23/01/2023
La piste du microbiote dans la lutte contre l’obésité est encore à l’étude.
Article de CYRILLE VANLERBERGHE - Le Figaro du 22/01/2023
Certaines inégalités biologiques sont criantes. En mangeant exactement la même quantité de nourriture, certaines personnes vont prendre du poids, alors que d’autres ne vont pas gagner un gramme en plus. Pourquoi ? Des chercheurs danois et néerlandais proposent une réponse séduisante dans la r***e Microbiome : les personnes qui prennent le plus de poids semblent avoir un microbiote intestinal qui extrait plus d’énergie à partir des aliments ingérés. Un excès d’énergie qui est ensuite stocké par l’organisme sous forme de graisses. Sachant cela, suffirait-il d’ajuster la composition des milliers de milliards de microbes qui colonisent nos intestins pour faire mincir des personnes obèses ?
« Cette étude semble donner un signal intéressant entre composition du microbiote et prise de poids, mais il faut rester prudent car il ne s’agit que d’une étude observationnelle, qui ne peut montrer qu’une corrélation entre ces deux éléments, pas une preuve de causalité », met en garde François Leulier, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a enfin un résultat sur l’homme comparable à ce qui a été trouvé sur la souris il y a plusieurs années. On passe enfin d’un stade préclinique, sur l’animal, à un stade clinique, sur l’homme. »
« Les premiers travaux sur la souris étaient très enthousiasmants, et avaient nourri beaucoup d’espoir pour le microbiome comme approche thérapeutique contre l’obésité, mais on s’est depuis rendu compte que c’était bien plus complexe que ça quand on passait à l’homme », ajoute Geneviève Héry-Arnaud, bactériologue, responsable de l’axe Microbiota au sein de l’unité Inserm UMR1078 au CHU de Brest.
À partir de 2007, plusieurs études ont par exemple montré qu’en transplantant le microbiote d’un rongeur obèse à un rongeur mince, on arrivait à lui faire prendre du poids sans changer son régime alimentaire ni faire varier son activité physique. Et certaines de ces mêmes études montraient que les différents microbiotes des rongeurs affectaient directement la quantité d’énergie résiduelle contenue dans leurs selles. « Les souris obèses avaient une meilleure capacité à extraire l’énergie d’un régime gras et sucré, et produisaient donc des matières fécales pauvres en énergie », explique François Leulier.
C’est exactement ce même résultat que les chercheurs danois et néerlandais ont cherché à retrouver chez l’homme. Ils ont pour cela étudié 85 volontaires danois, hommes et femmes, tous adultes, en surpoids ou obèses. Des analyses de matière fécale ont permis de mesurer la quantité d’énergie résiduelle dans leurs selles et de séquencer la diversité des souches microbiennes présentes. Les volontaires ont ensuite été classés en trois groupes distincts, selon la configuration de leur microbiome.
« Ces trois grandes familles, appelées entérotypes, sont l’équivalent des groupes sanguins pour classer les principaux types de microbiotes », explique François Leulier. Et dans l’étude de la cohorte danoise, le groupe avec l’entérotype de type B avait à la fois les selles les plus pauvres en énergie et un poids corporel supérieur aux deux autres groupes. À l’inverse, le groupe de type-R avait des selles contenant le plus d’énergie, un microbiote plus diversifié et un poids moyen plus faible.
Malgré ce signal assez clair, qui semble indiquer une influence du microbiote sur la prise de poids, les experts interrogés restent prudents.
« L’analyse statistique réalisée n’est pas la plus pertinente, et surtout, l’écart en densité d’énergie dans les selles est très faible, de seulement quelques pour cents entre les deux groupes les plus différents », commente Sergueï Fetissov, professeur de physiologie à l’université de Rouen. « Les chercheurs ont retiré de leur analyse 28 personnes dont l’entérotype n’était pas très marqué, cela me paraît un peu arbitraire et met en doute la pertinence du résultat final », remarque pour sa part Geneviève Héry-Arnaud.
Pour le Pr Harry Sokol, gastro-entérologue spécialiste du microbiote à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, « la différence d’apport d’énergie observée est mineure, et j’ai du mal à croire que ça va être suffisant pour lutter contre l’obésité ».
Pour ce spécialiste, comme pour Sergueï Fetissov, la voie étudiée par les scientifiques danois et néerlandais ne semble pas être celle qui a le plus d’impact sur l’obésité. « Cette étude regarde la manière dont les bactéries elles-mêmes apportent de l’énergie à l’organisme, en se nourrissant des résidus alimentaires qui n’ont pas été digérés par les enzymes digestives humaines », précise le Pr Sokol. Mais cette contribution est mineure, car neuf dixième des bactéries intestinales se trouvent dans le colon, après l’intestin grêle où se déroule la majeure partie de la digestion.
Ces bactéries du colon n’ont accès qu’à des restes, dont les fibres alimentaires qui ne sont pas digérées par les enzymes. Le deuxième mécanisme par lequel le microbiote agit sur le métabolisme, c’est en influençant la manière dont les cellules humaines fonctionnent. « On sait que les bactéries de nos intestins produisent des petites molécules qui régulent notamment l’absorption des graisses.
Des pistes thérapeutiques sont développées à partir de cette approche, mais aucune n’a abouti à ce jour à un médicament qui ait fait ses preuves par un grand essai clinique », regrette Harry Sokol. Le microbiote joue clairement un rôle sur le métabolisme énergétique de nos organismes, mais il est prématuré de penser qu’il va permettre de régler le problème mondial de l’obésité d’un coup de baguette magique.