Le Scandaleux

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Le Scandaleux Edité par une association d'étudiants de l'EDHEC, Le Scandaleux Mag est le 1er média étudiant de N'oubliez pas, vous êtes tous de potentiels rédacteurs !

"Toute personne qui pense fortement fait scandale." - Honoré de Balzac

Le Scandaleux Mag est un magazine édité par une association d'étudiants de l'EDHEC Business School (Lille) qui existe depuis 2006. Avec 3 000 exemplaires distribués gratuitement chaque trimestre, Le Scandaleux Mag est le premier magazine étudiant de la métropole lilloise. Nous gérons en parallèle un site internet où nous publi

ons des articles, des chroniques et les vidéos de notre Web TV. Celle-ci diffuse nos différentes émissions et interviews sur nos chaînes YouTube et Dailymotion (100 000 vues). Nous offrons également la possibilité aux étudiants de s'exprimer sur l'actualité ou sur un thème qui les passionne en publiant leurs articles sur notre site ou dans notre magazine papier. Ils peuvent aussi proposer des sujets pour les vidéos de la Web TV. L'objectif de notre site est de réagir de manière originale et argumentée sur des sujets d'actualité, en n'ayant pas peur d'affirmer des positions. Il se destine aussi à promouvoir le patrimoine et commente régulièrement la vie culturelle lilloise et ses événements marquants. Envoyez-nous vos articles à [email protected], nous nous ferons un plaisir de les publier sur notre site et/ou dans notre magazine !

14/01/2023

[Perdre pied]

Je nous regarde perdre pied
Les yeux sont couleur de tristesse
Ces choses vues déjà les quittent
L’amer d’une orange goûtée
Est ce qui dans la gorge en reste
A présent ne peuple l’oreille
Que le bruit rare de l’absence
Tout d’abord, indécis à vivre
Puis écartés de toute envie
C’est dissuadés de tout effort
Qu’ici ou là nos pas se portent
Splendide, à nous s’offre un désert
Là où tout manque et où tout meurt
Où n’est pas l’autre, où il n’est plus,
Où, la mémoire n’aidant plus,
Il n’a jamais été vraiment
Mourir est moins intolérable
Pour qui un temps se sont aimés
Mais à venir reste le pire
Quand trop grandes seront les distances
Et qu’alors notre lutte hélas
Aura l’allure futile et creuse
D’autant de coups portés au vent
L’un à l’autre, pour de bon,
Serons ces deux inconnus qui,
Sans se reconnaître, se frôlent...

29/04/2022
18/11/2021

[Viens dans mes bras viens]

Viens dans mes bras viens
Toi qu’ils méprisent, ma douce,
Ma tendre, toi dont ils médisent,
Viens, dans mes bras, viens,
Ils n’y seront pas,
Qui te disent fille de rien,
Que je ferai reine,
Au-dessus des rois,
Ma mal aimée entre toutes,
Viens dans mes bras viens,
Mes bras, tu pourras t’y draper
Comme on fait contre le froid,
Comme on fait contre la haine,
Viens dans mes bras viens,
Ma seule, mon unique,
Mon ultime, mon tout,
Viens dans mes bras viens,
Toi pour qui je tuerais
Les autres jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus
D’autre que toi, et moi,
Viens dans mes bras viens,
Je les ferai velours, et ma tendresse t’y attend
T’y attend ta vengeance sur eux,
Elle sera grandiose, je te l’affirme,
Viens dans mes bras viens, ma belle infirme
Toi chez qui tout garde trace
De leurs regards,
Toi chez qui le cœur a lutté
Sans vaincre son mal de chien,
Viens dans mes bras viens,
Laisse-leur ce soleil qui les aveugle,
Et ce ciel qui les encercle,
Laisse-leur l’illusion qu’ils vivent d’amour,
Laisse-leur le tout et viens,
Dans mes bras viens,
N’y seront admis que les fous
D’amour pour toi,
Les autres, ils n’y seront pas.
Mille que nous serons à t’attendre,
Et plus encore à t’aimer,
Ne pleure plus,
Jusqu’à la joie à qui j’interdirai
De faire ces fausses perles,
A tes yeux, les seules perles,
Viens dans mes bras viens,
Quitte ce malheur où ils te tiennent,
Viens dans mes bras viens,
J’y ferai mettre des fleurs,
De celles que tant tu aimes,
Viens, dans mes bras, viens.

