
26/10/2024
Séance d’enregistrement de « Bien plus érotique » et « Sous la do**he » à Studio One avec Clement « Coxson » Dodd
Par Bruno Blum
Je préparais le numéro zéro de Nova Magazine, un spécial Bob Marley paru avec un CD cadeau. J’étais parti en Jamaïque assister au spectacle commémorant la mémoire de Bob Marley le jour de son cinquantenaire, le 6 février 1995. À l’affiche ce soir là sur le petit terrain de foot du 56 Hope Road, où Bob vécut ses dernières années (devenu depuis le musée Bob Marley) : The I Three, T***s and the Maytals, Ras Michael & The Sons of Negus et une ribambelle de vieilles gloires légendaires. Je me souviens que dans la foule un pickpocket m’a chourré mon appareil photo, un Rollei 50 avec lequel je bourlinguais depuis un concert des S*x Pistols en 1977. Je suis aussi allé à Studio One, véritable lieu de pèlerinage en Jamaïque.Studio One a été le premier et le plus important studio de Jamaïque. Celui où la plupart des grands noms du reggae - sauf Gregory Isaacs et Jimmy Cliff - ont enregistré leur premiers succès dès les années 60 : Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer, Burning Spear, Lee "Scratch" Perry, Ken Boothe, Dennis Brown, les Skatalites, T***s & The Maytals, John Holt, les Gladiators, Horace Andy, Sugar Minott, Alton Ellis, Culture, Lone Ranger, Dillinger, les Heptones, les Ethiopians, etc., etc…Le propriétaire des lieux, Clement Dodd dit Coxson alias Sir Coxsone, a été le principal moteur du ska, du rock steady et du reggae. Producteur pittoresque et sans trop de scrupules (une tradition jamaïcaine), réalisateur et ingénieur du son autodidacte il a toujours obtenu de ses artistes de co-signer (ou signer carrément) leurs morceaux et leurs arrangements, allant parfois jusqu'à s'approprier les bandes trop réussies de musiciens ayant loué son studio. Sa méthode donne des résultats artistiques fabuleux : engager les meilleurs musiciens de l'île, en ne leur payant que des cachets, mais en leur assurant du travail régulièrement pour qu'ils ne bronchent pas. Son âge d'or a commencé dans les années 50 avec une discothèque mobile et s'est prolongé jusqu'au début des années 80, quand il a ouvert un deuxième studio-magasin de disques à Brooklyn. Mais Studio One existait toujours au 13, Brentford road à Kingston et jusqu’à sa mort le 4 mai 2004 Coxson y enregistrait encore, selon les procédés immuables qui ont fait son succès. Enormément de chefs-d'œuvre du reggae sont sortis sur ses labels Studio One et Coxsone. Et au-delà de la technologie, voici la technique de production de Coxsone, telle qu'elle se répétait depuis près de 40 ans, telle qu'elle a été copiée par tous les studios du pays, dans l'esprit comme dans la pratique : telle que je l'ai vécue en 1995.
45 Tours
Arrivé un après-midi dans ce lieu mythique, à la lisière des mauvais quartiers -très dangereux - de Kingston ouest, je sonnai à la grille d'entrée qui donne sur le parking en terre battue. La boutique de disques dans la cour avait l'air fermée. La bâtisse en parpaings était imposante, peinte en gris. Elle avait l'air déserte et seule une enseigne discrète "Musik City" signalait la présence d'une activité que j'imaginais révolue. Un boiteux au visage difforme, monstrueux, passait par là, nous a repérés et fait demi-tour. Il avait la clé et ouvrit le portail. Buffalo Bill a garé sa voiture sur l'aire rafraîchie par l'ombre d'un arbre fruitier non dentifié, et je pénétrai dans l'antre, précédé par Quasimodo, qui semblait avoir des difficultés pour parler, ses canines dépassant horriblement de sa bouche sans incisives. Studio One. J’allais enfin pouvoir acheter les disques qui manquaient à ma collection, les perles des Skatalites, les albums de dub originaux, les 45 tours des Wailers, d'Ernest Ranglin...
