Chroniques du confinement par Pascal Hérault

Chroniques du confinement par Pascal Hérault C'est une sorte de journal de bord axé à la fois sur l'actualité et la philosophie.
(1)

Les chroniques du confinement expriment au jour le jour mon ressenti et mes réflexions face au confinement généralisé pour faire reculer l'épidémie du Covid-19.

06/10/2020

L’Appel de la steppe réunit des poèmes dont la Mongolie est le centre nomade, empire du vent et des chevaux, des loups et des hommes libres. Tour à tour lyrique et épique, L’Appel de la steppe célèbre à la fois une façon de vivre et d’écrire célébrant l’union de la terre et du cie...

Mon chien et moi, ép*sode 15...
09/06/2020

Mon chien et moi, ép*sode 15...

EPISODE 15 : Chez Leroy-Machin.
Aujourd’hui, c’est aujourd’hui. Et c’est comme hier. Hier, Gustave m’a quitté. Aujourd’hui, il n’est pas encore revenu.
Comme indiqué sur sa lettre, je suis donc allé m’acheter une corde pour me pendre. Où acheter une telle chose ? Mais chez Leroy-Machin, bien sûr ! Chez Leroy-Machin, on trouve de tout : des vis et des boulons, des pelles et des râteaux, et même des cordes pour se pendre. Tout pour la maison, quoi !
Arrivé au magasin, je prends conseil auprès d’un jeune employé :
-Je cherche une corde pour me pendre. Vous avez ça ?
Lui, sans se démonter (normal, puisqu’il travaille dans un magasin de bricolage) :
-Mais bien sûr ! Quel est votre poids ?
-Environ 80 kilos, à jeun. Pourquoi ?
-A chaque poids suffit sa corde, répond doctement l’employé. Suivez-moi.
Il m’entraine dans un rayon entièrement dévolu aux cordes. C’est un peu comme un rayon de mercerie, sauf que les bobines sont bien plus grosses. Il y en a de toutes les couleurs. Oh, les belles cordes ! Les belles cravates ! Je serai très élégant, quand on me détachera du plafond.
-Vous préférez une matière naturelle ou du synthétique ? me demande l’employé.
D’instinct, ma fibre écologique me pousse à choisir la matière naturelle : une bonne vieille corde bien de chez nous, solide, tressée à la main, dans le respect de la nature et des traditions. Seul bémol : je ne veux pas qu’elle me gratte autour du cou.
-Dans ce cas, poursuit l’employé, je vous conseille plutôt une corde en nylon. Si vous êtes allergique, c’est la meilleure solution. Et c’est bien plus résistant. Ce serait dommage de rater votre su***de, non ?
Et moi, de répondre, catégorique :
-Quand on a raté sa vie, le mieux est de réussir son su***de. Sinon, ça fait deux échecs ; c’est beaucoup pour un seul homme.
-Exactement ! se réjouit l’employé. J’allais vous dire la même chose. Tenez, prenez celle-ci. Deux mètres suffiront. En plus, vous tombez bien, ce modèle est en promotion cette semaine !
C’est un beau modèle en nylon vert. Le vert est la couleur de l’espoir ; ça tombe bien. Si Gustave était là, je pense qu’il serait content aussi.
-Vous avez besoin d’autre chose ? me demande l’employé. Vous avez l’intention de rénover votre maison, de faire des travaux ?
-Pas avant de me pendre, non. Après, peut-être…
-N’hésitez pas à revenir me voir. Et n’oubliez pas de garder votre ticket de caisse, au cas où la corde ne vous conviendrait pas.
Tant de sollicitude m’impressionne. Chez Leroy-Machin, le client est roi et j’en suis ravi. Tiens, si ça ne tenait qu’à moi, j’achèterais bien une deuxième corde, mais je ne vois pas trop ce que je pourrais en faire : il est rare qu’on se pende deux fois de suite.
J’arrive à la caisse. La caissière fait biper mon article avec son détecteur à infra-rouge. Je passe ma carte sur le « sans contact ». Echec. Je recommence. Echec encore ! La caissière m’invite à passer en mode manuel, ce qui n’est guère très prudent en ces premiers jours de déconfinement. Mais bon, je suis juste venu acheter une corde pour me pendre, hein ?
Décidément, je n’ai pas de chance : carte refusée. La caissière me demande si j’ai un autre moyen de paiement. Je lui dis que non. On commence à s’impatienter dans la file d’attente. Là, je me sens désorienté ; je ne sais plus trop quoi faire : je ne vais quand même pas remettre dans les rayons la corde pour me pendre, d’autant qu’elle est de bonne qualité !
Soudain, une voix féminine m’interpelle. Elle est douce, comme découpée dans un carré de soie. C’est Hélène, la femme au dalmatien :
-Je peux vous dépanner, dit-elle.
-Oh, ça me gêne…
-Juste pour une corde : je pense que vous n’allez pas me ruiner !
Et elle paye. Elle paye pour moi. Elle paye la corde pour me pendre.