08/09/2021

[Ceux d’Etretat]

D’ici à Etretat, il n’y a plus longtemps à marcher - à tout prendre, quelques centaines de mètres.
Ce qu’il y a à contempler à Etretat ? Beaucoup, mais d’abord, soyons arrivés et évitons d’en parler en parfait méconnaisseur.
Entre-temps, entre Etretat et moi c’est une route côtière qui s’allonge. La manche est à ma droite. Elle fait des signes vagues. Bleue, elle est bleue comme on est heureux. Au-dessus des têtes, il fait tout aussi bleu. Bleu, tout s’est mis au bleu, le ciel la mer et jusqu’aux yeux de certaines, en plus des jeans et des forces de l’ordre - ces forces de l’ordre bleu. Tout entre ce ciel et cette mer, le vent s’engouffre, dans lequel les robes claquent sur les cuisses, motos obligent… Ce bleu œcuménique, je m’y lave le cœur jusqu’à plus soif. De ce remords d’hier à ce souvenir infesté de regrets, tout y passe. C’est par tombereaux que, le temps d’un regard, je me déleste. Demain, s’il fait bleu comme aujourd’hui, je bénirai cette terre normande. A défaut, je la bénirai de l’avoir été, qui a cette élégance de ne plus l’être.
J’y suis, à Etretat. Elle n’est pas comme dans mon souvenir. D’ailleurs, je n’en ai d’elle aucun pour n’y avoir jamais été auparavant. Entre nous, d’Etretat je ne veux rien emporter dans mon souvenir une fois parti. Je veux y revenir comme si j’y venais une première fois. Je veux y retrouver ce bleu qui n’en finit de tout investir. Je veux voir dans sa mer sombrer ces choses que l’âme, dans ses profondeurs, enfouit trop douloureusement. C’est exactement là, à Etretat, que je veux tout laisser. Mes regrets, peut-être, les y retrouverai-je, méconnaissables dans la couleur d’une vague ou mieux, fiancés à son regard. Si j’ai les yeux qui fixent ailleurs et comme au-delà, c’est que s’y seront mis ceux d’Etretat, bleus comme on est heureux.

30/01/2021

[Lettre à toi, étudiant]

Ton exil, j’ai le même à la maison. Un exemplaire de ta solitude y trône sur une étagère. Tes bouffées d’angoisse, j’en prends matin, midi et soir, entre deux cours ou deux « deadlines ». Mais je ne viens pas te tendre ma compassion, ni t’offrir de communier dans les larmes et les lamentations.
Nos deux principaux points communs sont d’être assignés à résidence, et d’être étudiants. Le reste ne me regarde pas – et ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, en revanche, est de regarder au fond de moi-même ; et je te dis : fais de même.
La situation est instable, le fait est – imprévisible, surtout. Les conditions se dégradent et menacent de se dégrader davantage encore. Que vaudra ton diplôme ? Quel emploi, à la sortie, aura gentiment pris le temps de t’attendre ? Sans oublier la dette, qui nous promet des lendemains qui chantent…
Cela étant dit, que faire ? Regarde au-dedans. Ausculte les ressources à disposition. Pèse et soupèse. Sois rigoureux dans ton analyse. Fouille-toi, de fond en comble et comme à la recherche du moindre petit grain de force. Ne laisse rien passer. Ce minutieux examen a une vocation : faire apparaître des armes entre tes mains, que tu crois vides et sans ressources. Une fois ce premier travail accompli, reste à polir ces armes, à les laver de leur rouille et à leur rendre leur tranchant.
Regarde-toi comme tu ne t’es jamais regardé : non plus comme un être qui est ceci plutôt que cela. Laisse de côté ce narcissisme – c’est une modestie qui n’est pas digne de toi… Mais regarde-toi comme ce projet dont toi seul as la charge. Tais les bruits du dehors. Garde le regard rivé sur toi-même. Tu sens, au fond de toi, qu’il est question maintenant de l’essentiel. Quelque chose comme une rage, c’est le nom qu’ils lui donnent, va commencer à te chatouiller de l’intérieur. Laisse faire, si elle te mord, sache qu’elle te fait mal parce qu’elle te veut du bien. Tu auras envie de crier, alors crie ; ou d’écrire, alors écris ; en somme d’agir, alors ne t**de pas : agis.
Pour le reste, je n’ai rien à t’apprendre, tu le sais mieux que quiconque. Ce que tu viens d’accomplir a sûrement fait perler des gouttes à ton front : alors dors. Demain t’attend de pied ferme.