King Stitt
Dans l'ombre à l'intérieur, surpris, j’ai immédiatement reconnu Coxson. Lui-même. Il était donc en Jamaïque ? Je l'ai interpelé. "Mister Coxson" ! Il m’a dévisagé, méfiant. Qui était ce touriste qui faisait intrusion dans son bureau, et qui le reconnaissait ? La soixantaine, il était en sandales, pantalon gris et débardeur blanc crade. Politesses. Je lui ai offert le numéro spécial de Best sur le reggae que j'avais réalisé un an plus tôt. Il y avait sa photo dedans, et mes discographies regorgeaient de Studio One. Il était content. Voyant dans le magazine (que je lui ai offert) que je m’y connaissais vu le nombre d’articles que j’avais signés, il m’a dit en rigolant : « Donc toi tu es le professeur du reggae ! Le docteur reggae ! Ha ! Ha ! » Ça a fait marrer le public qui observait attentivement ma rencontre avec le Berry Gordy de la Jamaïque. Ils ont rigolé aussi et des « Ya man ! ‘Im Doc Reggae ! Doc Reggae ! » respectueux ont fusé autour de nous dans les quintes de rire. Ça y est : j’avais mon surnom. Et je le tiens de la bouche de Coxson lui-même ! Il est resté depuis. Qui dit mieux ?« Stitt, amène-le dans les stocks à l'étage ! » Stitt ! Bien sûr ! Quasimodo, c'était le fameux King Stitt, le premier DJ couronné roi de la profession en Jamaïque à l'aube du ska, vers 1962 ! Le légendaire DJ du Sir Coxsone Downbeat sound system, l'inventeur du rap enregistré en personne ! Il n'avait pas DU TOUT de difficultés pour causer ! Il était toujours là et allait me fourguer au moins cinquante albums, en vinyle bien sûr : le disque compact n'existait pratiquement pas en Jamaïque en 1995. Des trésors, mais il m’a ruiné. C'est Coxson lui-même, assis derrière son bureau, qui a fait l'addition et encaissé les talbins. Stitt était son âme damnée, son homme à tout faire. Coxson l'entretenait. Il hantait l'endroit depuis toujours et habitait la maison à côté. Borgne, il louchait, ses yeux s'ouvraient mal et sa vue était très mauvaise. Son strabisme l'obligeait à regarder de biais. "Je suis né comme ça. Il faut que je vive avec", m'a-t-il confié six mois plus t**d.
L'audition
Pendant l'emballage des disques (payés comptant), un entretien avec Coxson (qui a savamment et fièrement fait lui-même le gros paquet "pour que ça ne s'abime pas dans l'avion, j’ai l’habitude") m'a appris que son studio était toujours très actif. Je lui ai révélé à tout hasard que le branché reggae que j’étais était en réalité un musicien, compositeur et chanteur. Et que j'aimerais beaucoup travailler avec lui, évidemment. Et lui tout de suite, a repris son réflexe d'audition : "On va voir ce que tu sais faire ! Tu as ta guitare ? » Moi : « non, je ne l’ai pas apportée de Paris. » « Si tu n’as pas ton instrument avec toi c’est que tu n’es pas un vrai musicien ! Ici, chaque musicien doit avoir son instrument. » Chance, Buffalo Bill était lui aussi guitariste et il avait sa sèche dans le coffre. Coxson m’a guidé au fond d'un couloir encombré d'objets des années 60, de disques poussiéreux aux pochettes kitsch, de bandes magnétiques. Stitt et les personnes présentes ont suivi - ambiance famille - et nous sommes arrivés dans une sorte de cuisine. Là, à côté de la porte des cagoinces, une porte donnait dans une immense salle, haute de plafond, couverte de dessins d'instruments dans un style pochette de disque de jazz années 50. Un temple. Un orgue Hammond, un piano à queue usé - mais juste - des orgues partout, une contrebasse cassée dans un coin, des magnétophones antiques entassés contre le mur, toute la panoplie des instruments légendaires des années 60 étaient là, intacts. En état. Studio One ! Deux types bricolaient un ampli dans un coin. Ils portaient des casquettes amerloques, me dévisageaient. Le premier, c'était Pablo. Pablove Black. Légendaire musicien barbu, pianiste, peut-être l’ami intime le plus proche de Bob Marley. Mais comme tout le monde ici, il jouait de tous les instruments. Même chose pour Morgan « Morgie » Vincent, le batteur. L’ingénieur du son, habillé comme un comptable, a rappliqué. Norma Dodd, la légitime de Coxson aussi. Ils se sont installés debout autour de moi. "Vas-y, chante ta meilleure chanson, on t'écoute" dit Coxson, l'air impatient. Maladroitement, j'ai attaqué une rythmique reggae. "Joue dans ton style, ne t'occupe pas du rythme, chante, man", m’a lancé Pablo. J’ai chanté « Bien plus érotique ». Coxson m’a coupé au bout de deux refrains : "Morceau suivant." Ils ont droit à mon " Dollar Reggae". Il m’a interrompu : "Morceau suivant". Je leur ai fait "Sous La Do**he". Coxson : "OK, on enregistre demain. Le premier et le troisième morceau. Le deuxième a trop d'accords, c’est trop compliqué. Viens vers onze heures." Et il a quitté la pièce aussi sec ! Je n'en revenais pas. J’étais juste venu acheter des disques ! J’ai sympathisé avec les deux musiciens à casquette. "On te prêtera une guitare électrique". Mais j’ai emprunté la Strat de Buffalo Bill offerte par son ami Ziggy. Elle avait appartenu à Bob Marley et j’ai d’ailleurs fini par la lui racheter.
