09/06/2020
Mon chien et moi, ép*sode 15...
EPISODE 15 : Chez Leroy-Machin.
Aujourd’hui, c’est aujourd’hui. Et c’est comme hier. Hier, Gustave m’a quitté. Aujourd’hui, il n’est pas encore revenu.
Comme indiqué sur sa lettre, je suis donc allé m’acheter une corde pour me pendre. Où acheter une telle chose ? Mais chez Leroy-Machin, bien sûr ! Chez Leroy-Machin, on trouve de tout : des vis et des boulons, des pelles et des râteaux, et même des cordes pour se pendre. Tout pour la maison, quoi !
Arrivé au magasin, je prends conseil auprès d’un jeune employé :
-Je cherche une corde pour me pendre. Vous avez ça ?
Lui, sans se démonter (normal, puisqu’il travaille dans un magasin de bricolage) :
-Mais bien sûr ! Quel est votre poids ?
-Environ 80 kilos, à jeun. Pourquoi ?
-A chaque poids suffit sa corde, répond doctement l’employé. Suivez-moi.
Il m’entraine dans un rayon entièrement dévolu aux cordes. C’est un peu comme un rayon de mercerie, sauf que les bobines sont bien plus grosses. Il y en a de toutes les couleurs. Oh, les belles cordes ! Les belles cravates ! Je serai très élégant, quand on me détachera du plafond.
-Vous préférez une matière naturelle ou du synthétique ? me demande l’employé.
D’instinct, ma fibre écologique me pousse à choisir la matière naturelle : une bonne vieille corde bien de chez nous, solide, tressée à la main, dans le respect de la nature et des traditions. Seul bémol : je ne veux pas qu’elle me gratte autour du cou.
-Dans ce cas, poursuit l’employé, je vous conseille plutôt une corde en nylon. Si vous êtes allergique, c’est la meilleure solution. Et c’est bien plus résistant. Ce serait dommage de rater votre su***de, non ?
Et moi, de répondre, catégorique :
-Quand on a raté sa vie, le mieux est de réussir son su***de. Sinon, ça fait deux échecs ; c’est beaucoup pour un seul homme.
-Exactement ! se réjouit l’employé. J’allais vous dire la même chose. Tenez, prenez celle-ci. Deux mètres suffiront. En plus, vous tombez bien, ce modèle est en promotion cette semaine !
C’est un beau modèle en nylon vert. Le vert est la couleur de l’espoir ; ça tombe bien. Si Gustave était là, je pense qu’il serait content aussi.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande l’employé. Vous avez l’intention de rénover votre maison, de faire des travaux ?
-Pas avant de me pendre, non. Après, peut-être…
-N’hésitez pas à revenir me voir. Et n’oubliez pas de garder votre ticket de caisse, au cas où la corde ne vous conviendrait pas.
Tant de sollicitude m’impressionne. Chez Leroy-Machin, le client est roi et j’en suis ravi. Tiens, si ça ne tenait qu’à moi, j’achèterais bien une deuxième corde, mais je ne vois pas trop ce que je pourrais en faire : il est rare qu’on se pende deux fois de suite.
J’arrive à la caisse. La caissière fait biper mon article avec son détecteur à infra-rouge. Je passe ma carte sur le « sans contact ». Echec. Je recommence. Echec encore ! La caissière m’invite à passer en mode manuel, ce qui n’est guère très prudent en ces premiers jours de déconfinement. Mais bon, je suis juste venu acheter une corde pour me pendre, hein ?
Décidément, je n’ai pas de chance : carte refusée. La caissière me demande si j’ai un autre moyen de paiement. Je lui dis que non. On commence à s’impatienter dans la file d’attente. Là, je me sens désorienté ; je ne sais plus trop quoi faire : je ne vais quand même pas remettre dans les rayons la corde pour me pendre, d’autant qu’elle est de bonne qualité !
Soudain, une voix féminine m’interpelle. Elle est douce, comme découpée dans un carré de soie. C’est Hélène, la femme au dalmatien :
-Je peux vous dépanner, dit-elle.
-Oh, ça me gêne…
-Juste pour une corde : je pense que vous n’allez pas me ruiner !
Et elle paye. Elle paye pour moi. Elle paye la corde pour me pendre.