25/01/2021

[Faire, quand tout s’y oppose]
[Ou le mal-être étudiant]

Se lever, petit-déjeuner, se brosser les dents, s’habiller, se mettre à travailler, assurer la propreté de son intérieur : autant d’occupations qui, en temps "normal", ne font pas débat. Depuis l’épidémie, ces gestes du quotidien, qu’on faisait sans parfois même y penser, posent dorénavant problème – comme s’ils impliquaient plus que de coutume. Plus d’énergie, plus d’engagement ; en somme, plus de présence dans ce qu’on est en train de faire. Un surcroît de force semble être requis, sans quoi, c’est un report infini et sine die de ce qui, auparavant, prenait place en toute fluidité. L’homme post-Covid-19 se traîne d’heure en heure, et chacun de ses gestes acquiert une pesanteur nouvelle. On pourrait parler d’une mécanique sinon rompue, du moins fortement grippée. Tout ne va plus nécessairement de soi et nous coûte un plus grand effort encore.
Chez certains, ce sentiment a trouvé un terrain favorable où proliférer en ne rencontrant que peu ou quasiment pas de résistance. Ce n’est pas qu’ils n’aient jamais été placés face à la question du sens, du "pourquoi" des choses ; c’est plutôt qu’une telle question a trouvé, récemment, l’occasion de s’insinuer dans toutes les autres, jusqu’aux plus banales, et de les miner de l’intérieur.
Cette solitude décrétée par les circonstances, et dont le terme est sans cesse repoussé, fait se produire, chez les uns, une avalanche d’interrogations quand, chez les autres, elle cristallise tout l’enjeu d’être en une seule question, si monstrueuse qu’elle les méduse. L’alternative est donc celle-ci : soit l'asphyxie sous le poids des choses, soit une paralysie systémique de la volonté.
A un âge où tout ne fait pas encore sens, et où les choses commencent à prendre peu à peu contours et forme, un tel phénomène est d’ampleur cataclysmique. Alors que faire, quand tout s’oppose à ce qu’on fasse ? Quand l’homme se voit mis devant la nécessité de prendre en charge, seul, son devenir, privé du concours habituel des autres ?
Il fait ce qu’il peut, et la parole y aide – trop peu pour soigner et toujours guérir, mais assez pour qu’on y bataille et y cherche son salut. Le nouvel enjeu est de rapatrier les autres, dans la mesure du possible, et de faire du lien. Le mot ne remplacera jamais la chose, qu’il réussit davantage à nommer qu’à faire être, mais le langage est le commun des femmes et des hommes. Il faudra donc, par des temps d’une extrême violence, tâcher de faire au moins que ce commun le dispute à nos solitudes respectives, à défaut d’en venir toujours à bout.

Post Scriptum : Quel Ulysse peut-il se passer de ses compagnons de mer pour survivre aux chants ensorcelants et mortels des sirènes ? Ulysse a vaincu : soyons cet Ulysse, et cherchons des compagnons de mer.

08/12/2020

[De celles qu’on aime telle]