CHRONIQUE DU (DE)CONFINEMENT (57). Par Pascal Hérault.Premier jour du déconfinement. Je sors. Vent glacial. Temps exécra...
11/05/2020

CHRONIQUE DU (DE)CONFINEMENT (57). Par Pascal Hérault.
Premier jour du déconfinement. Je sors. Vent glacial. Temps exécrable. Si j’avais su, je serais resté chez moi. Passant devant l’église, je vois stationner un corbillard tout propre. Les Pompes funèbres ont donc repris du service. C’est une bonne nouvelle pour le monde du travail. De toute façon, la mort n’est jamais en grève ; c’est une travailleuse acharnée qui ne dort jamais. Sur le parvis, les gens attendent qu’on sorte le cercueil, tous masqués. Impression étrange. J’hésite entre le recueillement et le fou-rire. Je me dis que le mort doit puer bien fort pour que l’atmosphère soit irrespirable à ce point. Et je tourne les talons en m’esclaffant tout seul. Décidément, devant les choses graves, j’ai du mal à rester sérieux. C’est un réflexe de défense chez moi. Sinon, je pleurerais comme une Madeleine à chaque coin de rue. Je serais obligé de me confiner chez moi pour le restant de mes jours, loin du tragique de la vie.
Plus loin, je constate que tous les commerces sont ouverts, à l’exception des restaurants et des bars : pour la fête, il faudra repasser, mais alors très t**d, dans trois semaines peut-être. J’en profite quand même pour aller saluer C. : il est ouvert sans être ouvert ; il me sert un café dans un gobelet en carton et j’apprécie ce petit plaisir de me tenir au comptoir en papotant avec le patron. C. ne sait toujours pas quand il ouvrira « vraiment » ; les serveuses sont au chômage partiel, mais ça ne va pas durer. C., qui n’est pas loin de la retraite, a dû emprunter pour les mois à venir. On se tutoie. On est un peu copains. J’aime cette camaraderie de bistrot : sa maison est un peu la mienne ; j’y ai tant de souvenirs et j’espère qu’il y en aura d’autres.
A nouveau dans la rue. Tout le monde avance masqués, sauf les chiens. Derrière sa vitrine bien éclairée, le bijoutier m’envoie un petit salut amical, façon de dire : « Vous voyez, je suis revenu. Et content de l’être. Si une montre vous intéresse, je vous ferai un prix. Ah oui, désolé. Toutes les montres sont fabriquées en Chine. Mais l’heure est la même n’importe où, n’est-ce pas ? » Enfin, c’est moi qui invente ; c’est plus fort que moi : il faut que je mette des mots sur ce que je vois, sinon je m’ennuie vite. Au tabac-journaux, j’achète la même chose que d’habitude : un paquet de Camel, et je me souviens de l’époque où un chameau était imprimé dessus. En 55 jours de confinement, j’aurais pu trouver le temps d’arrêter de fumer, mais non. J’en suis encore à confondre addiction et plaisir. Je suis resté gamin.
Enfin, je file chez V. Dans la cour de l’immeuble, sur un balcon, j’aperçois un gros chat gris qui somnole sur un tabouret rembo**ré. Sa queue se balance mollement. Il a la sérénité d’un roi installé sur son trône. Rien ne le trouble, pas même le vent. Il règne sur un empire qu’il a défini lui-même (géographie, mœurs, etc.) et s’y tient avec délectation. J’envie son indifférence et son égoïsme. Un tel amoralisme est digne du plus grand philosophe.
Une fois chez V., nous pestons contre le temps exécrable. Nous voulons bien travailler, mais à condition qu’il fasse beau. Eh oui, nous sommes hédonistes. Si nous le pouvions, je crois que nous nous transformerions volontiers en chats. Notre empire aurait pour lieux sacrés le radiateur, la pelouse, les arbres pas trop hauts où il fait bon croquer les oiseaux. Et avec ça, dès la nuit tombée, toute la ville à nous pour y roder en toute liberté, loin de ces humains « tracassieux » et déguisés comme des vétérinaires allant au bloc.