Premier jet
Le lendemain, j’étais là, halluciné. J’allais enregistrer avec Coxson Dodd en personne à Studio One ! On ne me parlait plus comme à un touriste. Ils ont apprécié mes morceaux et le mot clé de la Jamaïque, "respect", était entré dans les faits : j’étais admis dans la famille temporairement mais sans réserves, car l'ambiance est primordiale pour sentir la musique, pour être à l’aise. Les bonnes ondes, la formule numéro un, la valeur sûre de Jamaïque. Rappelons qu'ici, on dit bonjour en s'entrechoquant les poings, le fameux « check » qui depuis a fait le tout du monde, en prononçant la formule « respect » d'un air pénétré. Coxson a montré son nez. Lancé quelques brefs ordres, et il est sorti du studio pour retourner dé****er avec ses vieux potes dans son bureau démantibulé. Morgie et Pablo étaient là. Il fallait que je chante ma première chanson, comme hier, à la sèche. Directement, sans prévenir, tandis que je chantais Morgie programmait un rythme très simple sur une boîte reliée à un vieil ampli. Cinq minutes plus t**d, c'était terminé : le rythme de base ne changerait plus. L'arrangement était déjà conçu. J'ai écrit la grille d’accords pour que Pablo la répète un peu sur son clavier, un vieux et petit synthé Yamaha bien réglé. Le temps qu'il assimile (deux minutes) et suggère de modifier un peu la structure et ajoute un refrain en anglais - ce que j'ai accepté de bon gré - un gros ours rasta est arrivé. C’était Earl "Bagga" Walker, fameux bassiste et guitariste historique de Studio One et d'ailleurs. Il a demande que je lui chante ma chanson. On lui a jouée, boîte, clavier et moi sur la Fender Stratocaster de Buffalo. Il a branché sa vieille Fender Precision et avant même d'avoir entendu tout le morceau, il piaffait pour enregistrer. Il avait trouvé l'idée. Les pistes de batterie étaient déjà enregistrées... à mon insu, là aussi dès le premier jet !