Beaucoup ignorent. Entre elle et les autres s’interpose, intangible, un voile, rendant impossible toute connaissance qu’on pourrait en avoir. Elle est de celles qui s’habillent et s’enveloppent à l’uniforme du silence. Le mystère autour d’elle prospère, et demeure entier. Ses yeux taisent ce qu’on devine à peine, et si difficilement. Quant au sourire, il est chez elle paravent. Et ce qu’il s’y joue de sentiments véritables reste enfoui à l’intérieur, dans cette prison aux allures de palais étincelant. On aura beau harceler cette opacité. D’elle, rien ne filtre ni ne transpire. Suivre l’itinéraire de ses yeux mène à une impasse. Rien d’elle n’aide à la cerner, et fuyante elle est pour les mains qui veulent saisir. Le peu même qui en transparaît semble lui tenir lieu de diversion. Mais c’est peut-être le sens même de son indéchiffrable beauté. Ne rien dire, ne rien laisser voir. Tout au plus ce sourire, ou une phrase cédée comme on cède une pièce, comme on fait une aumône. Sa présence, l’absence la jalouse d’avoir l’avantage d’être ici sans jamais cesser d’être ailleurs. Des yeux, l’on dit qu’ils sont miroirs de l’âme ; les siens s’amusent à renvoyer indéfiniment un écho vidé de sa voix. J’ignore qui elle est. Où que je porte en elle le regard, tout m’y parle de cette envie furieuse de garder le silence. A quelle pensée vont ses yeux quand dans le vague ils vont se fixer ? Quel soleil s’y couche ? Et pour qu’y tombe quelle nuit ? Je l’ignore, cela aussi. Occupant chaque instant à une intraitable vigilance, elle m’échappe plus fluidement encore qu’une eau ramassée dans ma main. Elle est de chair et d’énigme. De celles qu’on aime telle.

28/11/2020

[Elégance de l'Intangible]

Une voix, entendue, c’est assez, je le crois. Assez pour dissuader des pires folies un homme prêt à se défaire des choses. Il suffit d’une voix, entendue, pour désarmer les intentions d’en finir avec ce tout où l’on ne se trouve pas une place. Peu de chose, en somme, sauve des plus irréversibles naufrages. Rien qu’une voix, ne m’en offrez pas davantage, seulement une voix entendue. Une voix, sans plus, à portée d’oreille ; qu’on touche sans l’entamer, qu’on touche sans les mains, toujours sales, éternellement salissantes. Quelque chose comme une voix entendue, et tout se repeuple. Car tout s’y déroule, quand au dehors siège l’inessentiel et qu’il n’y a qu’écume au détour de chaque être et de chaque chose. Le reste n’est jamais plus que le reste, lorsqu’une voix telle sort de son silence. Aimer n’est que donner juste ce qu’il faut de voix ; au-delà règne le mensonge, en-deçà, la solitude. Quand rien ne compte plus, et que tout menace de rompre sous le poids des heures, une voix entendue est encore ce qu’on a jeté de mieux aux noyés qui vivent en naufragés d’eux-mêmes. La surface, dès lors, leur paraît moins lointaine. Et quand ce ne serait que songe, la nuit est nuit d’été, où se rallument les feux les plus insoupçonnés. Un peu de cette voix entendue, pas plus d’un zeste, et même moins encore, la dose, si infime soit-elle, infusera néanmoins. Et les jours reprendront alors goût à l’espoir. L’on s’étonnera qu’ils se lèvent avec autant de simplicité ; et l’on s’assoupira sur la promesse de leur très prochain retour. Heureux d’avoir enfin pu rallier les choses les plus simples, qui sont les plus belles.

26/11/2020

[Trois amis de longue date]

Tous les trois ont les yeux qui visent dans un ciel bleu et timidement blanchi par endroits. Ce qu’ils y visent, en ont-ils trouvé trace ? Car leurs regards ne quittent pas l’immensité turquoise. Trois amis assis sur le banc de leur enfance : ils étaient tels. Pétris du même limon, les mêmes joies leur ont réchauffé le cœur quand une peine commune n’y jetait un vent de gel. Rompu est le moule où ils furent coulés ; et pareille amitié ne se rencontre plus… Le long des choses et des roses, ils auront cheminé, ensemble, les uns arrimés aux autres. La pluie ne pouvait strictement rien contre eux, qui les trouvait fumant selon leur coutume, la tête dans les nuages, et l’air toujours un peu ailleurs. Ils s’amusaient à faire à leurs bouches des chevelures de fumées grises ou noires. Ils n’aimaient se retrouver nulle part ailleurs qu'au toit du monde. Aussi, se préféraient-ils placés au-dessus des mêlées, ne troquant leur hauteur de vue contre rien d’autre. Et parfois, quelque chose interrompait le cours de ces trois solitudes réunies : une colombe ou un pigeon passant tout à côté. Ils restaient alors de marbre, fièrement dressés, et comme incapables d’étonnement. C’est que la rectitude est leur principe, qu’ils s’appliquent avec intransigeance ; et le silence, leur langage, taisant l’inessentiel. Les voilà qui se remettent à fumer, arrondissant leurs bouches mais échouant à faire des cercles si tel était le projet qu’ils avaient formé. Les trois cheminées en argile ont parfois des allures de rêveurs imperturbables ; peut-être le sont-ils, qui sait…