Plus t**d, allumant la télévision, je tombe sur un reportage du journal de TF1. On y parle de la reprise des commerces, et particulièrement des coiffeurs. Le coiffeur, j’y vais demain. Je tends l’oreille. Et là, le commentateur, pris sans doute d’une bouffée de lyrisme capillaire, clôt son reportage par cette phrase : « Retrouver le coiffeur est une délivrance. »
Une délivrance !
Trois jours plus tôt, on célébrait le 8 mai 45. Visiblement, nous avons changé d’époque.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (56). Par Pascal Hérault.Je le vois tous les jours, quand je passe devant la banque. Il est tou...
11/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (56). Par Pascal Hérault.
Je le vois tous les jours, quand je passe devant la banque. Il est toujours propre, correctement vêtu et sa barbe bien taillée. Il a la peau mate d’un Espagnol ou d’un Portugais. Il pourrait s’appeler Pablo ou Marcello. On se salue du bout des yeux, quand on se croise. Il ne parle jamais. Il est toujours seul. Parfois, je le vois fumer un bout de cigarillo sur le trottoir ou boire dans une bouteille d’eau en plastique. Pas d’alcool. Ou s’il boit, il le cache bien. Ses affaires personnelles ? Je n’en vois pas. Ses vêtements sont peut-être tout ce qu’il possède.
Quand la banque est fermée, il dort dans le hall éclairé, à côté des distributeurs de billets. Il dort sur un carton, avec tous ses vêtements, mais sans ses chaussures. Il n’a pas oublié que, lorsqu’on se met au lit, on ôte ses chaussures pour ne pas souiller les draps. Il n’a pas de draps ni de couverture, mais il sait dormir dignement. Le matin, il replie son carton et le range derrière un poste électrique situé tout près. Ensuite, il s’en va je-ne-sais-où, boire un café peut-être, puis revient de temps à autre devant la banque sans jamais demander de l’argent à quiconque. Il n’est pas de ceux qui font la manche et qui vous insultent si vous ne leur donnez rien. Lui, c’est un taiseux. Ses yeux bleutés aiment regarder au loin, plus loin que la rue où il se tient, là où il n’ira jamais.
Un soir, un homme qui venait prendre de l’argent m’a interpellé. Il trouvait intolérable qu’un type hante comme ça le hall de la banque. Que faisait la police ? Il faudrait bien le déloger ; ça ne pouvait pas durer. Et moi de lui répondre : « Vous avez retiré de l’argent. Alors, à quoi bon brailler ? Vous, au moins, vous avez une carte bancaire ! » L’homme a continué de baragouiner, mais je ne l’écoutais plus ; j’étais déjà parti. Quand je suis repassé une heure après, mon SDF inconnu dormait sur son bout de carton comme d’habitude. Il n’avait même pas participé à l’échange que j’avais eu avec le client dans la rue.
Trois jours plus t**d, on entrait en confinement. Les hôpitaux étaient déjà débordés. Les rues étaient vides matin et soir comme pendant un couvre-feu. La banque était fermée, mais pas le hall, avec ses portes automatiques ouvrant sur les distributeurs de billets. Et mon homme était toujours là à certaines heures, particulièrement le soir. L’épidémie ne paraissait pas l’inquiéter plus que ça. Le jour, il déambulait dans la ville ou trainait sur un banc. Le soir, il retrouvait son bout de carton et continuait d’enlever ses chaussures. Au plus fort de la crise, il était encore là, à fumer et à rêvasser devant le hall, tandis qu’ailleurs on s’empressait à chercher des masques introuvables.
