi que ses capacités de projection dans les enjeux du monde à venir !
Une vision organique de la ville-archipel devrait, aux antipodes des présupposés technocratiques, tendre à préserver l’identité de chacune des trois villes d’origine ou de chaque quartier, à y maintenir les services indispensables à la vie sociale, à y investir dans ce qui bénéficie le plus à tous dans chacun des grands axes transversaux, qu’ils soient sociaux, économiques, environnementaux, culturels et humains.
On objectera les raisons budgétaires mais il s’agit d’abord de penser un modèle de développement, conditionnant l’urbanisme et non l’inverse : Jean de Châtillon, Vauban ou Guy La Chambre l’avaient conçu avec audace en leur temps, dans les enjeux de leurs époques respectives… faute d’élaborer la vision et les scénarios adaptés, les déséquilibres déjà observés ne pourront que s’accroître et du re**rd sera pris pour inscrire la ville dans des dynamiques plus globales, celles concernant entre autres, l’environnement et l’écologie, la cohésion sociale, les enjeux liés à l’éducation et à la culture.
Cela pose aussi la question de la relation de la ville à ce qui a fait sa raison d’être et qui continue à produire l’essentiel de son attractivité : la relation terre-mer et la création de valeur partagée liée à sa culture maritime.
UNE VILLE-PORT EN QUETE DE REINVENTION ET D'AVENIR
Le port, au cœur de la ville, a structuré l’existence de celle-ci et a fortement contribué à forger son identité, constituant à la fois un espace commun et un poumon économique.
Mais qu’est-ce que le port au-delà des bassins, qui n’en constitue que la partie la plus visible, héritage du passé au milieu de la ville ?
Comment le port peut-il devenir, non pas une malade chronique au cœur de la ville mais un ensemble de lieux à nouveau porteur des ambitions de celle-ci et de création de valeur partagée, dans un avenir où même si ses activités traditionnelles de commerce et de pêche ont peu de chances de retrouver leur place, d’autres peuvent aider à projeter la ville dans un modèle de développement plus équilibré et plus pérenne ?
Ceci suppose de considérer le port dans ses acceptions les plus larges : espace singulier et de liens dans la ville, sous-ensemble d’un domaine maritime plus large, comprenant la Baie et la Rance, maillon d’un réseau portuaire de proximité, d’affinités et d’intérêts, bien commun et organe vivant d'une culture commune.
Même si la gestion par la Région constitue une véritable opportunité stratégique, économique et financière, la ville ne saurait se désintéresser d’aucune des acceptions précédemment mentionnées, ce qui suppose à la fois une volonté politique, un poids dans la gouvernance, une capacité d’initiatives et d’orchestration.
Il s’agit bien d’un véritable chantier de transformation à l’instar de ce qu’ont connu beaucoup de villes portuaires, incluant des aspects urbanistiques, économiques, environnementaux, culturels et sociaux.
Un tel chantier nécessite non seulement un effort de coopération accru entre acteurs politiques et économiques du territoire mais également un dispositif d’innovation dédié, permettant de designer des solutions, de soutenir et d’accompagner des projets dans une vision d’activités portuaires multipolaires : nouveaux modes de transport maritimes, pêche durable et aquaculture, biotechnologies marines, sports marins et voile, énergie, nouvelles formes d'habitat…
La vocation sociale et humaine d’un tel chantier est une évidence : espaces de lien et d’animation pour la ville, activités d’insertion liées aux patrimoine ou compétences maritimes, entrepreneuriat coopératif, expression artistique et tiers-lieu, à côté d’un tissu d’entreprises innovantes pouvant trouver place dans les espaces libérés par la baisse du trafic portuaire.
On est bien au-delà et sur des registres plus intégrés à la vie quotidienne des habitants, que le projet soutenu par la Région, principalement lié à la modernisation et à l’extension du terminal ferries,
Réinventer, c’est nécessairement innover et conduire une stratégie délibérée de transformation, facteurs de coopération accrue et in fine de cohésion sociale ; mais c’est aussi accepter en contrepartie une prise de risque politique et entrepreneuriale.
C’est aussi à ce seul prix que Saint-Malo restera dans la course, en bénéficiant du large capital de sympathies et de connexions que lui offre sa diaspora, sans compter les liens culturels et commerciaux inhérents à la vie même des ports, rendus disponibles par des réseaux à vocation internationale (Association Internationale des Villes Portuaires, Association Si Tous les Ports du Monde).
La ville risquerait bien de s’échouer dans la stagnation de son port ; elle ne peut en revanche appareiller vers de nouveaux horizons qu’avec celui-ci !
Une ville-monde à la croisée des modèles de développement
Ville-archipel, ville-port, Saint-Malo est aussi une ville-monde, historiquement ouverte au monde, ayant participé à maintes explorations et découvertes, ville de commerce et d’échanges, territoire d’accueil et d’hospitalité, source d’inspiration et d’attachement !
Cette ouverture au monde passe aujourd’hui concrètement par plusieurs axes majeurs : le tourisme, la culture et les évènements qui lui sont liés, la course au large.