24/11/2020

[L'Ecrasé]

Je le retrouve par terre, où gît ce qu’il lui reste de corps, c’est-à-dire bien peu de chose. Il a succombé à des convulsions sans nom, mais a tenu sauf son honneur, car dans sa peur même dormait un courage, et un amour blessé. Arraché aux siens pour être empaqueté avec ses semblables, il put apprécier les feux ennemis dans toute leur chaleur. Son corps a fondu sous des températures artificielles. Au front, il avait gardé le souvenir de ses lèvres et de leur pourpre, et l’amer de leur désunion survenue avant le grand départ. Jeté alors comme on se départ d'un mouchoir usé, sur lui, le bout de sa chaussure exerça une pression impitoyable jusqu’à l’écrasement. Je le retrouve par terre, sur ce champ qu’il partage avec ses compagnons d’infortune. Là où tous meurent de concert, siège, en dépit des douleurs multipliées, un silence tenace et dernier. Avec ce qu’il lui reste de force, il me parle de ses mains tendres apportant la paix à son corps. Il me relate l’itinéraire de l’air dans cette bouche aimée, et les soupirs de plaisir et d’angoisse qui la peuplaient tour à tour. Et il me refait ce geste même par lequel, posant les doigts sur la bouche puis les en ôtant, elle lui faisait tenir sa tendresse à travers l’air complice. Les jambes lui manquent à présent ; il est à improviser des adieux forcés à la beauté des choses. De lui, on pourra dire qu’il n’aura vécu que pour une seule, goûtant d’abord la joie suprême pour connaître ensuite le plus profond chagrin. Ainsi vécut puis mourut le mégot, dont la plaie fume encore…

18/11/2020

[Goliath en ville]

Le caddie avait en son fond de quoi vêtir chaudement ceux qui le désiraient. Le monsieur à qui appartenait cette garde-robe portative s’enveloppait de couches successives. C’est ainsi qu’un pull venait en couvrir un autre, qu’on faisait suivre d’un manteau, lui-même doublé d’un autre manteau. A ce jeu, l’homme acquérait peu à peu une carrure qu’on ne lui aurait guère soupçonnée. Ses gestes, à présent, s’ils ne forçaient le respect, dissuadaient du moins de toute intrusion dans son espace vital. Un grognement guttural et rauque acheva le tableau : il ne faisait pas bon rôder à proximité. Le plus sage était encore de préférer une autre rue, ou, à défaut, le trottoir d’en face. Sous la poussée de bras hypertrophiés de coton et de polystyrène, le caddie allégé et docile avançait. La rue, n’ayant rien à ajouter, se tut à son passage. Les façades ne pipèrent davantage mot. Tous tenaient visiblement à la vie. Les chats grattaient les portes, imploraient par miaulements ininterrompus qu’on voulût bien d’eux, et offraient même de faire vaisselle et lessive sans rechigner. Les fenêtres baissaient le regard en baissant leurs stores. Et les portes étaient même honteuses de ne pouvoir reculer et laisser ainsi plus d’espace, blâmant l’immobilité de leur condition sous le regard sévère de ce Goliath. Le surhomme, en marchant, perdait progressivement de son caractère massif et imposant : il revenait à des proportions plus humaines. Néanmoins, sur visage qu’il offrait au silence environnant, passait comme une immense tristesse. Si son cœur est à l’image de ses lèvres gercées par le froid, alors Goliath est à plaindre – ce dont je ne peux douter.