Lui, il n’a toujours pas de masque. On se salue encore du bout des yeux, moins par indifférence que par respect. Avec le temps, il a fini par m’intimider. Comment fait-il pour rester aussi digne dans un monde qui semble l’être de moins en moins ? Comment fait-il pour vivre dans le silence, alors que tant de gens bavardent pour ne rien dire ? Non, il n’est pas mon alter-égo ; je ne connais même pas son nom ni son histoire. Je n’ai pas envie non plus de me montrer compassionnel à son égard : ce serait lui faire injure. Je préfère le traiter en égal. Et tant p*s s’il n’a pas d’argent, tant p*s s’il est à la rue. Ce pourrait être moi, finalement. Et moi, si j’étais comme lui, je n’aimerais pas qu’on me traite comme une victime ou un esclave. J’aimerais qu’on me dise bonjour et qu’on me laisse tranquille, du moment que j’ai un bout de carton et de quoi fumer pour la journée.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (55). Par Pascal Hérault.Le temps est gris et pluvieux comme en automne, et les fleurs épanouie...
10/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (55). Par Pascal Hérault.
Le temps est gris et pluvieux comme en automne, et les fleurs épanouies sont gorgées d’eau. Les rosiers ploient sous le poids des gouttes comme des petits nageurs épuisés. Cependant, ils tiennent bon ; l’eau alimentera bientôt leur sève qui fera jaillir de gros boutons.
Les escargots sont de sortie. On marche sur des œufs. Mais pour un escargot écrasé, combien sont en embuscade sous le muguet ? Le long des plates-bandes, noires et luisantes comme du réglisse, se prélassent les limaces.
Les mouches et les abeilles, frileuses sans doute, sont absentes. Seule un bourdon, muni de sa trompe, essaye de faire son miel en pompant une goutte d’eau sur un pétale de rose. Son ventre de velours lui fait un petit manteau de pluie.
Un coucou chante, solitaire, heureux d’avoir piqué le nid d’un autre. Un gros pigeon ramier fait entendre ses battements d’ailes dans le cerisier alourdi de pluie. Les cerises ont le vert tendre des petits pois.
Le seringat, qui se déploie de jour en jour, chante sous la pluie le parfum enivrant de ses fleurs sucrées. Leur blanc crémeux éblouit dans la grisaille du jour.
Les iris penchent comme des échassiers immobiles. Leurs pétales délicats et diaphanes sont froissés comme du papier de soie, mais leurs cœurs restent bien ouverts, saluant de leurs bouches mutiques la lumière pourtant faible. Au centre, une étoile jaune à trois branches parcourues de veinules si fines qu’on croirait voir de très près un réseau sanguin, dont le sang serait changé en eau de pluie.
Plus loin, au fond du jardin, tout est en bataille. L’oseille domine les herbes folles de ses grosses feuilles, presque des palmes. Le chiendent et le lierre continuent leur voyage de lianes là où bon leur semble, contournant les obstacles ou s’appuyant dessus pour s’épanouir davantage. Quelques pierres sont descellées, offrant une grotte miniature aux insectes. Les perce-oreilles, eux, préfèrent se rassembler sous les pierres et mener une vie communautaire un brin anarchique où les combats ne sont pas rares.
Un volet grince dans le vent. L’air sent l’herbe fraîche et la vieille cheminée. Il est tôt encore. On pourrait croire cependant qu’il est cinq heures du soir. La pluie reprend, dense et drue. Que faire, sinon se confiner encore ?