Le modèle issu de l’industrie de consommation touristique pose aujourd’hui des problèmes croissants, à la fois par rapport à son impact sur le mode de développement ou les ressources du territoire et, de façon plus large, à l’inflexion qu’il produit dans notre relation au monde dans une logique de produit plus que de rencontres ou d’échanges. Faut-il pour autant considérer que ce modèle serait le fer de lance du capitalisme mercantile et financier, asservissant tant ses propres consommateurs que les territoires cibles ?
Il y a une tradition de tourisme populaire à Saint-Malo et ce, depuis bientôt cent ans, qui distinguait d’ailleurs la ville de sa voisine plus élitiste, Dinard.
Entre une logique de laisse- faire soutenue par les lobbies touristiques ou au contraire celle d’une complète réinvention, qui nécessiterait des transformations plus systémiques de la société à une échelle globale -réinvention peut-être poussées par les nouveaux modes de vie liés aux risques climatiques et sanitaires- la ville et son territoire pourraient investir de façon beaucoup plus volontariste dans des voies de diversification et d’innovation tendant vers un modèle d’hospitalité « raisonnée ». Elle a sur ce plan beaucoup d’opportunités, par la beauté et la diversité de ses sites, son patrimoine historique et culturel, les nouveaux centres d’intérêts portés par les enjeux environnementaux et écologiques, l’aspiration au bien-être, au ralentissement et à certaines formes de frugalité qui traversent la société, les quêtes du temps présent pour lesquelles la mer constitue un immense réservoir d’inspiration et d’expériences.
Il en va de même pour la culture, dont l’offre a tenu trop longtemps à un petit nombre d’évènements emblématiques (le festival Etonnants Voyageurs venant en tête) ou à l’autre bout de l’offre culturelle, à la déclinaison simplificatrice et réductrice de la « Cité Corsaire ». Cela ne constitue pas une trame culturelle au niveau des attentes générées et de la part de rêve produite par le territoire. Heureusement les choses bougent, à la fois du fait des initiatives multiples des acteurs de terrain sur l’ensemble du bassin de vie, collectifs et associations boostées par un regain de vie à l’issue des périodes de confinement mais aussi dans des décisions prises par les responsables politiques, La Briantais et la refondation du projet de Musée d’histoire maritime avec une équipe de grande qualité en étant deux principaux exemples.
Saint-Malo ville-monde doit se doter d’une vie culturelle permettant non seulement d’accueillir et de passionner les visiteurs de passage, mais aussi de se montrer pleinement hospitalière par la réciprocité des échanges et des dons, encore plus de contribuer par sa puissante singularité à favoriser les liens créatifs entre disciplines artistiques, scientifiques et expérimentales en, relation avec le bien commun de l’humanité qu’est la mer, espace physique mais aussi espace de nos imaginaires, espace de réinvention de l’humain avec la nature -celle qu’il côtoie et qui vit en lui, espace des nouvelles symbioses qui sont les exploration et les découverts pour le monde qui vient.
Enfin, concernant l’une des déclinaisons de l’aventure maritime que constitue la course au large et en particulier la Route du Rhum, la ville doit veiller à ne pas devenir l’instrument du sport-business mais de mieux intégrer l’évènementiel avec sa part extraordinaire d’aventure et d’humain, dans un pôle de développement à part entière, centré sur la voile dans toutes ses dimensions, économiques, sportives et patrimoniales.
Par son histoire exceptionnelle, ses figures et ses ressources, Saint-Malo est une ville-monde à l’instar de ses sœurs ou cousines, républiques maritimes ayant influencé les relations entre les peuples, souvent éclaireuses des transformations du monde. Même si sa place n’est plus au premier plan, son image reste forte ; beaucoup tient à l’âme et aux réseaux de talents qui s’y reconnaissent comme le montre intelligemment et sensiblement la très belle exposition Une Rance à Soi que l’on peut parcourir dans le parc de La Briantais.
L'OPPORTUNITE D'UNE NOUVELLE ALLIANCE ENTRE ECONOMIE, ENVIRONNEMENT ET CULTURE ?
Ville-archipel, ville-port, ville-monde, Saint-Malo tire ses atouts et ses faiblesses des singularités qui ont forgé son histoire et son évolution.
Dans chacune de ces trois dimensions, elle se retrouve aujourd’hui à la croisée des modèles de développement.
Mais c’est aussi une chance car ces mêmes singularités coïncident fortement avec les enjeux du monde : nouveaux modes de vie et besoins de cohésion sociale, rôle essentiel de la mer et des océans, nécessité de nouvelles explorations et découvertes donnant du sens à l’aventure humaine, remplacement d’une culture globalisante par le tissage des liens entre les cultures.
Le déclin, la médiocrité ou l'inféodation ne sont pas des fatalités.
La beauté du territoire, son âme procurant un supplément de sens, la vision qu'il inspire de nouvelles symbioses entre l'humain et la nature, la capacité de créer du lien et de la coopération entre tous ses talents, la multiplication de projets à impacts positifs, la vitalité des acteurs de la société civile, le développement de l'Economie Sociale et Solidaire, les aspirations fortes et partégées des habitants à de nouveaux équilibres, font de Saint-Malo une ville à part, possédant de nombreux atouts pour se transormer et se réinventer.
Ils confèrent au politique un devoir de transformation, de mise en mouvement et de prise de risque positif qu’il ne pourra plus longtemps sous-estimer...