15/11/2020

[Pour tout royaume]

Le chapeau était blanc ; la barbe, grisonnante ; et le pull, bleu et bedonnant. Le pantalon vert kaki flottait au vent. Et les godasses noires étaient scandées de blanc. Le tout, enveloppé dans un long manteau noir prenant la forme d’une boule sous les rondeurs de l’homme assis sur le banc. Il s’est levé du banc, et a levé le camp. Il a vidé la gamelle du chien et, l’attirail revêtu, s’en est allé marchant, précédé d’un chariot de course. Cet après-midi, Lille avait froid. Le chien suivait ce cortège solitaire au rythme de ses petits pas, un regard pour la droite, un autre pour la gauche. Contre le froid, l’homme avait la ressource d’une cigarette roulée et plantée au coin de la bouche : il avait un rictus. Le corps s’inclinait dans une prière inaudible et, à chaque poussée, le chariot adressait comme une supplique. Ils s’engagent dans le square du Maréchal Birdwood, le longent et disparaissent derrière un voile d’arbres que le vent ni l’automne ne parviennent à percer. Ils reviendront, l’homme et son chien ; leur royaume est au bout de chacun de leurs pas. Ils avaient, en partant, pensé à jeter lit et sommier dans la benne tout à côté du banc. Ils s’en feront ailleurs de plus confortables avec d’autres cartons. A d’autres, on livrera encore des lits et des sommiers : eux hériteront des cartons, et dormiront.

14/11/2020

[Essaim de novembre]

15 heures 50.
Ils jaillissent de la rue Alphonse Mercier et prennent par Nationale en redressant leur vol vers des hauteurs où je les vois s’engouffrer puis disparaître.
Leurs ailes ont battu l’air de concert comme d’autres battraient campagne en frères.
Ils ne furent que d’un temps, une seconde seulement les a retenus à portée de regard.
Un ciel blanc est à présent leur demeure fugitive.
Mais après ?
Quel nouveau lieu dérobé aux regards en accueillera la présence précaire ?
La liberté qui est le leur, n’est pas la mienne.
Et les régions qu’ils rallient me sont des lointains que j’échoue à me représenter.
Leur passage a tout de même retenti, forçant le silence à plus de couleur.
Les yeux restent orphelins de cette nuée mobile et sombre.
Novembre ne dure parfois qu’un instant, dans le regard d’un homme.
Et l’essaim d’oiseaux noirs y donne le spectacle d’un vol aux allures de tempête futile.

11/11/2020

[Mousse de canard]

Parc Barbieux, un canard y fait trempette. Vilain, il ne l’était guère davantage que ses congénères. Petit, tout de même pas : disons d’une taille respectable. Seulement voilà, il semble se tenir à l’écart du groupe. Comme exilé d’entre les siens. Et s’il cancane, ce n’est jamais ni pour se plaindre ni pour ni critiquer. A croire qu’il a tout naturellement fait aller sa préférence à la solitude. Au bord du lac, où je suis assis, l’animal accoste, l’air de rien. Sur l’herbe à côté de moi, il s’occupe à délicatement poser son séant avec force cérémonies : madame la marquise qui s’assoit. Nous voilà donc tous deux, l’un près de l’autre. D’un naturel sans doute peu loquace, nous n’engageons pas plus avant la conversation. Et, dois-je admettre, nous n’échangeons pas énormément sur nos existences respectives. Et puis, à quoi aurait ressemblé d’imposer à un inconnu le récit de sa vie ? Question d’élémentaire décence… Au bout d’un certain temps, le canard se lève, visiblement ennuyé de ma présence muette, et sort ses pattes en table qu’on déplie avant de la poser. Après quoi, c’est au lac qu’il s’offre. A ma place, je suis resté, songeant à ce canard, et regrettant de ne pas avoir été à l’initiative d’une discussion à coup sûre foisonnante en anecdotes. J’ai ensuite pensé à cette fille, avec qui j’avais partagé un banc non loin, quelques minutes auparavant. Je finis par lever le camp, fort de mes deux échecs, et me console, en chemin, à la perspective de retrouver au moins l’un des deux inconnus le soir, en conserve… On a les relations qu’on peut !

03/11/2020

[Nous nous connaissons à peine]