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (54). Par Pascal Hérault.Je passe dans la rue ; il n’est pas loin de midi. Je la vois qui s’éme...
09/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (54). Par Pascal Hérault.
Je passe dans la rue ; il n’est pas loin de midi. Je la vois qui s’émerveille devant les rosiers d’un voisin. Elle m’interpelle : « Vous avez vu ? » Oui. Les rosiers sont magnifiques, abricot velouté, avec un parfum citronné. Je m’émerveille aussi et je lui dis : « Vos roses aussi sont belles. Parfois, je m’arrête pour les sentir ou je les prends en photo. » Son visage un peu sévère s’illumine. Elle m’invite dans son jardin pour me montrer ses fleurs.
On passe tout en r***e : les rosiers, bien sûr, mais aussi les pivoines blanches et rouges, les arums, les clématites, et toutes sortes de plantes vivaces qu’elle entretient avec soin. Elle me montre aussi comment elle récupère l’eau de pluie, grâce à une installation confectionnée par son vieux mari qui est en train de bricoler dans le garage. Elle me dit : « Vous savez, je n’ai pas loin de 80 ans, mais je m’occupe de mon jardin tous les jours. »
Avant, comme son mari, elle était dans l’agriculture. Non, elle et lui n’ont pas voulu vivre en appartement au moment de la retraite. « J’adore voir les choses pousser, me dit-elle. C’est plus fort que moi. » Elle m’explique pourquoi elle a planté beaucoup de plantes vivaces dans son jardin : « Si je meurs avant mon mari, il n’aura pas trop à s’en occuper. Les plantes, ça dort, puis ça revit à la saison suivante. »
Elle est très contente de me montrer tout ça. Ce jardin, c’est son palais, son royaume ; l’idée que, même si nous mourons, la vie sera toujours là, cherchant la lumière du ciel et s’épanouissant dans un froissé de pivoines blanches et onctueuses comme une crème Chantilly.
Un moment, elle se penche, me montrant de la bourrache : « Les fleurs sont jolies, n’est-ce pas ? J’en mets dans mes salades. On peut les manger. » Puis, sans même que je lui demande, elle arrache un plant et me le donne : « Vous le mettrez dans votre jardin. Pensez à bien l’arroser quand même. » Je le prends. Je suis un peu intimidé avec ce plant dans les mains. Déjà, je me dis : « On te l’offre. Fais-en sorte qu’il continue de vivre ! » Me voilà investi d’une lourde responsabilité, moi qui ne faisais que passer dans la rue.
Nous parlons encore un peu. Le confinement ? Oh, rien de spécial. Déjà qu’elle ne sort pas beaucoup… De toute façon, elle ne manque de rien chez elle, à part le pain et le journal qu’il faut acheter le matin. Porter un masque ? Bien sûr, quand il faut aller au supermarché. Son visage se teinte d’une certaine ironie ; malgré son air sévère, je la sens un peu facétieuse : « Mon mari et moi, on a travaillé la terre toute notre vie. Le Covid ? Hum, ça passera comme le reste. Moi, je n’ai pas peur de mourir. »
Je rentre chez moi avec mon plant de bourrache. Et je le replante tout de suite. J’ai trop peur que la vie se retire de lui, si je le laisse trainer. Puis je l’arrose et je me dis que j’ai fait une belle rencontre aujourd’hui. « Il faut cultiver son jardin, écrivait Voltaire. » J’ignore si ma voisine a lu Voltaire, mais ce n’est pas important : son jardin vaut bien un livre et il lui survivra.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (53). Par Pascal Hérault.« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. » C’est le titre d’une ...
08/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (53). Par Pascal Hérault.
« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. » C’est le titre d’une pièce de Musset écrite en 1845. Dans cette pièce courte, qui met en scène un comte et une marquise, on badine, on tergiverse, on se prend un peu les pieds dans le tap*s, puis l’amour finit par triompher. La porte se ferme. Le rideau tombe. Les amants peuvent s’ouvrir enfin à ce qui les tenaillait, avec notre complicité, mais loin de notre regard. Heureux amants ! dirions-nous. Une fois les masques tombés, il ne reste plus qu’à s’embrasser. Et quand on s’embrasse, on n’a plus à parler, ce qui fait que la décision est prise et qu’on n’est plus dans l’ordre sinueux du discours, lequel peut être un masque lui aussi. Un ba**er, c’est cela : la fin d’une phrase ; le début d’une histoire. Mais pour y parvenir, il est bon d’ouvrir la porte, mais pas trop vite, pas comme un voleur empressé d’empocher le magot, sinon on risque une fin de non-recevoir, une porte fermée justement. Les mots, même s’ils sont trompeurs, peuvent servir à cela. Ils ouvrent des portes, petites ou grandes ; ils débouchent dans de belles salles de bal illuminées ou sur des cagibis poussiéreux où pousse le malheur.
Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée… En ces temps de confinement, la phrase prend un relief singulier : j’ai l’impression que, enfermés chez nous, nous sommes à la fois le comte et la marquise, celui qui parle et celui qui attend, tout cela réuni dans la même personne. Sans se limiter à l’amour, on peut dire que nous faisons aussi cela en temps ordinaire et sur toutes sortes de sujets. Nous tergiversons sur ceci et cela. Nous pesons le pour, le contre, le contre du pour et le pour du contre. Il n’y a que dans les films d’action que l’on passe à l’action : là, on ne tergiverse plus, on ouvre les portes, et bruyamment, et on flingue ! Mais nous, nous sommes très loin de tout ça : nous ne jouons pas dans un film ; nous jouons notre vie de tous les jours en nous demandant parfois si nous ne nous sommes pas trompés de rôle ou en espérant que le voisin l’endossera à notre place.
Qu’une porte soit ouverte…
Celle du voisin, tiens. Comment est-ce chez lui ? Est-ce que sa femme est jolie ? Oh oui, il semble bien… Elle aussi est confinée. Elle s’ennuie. Son mari la délaisse. Sa vie est une porte fermée. Parfois, elle aimerait bien se tenir dans l’encoignure, apercevoir quelqu’un, imaginer ceci ou cela, vivre une aventure…
Qu’une porte soit fermée…
« Voyons, dirait le mari, ne laissons pas entrer n’importe qui chez nous. En cette période d’épidémie, il faut faire attention. As-tu songé à te laver les mains ? As-tu désinfecté la poignée de porte, quand le facteur est venu ? As-tu mis ton masque pour aller faire les courses ? On n’est jamais trop prudent. Un malheur est si vite arrivé. »
Et elle, de lui répondre, mais en pensée :
« C’est toi, le malheur ! C’est toi qui me tiens enfermé dans l’amour de ton confort. Je suis ta femme, ton canapé, ton grille-pain, ta p**e et ton souffre-douleur. Je suis ta joie de vivre et la peur de te quitter. Tes yeux sont morts et fermés comme la porte de cette maison. »
Et elle encore d’ajouter, à voix haute cette fois-ci :
« A propos de masques, j’ai trouvé celui-là. J’espère qu’il te plaira… »
Elle le sort d’un sac. C’est un beau masque, assurément, cousu par une petite main qui s’y entend en matière de couture. Elle en couvre le bas de son visage. Il s’exclame : « Oh ! Comme c’est original ! » Le masque est parfait : il reproduit un beau sourire. On pourrait le croire vrai, s’il n’était qu’en tissu.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (52). Par Pascal Hérault.Avachi sur le canapé, les yeux mi-clos, je sens mon chien me pousser d...
07/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (52). Par Pascal Hérault.
Avachi sur le canapé, les yeux mi-clos, je sens mon chien me pousser du bout de son museau.
-Hé, mon ami, tu dors encore ?
-Je ne dors pas. Je fais la sieste.
-Pfft ! Mais c’est la troisième fois aujourd’hui ! Allez, hop ! On sort.
-Pas envie. Laisse-moi.
Je ferme les yeux. Le chien me pousse encore et, cette fois, met ses deux pattes avant sur ma poitrine. Son haleine me fouette le visage. Je me redresse, un brin écœuré :
-Ce que tu peux être pénible !
-C’est normal. Je suis un chien. Tous les chiens sont pénibles, quand ils ont envie de sortir. Et je te préviens : je ne te lâcherai pas !
-Va chercher la laisse.
-Tout de suite !
Il revient, la laisse dans sa gu**le. Il est mignon comme ça. Je me demande s’il ne va pas me la passer autour du cou ; il en serait capable. Je l’attache, mais mollement. J’ai l’impression que c’est moi qu’on va trainer dehors.
Nous passons par le jardin, et là… Stupeur ! Enfer et damnation ! Mon chien a encore fait des trous. Je ne suis vraiment pas content. Je lui demande des explications. Il me répond, philosophe :
-Il faut bien s’occuper à quelque-chose. Depuis le début du confinement, on n’est pas allé au-delà du quartier. Donc, je creuse.
-En général, quand on creuse, c’est pour enterrer un objet ou planter un arbuste. Toi, tu creuses et…
-Je creuse, oui. C’est tout. Le verbe se suffit à lui-même.
-Mais qu’est-ce que tu cherches à la fin ?
Il réfléchit un instant, puis :
-En fait, je cherche à… creuser. Voilà.
-Mais tu as vu dans quel état tu as mis la pelouse ?
-Non. Quand je creuse, je ne vois rien. C’est le but justement. Plus je creuse, moins je vois. Ma truffe se grise de la bonne odeur de la terre. Ah, quel parfum ! Tu devrais essayer, je t’assure, c’est revigorant. Allez, vas-y, ne te gêne pas pour moi…
-Je crois surtout que tu te moques de moi. Tu es en train de détruire mon jardin et je n’aime pas ça.