Capturer l'émotion
À la console, dans la cabine, Coxson n'était même pas présent, comme à son habitude. Il supervisait et n'apparaissait que de temps en temps, nous gratifiant de quelques commentaires techniques et de choix judicieux. Le reste du temps, il était dans son bureau à discuter avec ses vieux briscards chefs d'entreprise. C'est son fils Courtney Dodd, "Coxson Junior" qui était à la console. La table de mixage était réglée d'avance. Un réglage inamovible. Écoutez les premiers Heptones de 1971 ou le « Bobby Babylon » de Freddie Mc Gregor (1980), le son est presque le même. Le son Studio One. En 1995, idem. Les énormes enceintes en bois bricolés (un seul haut parleur colossal) datent des années 60. Tout était poussiéreux. La porte entre la cabine (où j’ai déniché de précieux disques originaux des années 1960 crades mais à vendre) du studio et la salle d’enregistrement grinçait affreusement et sans arrêt. J’imagine que pendant des décennies les mecs devaient faire gaffe à ne pas faire grincer la porte pendant les enregistrements ! Coxson, homme simple, un baptiste sans fioritures, avait même renaclé à acheter un lecteur de cassettes D.A.T. par avarice et ne s'y est mis, bien obligé, que pour pouvoir livrer des copies des masters de ses chefs-d'œuvre à Heartbeat, son (excellent) distributeur américain. Par la suite il a acquis pour son studio jamaïcain deux magnétophones à huit pistes numériques ADAT, qu'il couplait en formule seize pistes. La table de mixage était antédiluvienne. Mais quel son ! Et millésime 1970 s'il vous plaît. Les effets ? Une réverb formidable là où il faut. Mais c'était tout. Courtney et son père n'aimaient pas les dubs bourrés d'effets, de trucages à la Lee Perry, King Tubby ou Bunny Lee qui ont préfiguré la house, la techno. Ici, c'est l'arrangement basse-batterie, le rythme ou riddim, et les cuivres qui comptent. L'émotion, la voix, la composition, la musicalité, le talent pur. On fait de la maquette définitive. Le reste, c'est du superflu. Quand Bagga Walker a commencé à enregistrer, je n'arrivais pas à croire qu'il refusait de lire la grille un peu compliquée où figuraient les accords. Mais il enregistrait tous les jours depuis vingt-cinq ans et il connaît son job : quand il réalise que les accords sont réellement nombreux, (contrairement à la pratique locale) il a été ravi par ce défi et a demandé qu'on lui signale les changements d'accords au fur et à mesure qu'il enregistrait ! Pablo s'en est chargé. Ainsi, la prise de basse terminée, il n'a entendu qu'une seule fois le morceau jusqu'à la fin : pendant la prise elle-même. C’était un peu foireux par-ci par-là mais c’était en place et ça marchait bien. Résultat, l'émotion et l'inspiration étaient intactes. Feeling, concentration. En place, bien sûr. On a enchaîné avec « Sous La Do**he ». Le tempo lent perçu et capté lors de ma première interprétation spontanée faisait merveille. Si l'on m'avait écouté, on l'aurait accéléré. Mais ils avaient insisté pour "capturer l'émotion" en ricanant. La partie de basse de Bagga est magique. On a fait une rapide photo souvenir dans le célèbre studio pendant que Coxsone ("pas de photos") n'est pas là. Personne à ma connaissance n’a de photos prises à l’intérieur du studio à part moi et je m’y connais. Puis Bagga a disparu, non sans me montrer deux accords de guitare, une tradition en studio ici, où le savoir se transmet de manière orale entre deux séances. "C'est le grand Ernest Ranglin (lire Guitare Magazine spécial reggae, n°71 juillet août 1995), qu longtemps été directeur musical ici, qui m'a montré ces accords" ajouta-t-il, bienveillant. Et le bassiste de Black Uhuru fila à une autre affaire.
L'île Soul
Je n’étais pas dans le studio depuis une heure qu'on enregistrait déjà les claviers. Quelle différence avec les gros studios numériques de Paris où on fait le son de batterie pendant toute la matinée ! Où l'on se casse les oreilles et où l'on anesthésie le morceau par obsession de mise en place, de qualité technique. En 1989, j'avais enregistré à Kingston (LP et CD Bruno Blum, New Rose, Rose 201) avec Chris Meredith, bassiste de Ziggy Marley et ses musiciens et j'avais déjà été frappé par la vitesse d'exécution professionnelle qui contrastait avec l'ambiance bidonville générale. Méthode jazz : une prise. Mieux vaut être prêt et en plus, c'est économique.
« Quand une vibration est sur la bande, si tu l'effaces, elle n'est plus là » me dit un jour Wayne Hinds lors d'une autre séance.
« Il y a une mystique naturelle qui souffle à travers l'air », chantait Bob Marley dans « Natural Mystic ». « Si tu écoutes avec attention, tu l'entendras ».