Nous nous connaissons à peine. La question est si quelques heures seulement peuvent suffire ; à quoi ? À l’essentiel.
Tout est parti de ce principe : tes yeux, et le regard qui est le leur. Peu de choses en somme, presque rien, mais assez pour que rien n’y manque.
Ici et là deux lignes courbes mariées à leurs extrêmes pointes : ton regard est tel. Les distances qu’il court vont bien au-delà de ce à quoi il s’adresse. Il transperce, au grand mépris de la matière.
Et le cœur d’un jeune homme ne coupe hélas pas à la règle. Le mien n’y coupa donc pas.
Ce que nous nous sommes dit ce soir-là ? Je n’en ai pas gardé trace. Dans mes muscles, le seul souvenir d’une danse que tu m’accordes ; et de quelques gestes distribués çà et là dans l’air, sans grande maestria…
Et puis, quelque chose qui m’attire à soi, et me ménage un havre précaire entre des bras tendres.
Un murmure à mon oreille : on ne tient pas rigueur à mes faux pas.
Et toujours ces yeux dont le regard me parle un langage que je veux plus tendre encore.
Un rideau de chevelure, dans le mouvement tourbillonnant de la danse, me les dissimule et me les redonne tour à tour.
Une image, dans mes yeux, s’est coincée : je la revois dans son éternité d’un instant seulement.
Tout était dit : il me faudra lutter pour ce regard, chercher à le revoir, à l’avoir pour moi seul, à lui faire peupler toutes les parcelles de mon désert.

L'amoureux fou

29/10/2020

[Ce qu'il faut de bruit]

Un chignon, et des pas semés ici et là. Un masque s’interposait entre elle et le boulevard désert. Le manteau n’était pas sur les épaules, mais sous le bras. Le petit corps fin narguait un froid d’une heure du matin. Un peu d’alcool. Et une soirée semée ici ou là. Un bruit de voiture la fait s’arrêter net. Dans une torsion inquiète du cou, un regard part de derrière une Golfe noire. Elle est aux aguets, prête à s’en remettre à la Golfe muettement complice, prête à s’effacer derrière, à contrefaire l’absence. Son cœur bat comme des amoureux, l’amour en moins, que remplace la crainte. Le bruit a pris par une petite rue. Les pas se muent alors en foulées, toujours le manteau sous bras. Lequel de ces lampadaires l’a dénoncée ? Elle se fait plus minuscule à chaque foulée : j’assiste à sa paisible disparition. Le chignon devient un point indistinguable du corps qui devient un point aussi. La rue, après que la passante est passée, est repassée au silence, et au vert, le feu d’à côté. Le désert s’est alors reformé sous des lampadaires délateurs. Où sont allés le chignon et les pas qui se sont faits foulées ? Le boulevard l’a su un temps, il l’ignore maintenant ; il a troqué contre un peu de solitude mouillée de pluie, le chignon, le manteau sous le bras, les pas, les foulées et le reste. Une voiture trouble cette solitude de muettes inscriptions à ses portières et du ronflement d’un moteur au ralenti. Vous venez trop t**d messieurs : circulez, il n’y a plus rien à voir…

28/10/2020

[La souris qui ne danse plus]

Au 12 rue…, on en veut à une souris. L’appâter a un temps été une politique, délaissée faute de résultats visibles : les fromages qui parsemaient terre y ont seuls perdu au change. Et la souris restait introuvable. Quand il était fait silence, chaque bruit, dans l’appartement, portait en lui l’hypothèse de son immédiate proximité. Et si parfois le minuscule animal avait l’élégance de se signaler aux occupants, c’était si furtivement qu’on se mettait à douter qu’il ait jamais existé. Les placards, à l’entrée, n’étaient pas indemnes de ces craquements qui vaguement indiquent, mais jamais ne dévoilent avec exactitude. On a pensé à mille pièges, mais la souris passait au travers comme au travers d’une brume passe un rayon et s’évanouit. Empoisonnée, on l’a voulue : la bête vit encore, mais d’une vie menacée de toutes parts. Où migrer ? Quels bords rallier où soient offerts repos, subsistance et paix ? Dans le royaume des hommes, la petitesse est une faiblesse qu’on ne pardonne pas. Par une après-midi de chaleur, alors qu’on dormait dans une chambre, la souris flaire par l’entrebâillement de la cuisine de quoi se nourrir. Un pain rassis et dur reposait sur la table, une tranche d’emmental aussi. En marchant sur la fourchette, un cliquetis la désigne à l’occupante en passe de s’éveiller. La porte se referme avec un bruit de fracas. La souris est prise à ce piège qu’elle excellait pourtant à déjouer. La lutte est par trop inégale. La souris couine pour dire adieu, sous une semelle ultra-compensée, la bouche béante, les yeux exorbités de douleur. La souris ne dansera plus, c’était donc son heure.

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