-Ton jardin ! Si au moins tu l’entretenais… Pfft ! Tu préfères faire la sieste, oui. Un trou de plus ou de moins, ça ne va pas changer grand-chose. En tout cas, moi, je ne suis pas comme toi : je m’occupe !
-Creuser des trous, tu parles d’une occupation !
-Tu te crois mieux, à écrire dans ton coin des trucs que je ne peux même pas lire ? Toi aussi, à ta façon, tu creuses.
-Je creuse des idées, nuance. J’avance, mine de rien.
-Tu avances vers quoi ?
Bonne question. Mon chien est doué pour poser des questions auxquelles je ne sais pas répondre. Je réplique quand même :
-J’avance vers la fin du confinement. Je fais passer le temps.
-C’est bien ce que je disais, rétorque aussitôt mon chien. Tu fais comme moi. Tu creuses. Et quand le confinement sera fini, tu feras quoi ? Des trous ?
Il rit. Il pouffe. Il s’esclaffe. Grrr ! Je vais finir par le mordre, s’il continue…
-Ça suffit ! je crie. A présent, on va se promener…
Je le tire par la laisse. Il résiste. Je le tire encore en geignant. Ses griffes râpent le sol. Je manque de tomber.
-Puisque c’est comme ça, je hurle, il n’y aura pas de promenade !
Et mon chien de répondre :
-Pas grave ! J’ai de quoi m’occuper. Je continuerai de creuser.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (51). Par Pascal Hérault.Hier soir, quelqu’un m’a suggéré d’écrire sur le bleu lavande. J’ai di...
06/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (51). Par Pascal Hérault.
Hier soir, quelqu’un m’a suggéré d’écrire sur le bleu lavande. J’ai dit oui tout de suite, sans réfléchir, bien que le rouge soit ma couleur préférée. De toute façon, toutes les couleurs sont belles et leur association les rend encore plus dynamiques. Certaines sont plus connotées que d’autres. Ainsi, le bleu, qui nous fait penser au ciel et à tous ses avatars mystiques, couleur verticale, appelle aussi l’horizontalité de la mer.
Mais le bleu lavande ?
Par son nom, le bleu lavande associe instantanément la couleur à un parfum, celui des fleurs qu’on fait sécher et qu’on dispose dans des petits sacs entre les piles de linge. Lavande venant du verbe « laver », c’est la couleur du propre et des draps frais où on se glisse le soir avec l’assurance de passer une bonne nuit. Ainsi, les rêves deviennent doux et clairs, avec cette fraîcheur rappelant celle de la source cheminant à travers les pierres et la mousse. Tout y est propre, lavé à grande eau, et le sommeil, loin d’être une petite mort, devient une promesse d’aube et de tranquillité. On se réveille plus t**d dans un paysage provençal, une chambre ouverte sur un jardin où foisonnent les fleurs et les oiseaux, avec au fond, comme dans un tableau de Cézanne, la masse agile et bleutée de la montagne Sainte-Victoire.
Dans la pièce d’à-côté, une femme achève de se sécher après le bain, laissant deviner dans l’encoignure de la porte les formes veloutées de ses hanches qu’on serrera volontiers contre soi quand le moment sera venu. L’odeur du savon mêlé à la lavande, le clair-obscur de la pièce, le silence des gestes sur la peau mouillée, tout cela concourt à faire de cette scène éphémère une épiphanie du désir. Ce qui est beau est bleu. Ce qui sent bon est bleu aussi. Bleu lavande. Bleu lavé. Bleu de tous les bleus dévolus à la beauté du corps, à la tendresse du matin.
Plus t**d, sur les chemins pierreux, il y aura encore de la lavande, de celle qu’on cueille comme ça pour s’y frotter les mains. Les pierres, les fleurs : l’aspérité du sol sec, la douceur aérienne des végétaux. Et toujours le bleu du ciel comme un grand drap tendu devant les yeux et qui, malgré sa dureté solaire, lave à sa façon nos yeux encombrés de soucis. Avec ça, des bruits de cigales, des bourdonnements d’abeilles, des fuites de lézards sur les pierres chauffées à blanc. On sera bien. Et, comme dans le tableau de Poussin où posent des bergers aux corps juvéniles, on pourra s’écrier : « Et in Arcadia ego » ! On touchera là un paradis qui, loin d’être un arrière-monde évanescent, sera le monde lui-même dans sa beauté minérale et végétale.
Le soir, revenu de la promenade, on se grisera encore des parfums du jardin. A quoi bon rentrer ? De toute façon, la maison restera ouverte et la chambre embaumera, fraîche comme les draps lavés de lavande. Il y a aura aussi des odeurs de vieux bois, de meubles vernissés, de vins cuits et de fruits secs. Sur une table, dans un plat jaune cerné de bleu, des nèfles bien mûres attendront d’être mangées. Et leur chair sera tendre comme les hanches qu’on serrera contre soi en se glissant dans le lit. Ainsi, la nuit sera orange et bleue, acidulée et douce, présageant des lendemains tranquilles où le plaisir des corps continuera d’exulter dans le bleu lavande des draps découpés dans un carré de ciel.