L'île soul. L'île musicale. Pablo a torché les claviers de « Bien plus érotique » en une seule prise impeccable. Le son, équilibré, fruit donc d'une tradition artisanale maison, était brut mais fabuleux. Le son Studio One. Inimitable. Le morceau respire, la vibration est présente. Le groove. Le secret de la Jamaïque, le feeling mystérieux, impalpable, est là, sur ma chanson. Je ressentais une plénitude inconnue. Pablove Black a exécuté sa partie de clavier, là aussi en une prise, sur « Sous La Do**he ». Le très bon micro Neuman pour le chant m'attendait déjà, face à la vitre de la cabine, à sa place, d'où il n'avait pas bougé depuis deux générations. Il sert aussi pour les cuivres. Il n'y a qu'un micro, bon à tout faire quand il est bien placé. J’ai chanté moi aussi en une prise. Morgie et Pablo m'ont encouragé à chanter de façon douce, « à la Gregory Isaacs. C'est ton style ». Pablo me dirigeait, faisait des signes, des grands moulinets, plus doux, plus fort là. Ils ont même refusé de refaire une deuxième prise malgré un passage pas très juste. « Il faut garder cette émotion, c'est bon comme ça, it's no problem ». En écoutant ma prise de voix, je me suis rendu compte que Courtney était déjà en train de mixer. J'ai eu toutes les peines du monde à lui faire effacer un râclement de gorge sur une intro et quelques refrains de trop sur l'ad lib final. Il avait peur d'effacer un bout de cette fameuse première prise si précieuse. Pas de drop pour la voix, mon gars.
Parlons Affaires
Coxson est venu écouter. Il était content. Il m’a demandé « Es-tu satisfait ? Est-ce que le morceau te plaît comme ça ? »
Moi : « Oui mais enregistrer à Studio One sans ajouter de cuivres, c’est pas vraiment le son Studio One ». Il a grimacé sans rien dire. Il fallait parler affaires maintenant, et signer un contrat. Il voulait tout. Le management à vie, les éditions, signer les morceaux, la production, la propriété et le contrôle des titres, sinon, il effaçait ma voix et ne me donnait pas de copie du morceau ! La famille était là, et observait comment le Blanc allait faire face à l’inflexible patron. J’ai précisé : « Je ne peux pas te donner les éditions [les droits d’auteur des compositions] : je suis déjà sous contrat avec un éditeur, ce serait malhonnête ! » Il s’est gratté la tête mais insista quand même. De plus, j'ai écrit un des deux titres avec Véronique Duvelle à Paris. Il a obtenu de moi qu'elle accepte au téléphone (il a fallu que je paye la communication avec Ivry-Sur-Seine !) et que je signe le contrat d'éditions en son nom ! Ce qui a rendu le contrat nul. Mais ça je ne lui ai pas dit. Après une heure de palabres, j’ai promis de signer les photocopies que Stitt a été faire, mais une fois les morceaux achevés, mixés. Coxson : « Ce type c'est le frère de Chris Blackwell ! » dit-il en riant aux éclats devant ses potes face à ma résistance. Mais finalement : « toi et moi, Noir et Blanc, on va travailler ensemble. » Et de me serrer la main. Il a ajouté : « Tu es le premier Blanc que je produis !».Rendez-vous le lendemain matin à onze heures pour les cuivres. En arrivant ce jour là, je n'ai pas cru mes yeux en reconnaissant le vieux "Dizzy" Johnny Moore, trompettiste rasta virtuose, le fondateur des Skatalites, le prof de musique de tous les pros de l'île, qui m'attendait. "Je n'ai pas pu trouver de saxophoniste à temps" s'excusa Coxson. « Tommy [McCook] n’est pas dans l’île en ce moment ». « 'Faudra faire avec Dizzy Johnny ». Connaissant son style jazz, j’ai demandé à Dizzy d'improviser autour de ma voix pour meubler. Ravi que je lui demande ça, il s'est exécuté après avoir longuement répété sur la bande, campé devant le Neuman, un casque entortillé dans ses dreadlocks. Des touristes français de passage ont même filmé les répétitions discrètement et j’ai gardé ça sur une VHS quelque part dans mon bo**el. Un collectionneur a même retrouvé un extrait de cette scène sur YouTube je ne sais pas comment ! Dizzy a longuement et magnifiquement improvisé sur la fin (les refrains où j'avais fait effacer la voix en douce !) avec sa trompette bouchée, esprit Miles Davis mais couleur reggae. Le mix final, très propre, a été vite expédié. Quel souvenir.« Trop fouillis, la trompette », m'a-t-on dit dans une maison de disques parisienne bien connue. « Coxson ? C'est qui, ça ? dans une autre.
Bruno BLUM.
Paru (avant réécriture) dans Home Studio n°37, supplément à Keyboards Magazine n°92 d'octobre 1995
from the album Le Cœur à gauche, le fric à droite [album]