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (50). Par Pascal Hérault.Le 11 mai sera donc le jour de la Grande Libération. On entrera en déc...
04/05/2020

CHRONIQUE DU CONFINEMENT (50). Par Pascal Hérault.
Le 11 mai sera donc le jour de la Grande Libération. On entrera en déconfinement comme d’autres, moins prudents peut-être, ont débarqué le 6 juin en Normandie. Drôle de guerre. Il nous suffira de sortir chez nous plus longtemps et masqués comme des cow-boys au moment de l’attaque de la diligence.
J’en vois qui trépigne déjà. J’en vois même qui, plus impatients que les autres, sont de sortie dans les magasins et vous collent à la caisse comme ils le faisaient auparavant, sauf qu’auparavant le Covid-19 ne s’invitait pas encore outrageusement dans les lieux publics, seulement dans une ville chinoise si lointaine qu’elle en paraissait irréelle.
Donc, la guerre est finie ou presque. Il faudra dire qu’on a lutté, n’est-ce pas ? Confinés chez nous comme en l’an 40. Avec un « Ausweis » qu’on remplissait nous-mêmes pour aller faire la queue au magasin d’alimentation. Chose extraordinaire : on était à la fois, pour nous-mêmes et pour les autres, la Kommandantur, le soldat en guerre et l’autochtone occupé. Oui, tout cela en une seule personne. C’était admirable.
Mais je vois que j’écris déjà au passé, alors que le jour de la Grande Libération n’a pas encore sonné. Je dois être comme les autres, pressé d’en finir, ou bien ce sont mes doigts qui vont trop vite sur le clavier. En fait, pour tout dire, je n’y crois pas trop à ce déconfinement annoncé. D’une part, parce qu’il a déjà plus ou moins commencé, et dans le plus complet désordre ; il suffit de voir le nombre de gens dans les magasins. D’autre part, vague épidémique oblige, il n’est pas impossible qu’on se déconfine pour mieux se reconfiner ensuite. L’épidémie a ses raisons que la raison administrative n’a pas. Elle est comme ça, elle va et vient ; c’est une valseuse dont il ne faut pas s’approcher de trop près, sinon on risque le ba**er de la mort.
Quoi qu’il en soit, je trouve « comique » cette proximité de la date fatidique avec celle du 8 mai où on célèbre la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Autre guerre, dont le passif s’élève à 70 millions de morts. La nôtre, en comparaison, a quelque-chose de risible. Les seuls héros dans cette histoire sont les personnels soignants et les caissières des supermarchés. Et l’ennemi est toujours là, tapi peut-être derrière nos masques découpés dans la nappe du salon. Il n’a pas de visage ni de mitraillette. Ses seuls collabos sont ceux qui ne cessent de vous coller dans la queue du supermarché, tout sourire, le ventre repu et le SUV bo**ré jusqu’à la gu**le de denrées aussi périssables que leur vie sur Terre.
Non, je ne fais pas de mauvais esprit. J’écris sur ce que je vois. Et ce que je vois ne me plaît pas vraiment. Je me dis que la course à la consommation va repartir à fond les ballons et qu’on entendra moins les oiseaux chanter dans les rues. Je me dis que tout le monde va vouloir partir en vacances quand même et qu’il y en aura peut-être même qui, profitant d’une belle promotion sur les vols low-cost, iront promener leur bêtise et leur surcharge pondérale sur les plages des Seychelles, là où la vie n’est vraiment pas chère, surtout pour les mendiants qui crèvent dans leur crasse. On sera donc très loin de ce que fut le 8 mai 45 : une Europe dévastée, tout à reconstruire, et des montagnes de cadavres à l’entrée des camps. En ce qui nous concerne, tout restera debout et comme avant, mais avec une économie fissurée de partout et qui laissera bien des gens sur le carreau, toujours les mêmes, les petites mains du bas salariat, les petits soldats inconnus de l’intérim, ceux qu’on utilise et qu’on jette pour le plus grand profit des sociétés anonymes.
Oui, la guerre sera finie ou presque. Une autre continuera de durer, invisible et retorse, celle qui appauvrit les uns pour enrichir les autres. Et nous retournerons au supermarché, avides et joyeux, avec ou sans masques, et sans plan Marshall : juste un pouvoir d’achat en peau de chagrin.

Adresse

Dreux
28100

Notifications

Soyez le premier à savoir et laissez-nous vous envoyer un courriel lorsque Chroniques du confinement par Pascal Hérault publie des nouvelles et des promotions. Votre adresse e-mail ne sera pas utilisée à d'autres fins, et vous pouvez vous désabonner à tout moment.

Contacter L'entreprise

Envoyer un message à Chroniques du confinement par Pascal Hérault:

Partager


Autres entreprises de médias à Dreux

Voir Toutes